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La conférence dans une étude collective des leçons

Adaptation et transposition de l’étude collective d’une leçon en Afrique subsaharienne: difficultés et résistances

Par Michel Abassa, décembre 2020

Cet article est la suite de l’étude collective d’une leçon.

Après notre formation à l’Université de Naruto au Japon, nous avons entre 2012 et 2017 planifié et  mené l’expérimentation de la pratique japonaise de l’étude collective d’une leçon dans quelques écoles pilotes camerounaises. Chaque année, nous recevions des experts de l’Université de Naruto pour un suivi qui s’achevait par une critique sur l’évolution de l’expérimentation chez  les anciens boursiers de la JICA. En 2017, la qualité des résultats de notre travail nous a permis de bénéficier encore une fois d’un perfectionnement pendant plus d’un mois à l’université de Naruto. Dans cet article, je m’en vais vous faire découvrir quelques difficultés et résistances recensées, qui peuvent entraver l’adaptation et la transposition de l’étude collective d’une leçon, dans l’environnement scolaire de l’Afrique subsaharienne.

Ces difficultés et résistances peuvent être liées en grande partie à plusieurs facteurs, entre autres, la bonne gestion administrative, la bonne gestion des ressources humaines, de la pédagogie et du processus d’enseignement-apprentissage, la bonne gestion des défaillances  de la supervision pédagogique et des charges financières et matérielles en éducation.

Des difficultés et résistances liées à l’administration

Les attentes dans le contrat signé avec la JICA étaient de mettre l’expertise acquise au service de l’état pour améliorer les pratiques des enseignants en formation initiale et/ou continue, puis améliorer le rendement des élèves en mathématiques et sciences.

Au niveau central, les termes du contrat étaient respectés car j’avais pour école pilote le groupe des écoles publiques de KONDENGUI à Yaoundé. De deux écoles pilotes la première année, j’ai finalement enrôlé toutes les 8 écoles publiques de ce groupe scolaire aux effectifs pléthoriques qui pratiquaient la mi-temps avec plus de 4000 élèves au total.

La première difficulté relevait des lenteurs administratives. Pour qu’une note de service parte des services centraux et atteigne les services déconcentrés, il fallait attendre au moins deux semaines dans la même ville. Le circuit étant constitué de nombreux « ports » de lenteurs qui constituent des « goulots d’étranglement ». Délégation régionale de l’éducation de Base-Inspection de coordination des enseignements- délégation départementale-inspection d’arrondissement- école.

Ce circuit administratif très long, est souvent la cause  de l’avortement de nombreux projets et innovations pédagogiques dans nos pays. Il fallait utiliser ma position  d’Inspecteur Pédagogique National (IPN)  pour faire accepter aux autorités de l’éducation des services déconcentrés, de s’impliquer dans le projet avant la possession du document officiel.

Des difficultés et résistances liées à la bonne gestion de la pédagogie et du processus d’enseignement-apprentissage 

La gestion de la pédagogie et du processus d’enseignement-apprentissage est au centre de la qualité de l’éducation. Si les résultats des évaluations des acquis des élèves depuis environ une décennie sont plus ou moins statiques en langues d’enseignement et en mathématiques dans les pays d’Afrique subsaharienne, c’est peut-être aussi à cause d’une gestion de la pédagogie qui repose essentiellement sur l’observation naturelle avec toute la subjectivité qu’elle comporte. L’étude des leçons permet de résoudre ce problème en adoptant un dispositif spécifique qui se fonde sur un schéma standardisé avec des innovations qui bouleversent les approches traditionnelles sans observation armée.

Avec l’étude collective d’une leçon, le travail de groupe est favorisé entre enseignants et superviseurs pédagogiques. Malheureusement, les superviseurs pédagogiques n’acceptent pas toujours de réduire cette distance pour devenir des accompagnateurs. Les superviseurs pédagogiques peuvent être le premier « goulot d’étranglement », lorsque la perception de la supervision pédagogique n’est pas révisée dans leur vision.

Les difficultés et résistances de l’implémentation réussie de l’étude collective d’une leçon peuvent dans notre contexte, naitre des problèmes liés à l’articulation de la théorie et de la pratique. En effet, on a observé que les enseignants maitrisent parfois les théories liées à une stratégie pédagogique, sans être capable de les mettre en pratique dans une leçon. De nombreux exemples peuvent être cités avec l’adoption de l’APC par les pays. Le but de l’étude collective d’une leçon est d’améliorer les pratiques professionnelles des enseignants et par ricochet d’amener les élèves à améliorer les apprentissages.

Les résistances et difficultés avec l’étude des leçons peuvent surgir lorsque, l’évaluation des élèves n’est pas articulée à celle des enseignants. L’étude collective d’une leçon permet d’harmoniser, de standardiser les pratiques des enseignants, et de lier les résultats des élèves aux pratiques des enseignants. C’est une plus-value qui permet à priori l’analyse du processus d’enseignement-apprentissage en se focalisant sur les étapes, les tâches, les interactions entre enseignants et élèves, et finalement sur les points forts et les points faibles du processus.

Lorsque la gestion des résultats est privilégiée au détriment de la gestion du processus d’enseignement-apprentissage ou de la pédagogie, il y a des risques de tomber sur une pratique pédagogique inefficace avec des résultats médiocres.

les productions des élèves à la post-conférence

Des difficultés et résistances liées à la supervision pédagogique

La supervision pédagogique qui doit être le domaine phare pour contrôler la qualité des enseignements et des apprentissages, et fournir des informations fiables aux décideurs qui ont la charge de piloter le système, reste encore le maillon très faible des systèmes éducatifs africains. C’est pourquoi la chaîne de supervision pédagogique et ses membres apparaissent parfois comme des  « pôles » de difficultés et de résistances  contreproductifs :

Aucune réflexion authentique des membres et intervenants :

  • Des pratiques pédagogiques cohérentes et partagées ; lorsque certaines pratiques didactiques ne sont pas partagées ou uniformisées, elles peuvent devenir des « goulots d’étranglement » pour l’étude collective d’une leçon. En mathématiques par exemple, le respect des étapes dans le déroulement d’une leçon d’arithmétique doit être le même pour tous les enseignants d’un même bassin.
  • Résorber les effectifs pléthoriques qu’on retrouve surtout dans les villes (chefs-lieux de régions et département au Cameroun) ;
  • des nominations hasardeuses qui ne tiennent toujours pas compte du profil du superviseur, ou de son expérience professionnelle. Au Cameroun, sont considérés comme superviseurs pédagogiques, les inspecteurs et conseillers régionaux, le conseillers départementaux, les animateurs pédagogiques et cadres de ces structures déconcentrées, puis les directeurs d’écoles et les animateurs de niveau. Pendant cette expérimentation, les superviseurs régionaux et départementaux désignés étaient absents du début à la fin. En revanche, y venaient au rythme d’une fois au plus par trimestre, les animateurs pédagogiques et certains cadres de l’Inspection d’arrondissement. Des résistances et difficultés étaient surtout liées à la passion du métier d’enseignement et du choix de la qualité des superviseurs pédagogiques. Des enseignants et superviseurs complètement démotivés. Des enseignants submergés par des effectifs pléthoriques, rarement moins de 60 élèves par classe. Des superviseurs pédagogiques résignés et inopérants.
Une classe camerounaise
Post-conférence le directeur d’école modère, l’enseignant répond superviseurs et enseignants + experts de la JICA

Des difficultés et résistances liées aux charges financières et matérielles

Pratiquer l’étude collective des leçons exige la mobilisation d’une ingénierie éducative numérique, humaine, matérielle et financière bien fournie et  sans failles.

S’agissant de l’ingénierie numérique, le superviseur doit être capable de bien manipuler sa tablette ou son appareil pour enregistrer des  vidéos, de façon à savoir filmer un enseignant en pleine leçon ou activité, en captant les aspects essentiels qui permettront de relever les points  insuffisants dans la pratique d’un enseignant, ou au contraire relever  et partager  les meilleures pratiques. Comment manipuler l’appareil numérique ? Comment s’assurer que les tablettes ou appareils auront toujours de l’énergie pour animer les séquences dans la majorité de  zones rurales sans électricité, sans énergie ?

La préparation matérielle est très importante pour tout processus d’étude collective d’une leçon : papier conférence, marqueurs, vidéo projecteurs, crayons stylo à bille, gravure, tout type de support et matériel didactique utile, matériel concret, semi concret, laboratoire, manuel scolaire, abécédaire etc.

Il faut aussi prévoir de l’eau, des cacahuètes, pour motiver les enseignants et superviseurs pédagogiques pendant la phase d’imprégnation et d’appropriation.

L’absence d’outil numérique, du matériel et supports didactiques, quelques agréments motivants peuvent être des difficultés  et provoquer des résistances dans l’adaptation de l’étude collective d’une leçon dans l’environnement scolaire de l’Afrique subsaharienne.

En conclusion, la pratique de l’étude des leçons est une technique d’ingénierie éducative qui permet d’apporter une dimension numérique audio-visuelle, un travail collectif capable de se focaliser sur l’acte pédagogique et détecter facilement les défaillances des élèves pour les articuler aux pratiques des enseignants. C’est le début d’une professionnalisation des enseignants. Pour que ce dispositif s’intègre dans l’environnement africain, il faudrait au préalable assurer le financement de l’éducation pour redonner aux acteurs concernés les moyens adéquats leur permettant de vulgariser cette pratique et faire revivre une supervision pédagogique armée, d’améliorer le rendement des élèves.