Christian Asse nous présente son deuxième article sur les communautés autochtones et la préservation de la biodiversité, avec des propositions en matière de formation.
Novembre 2020
Présentes sur environ 70 % des zones naturelles protégées du monde, les populations autochtones ont toujours contribué aux services rendus par la nature. Le principe de leur participation à la gestion des ces zones permettrait de garantir le maintien et le renouvellement de la biodiversité sur ces territoires.
Ce point de vue représente une évolution notable dans la gestion des aires naturelles protégées, où le principe dominant a été longtemps une approche « conservationniste », qui perdure encore, excluant les populations des zones protégées.
La construction d’une relation gagnant/gagnant entre les populations autochtones et les aires naturelles protégées est ainsi nécessaire, à la fois pour la préservation des écosystèmes et le bien-être de ces communautés.
Les enjeux de cette stratégie entraînent des défis d’envergure tels que la reconnaissance du statut des autochtones et de leurs savoirs traditionnels, une participation constructive de l’ensemble des acteurs dans la gestion des zones protégées, qui peut être associée à un dispositif de formation des nouvelles générations à des métiers verts.
Les aires protégées et les populations autochtones, l’association évidente
La fonction des aires protégées dans la diminution des effets négatifs des changements climatiques est de plus en plus reconnue : on estime par exemple que le réseau mondial de ces espaces stocke actuellement au moins 15% du carbone terrestre.
Ce rôle fondamental est ainsi plus important que jamais en fonction du contexte climatique et environnemental actuel. Le dispositif global permet à la fois de réduire l’empreinte écologique et d’augmenter la bio-capacité permettant à la nature de reconstituer ses ressources.
Face à l’urgence environnementale et climatique, le nouvel objectif de la Convention sur la diversité biologique (CDB) vise à placer 30 % de la surface de la Terre sous statut de conservation d’ici 2030, soit pratiquement le double de l’actuelle superficie des terres protégées.
Il sera important dans ce cadre de ne pas reproduire l’approche dite « conservationniste » qui a généré des effets particulièrement néfastes :
- Certains sur le plan de la biodiversité, dans le cadre de mauvaises gestions constatées par les structures internationales[1], qui ont permis l’exploitation illégale des ressources (bois et mines notamment)
- D’autres sur le plan social, à travers l’exclusion et la paupérisation des communautés autochtones, obligées de quitter leur mode de vie traditionnel pour une assimilation forcée.
La reconnaissance de la capacité des autochtones à être les « régisseurs » des ressources naturelles, nationales et mondiales, représente ainsi la bonne alternative aux déficiences de gestion constatées.
Certaines activités durables, utilisant les ressources de la zone, contribuent d’autre part au double défi de protéger les écosystèmes et de générer des emplois pour les populations résidentes. Elles peuvent être mises en œuvre dans une partie des zones protégées. Ainsi, les questions de statut, de gouvernance et de gestion représentent des facteurs essentiels pour la conservation et la limitation des menaces existantes.
La plupart des peuples autochtones revendiquent dans ce sens le droit à continuer à utiliser les territoires qu’ils occupent d’une manière ancestrale, et veulent ainsi avoir leur mot à dire sur les activités menées sur leurs terres. Leur première attente relève donc de leur participation à la formulation d’accords et de leur application. Elle se trouve en conformité avec les résolutions[2] mettant en avant les Territoires Autochtones de Conservation.
La capacité des états à reconnaître les populations autochtones comme bénéficiaires de droits validés par la législation internationale est cependant loin d’être effective.
Pour exemples, les problèmes les plus graves auxquels sont confrontés les pygmées africains sont la non-reconnaissance de leurs droits territoriaux de chasseurs-cueilleurs ainsi que le déni de leur statut de peuple indigène. Au niveau des Orang Asli de Malaisie, leur statut d’ayant droit pour vivre dans les zones forestières a besoin d’être validé régulièrement.
Même si cette reconnaissance est présente, la consultation obligatoire, préalable et éclairée de la communauté en cas d’exploitation des ressources n’est souvent pas effectuée systématiquement, ce qui entraîne de nombreuses exploitations illégales et de pillages de forêts.
Construire une relation gagnant/gagnant sur le concept de développement durable
Une relation « gagnant/gagnant » entre le dispositif des aires protégées et les communautés autochtones plaide pour une stratégie intégrant des interactions humaines avec l’environnement biologique. Elle vise à la fois la conservation de la diversité des espèces, la préservation du mode de vie des communautés autochtones et leur développement dans une optique durable.
Prenant en compte le postulat que les savoirs traditionnels des populations autochtones contribuent à la fois à la préservation et à l’exploitation durable de la biodiversité, la logique veut qu’ils continuent à être utilisés dans les zones protégées où les populations sont présentes. Ils existent sous diverses formes, incluant des pratiques agricoles, de pêche/chasse ou de médecine, l’ensemble étant réglé par du droit coutumier. Ils peuvent être également associés à des savoirs scientifiques orientés vers le développement durable.
Conservation d’espèces sauvages apparentées aux plantes cultivées
Certaines communautés autochtones s’attribuent une mission de préservation et de restauration d’espèces sauvages qui sont les ancêtres des variétés modernes de plantes cultivées et dont un grand nombre se trouve menacé d’extinction (des modèles de simulation bioclimatiques prévoient la perte de 16 et 22% des espèces d’ici à 2055).
Pour exemple, les Quechuas du « Parque de la Papa », au Pérou, entretiennent un parc de pommes de terre dans les Andes, qui compte plus de 1 000 variétés de ce légume. Un grand nombre de ces variétés pousse dans des conditions difficiles et constitue une forme solide de résilience.
Agroforesterie et agro-écologie
Les sociétés autochtones et traditionnelles pratiquent depuis des millénaires les systèmes agro forestiers, qui regroupent des techniques d’utilisation des terres où les arbres sont associés aux cultures et/ou aux systèmes d’élevage, contribuant à mettre en place des environnements agricoles et des pâturages productifs et résilients.
L’agriculture biologique et l’agro-écologie peuvent d’autre part aisément se combiner avec l’agroforesterie. Des expériences menées en Inde[1] ou en Amérique latine autour de caféiers plantés en association avec des arbres fruitiers se révèlent probantes.
Ecotourisme autochtone
L’écotourisme ou le tourisme vert sont des formes du tourisme durable, centrées sur la découverte de la nature. Le tourisme sous gestion autochtone peut représenter une solution pour redonner confiance, voire fierté, à certaines communautés dévalorisées et leur procurer des bénéfices tangibles et durables.
Des expériences dans ce sens ont été initiées au Canada et ont généré des revenus intéressants pour les populations dans les secteurs des aventures de plein air, de l’artisanat, et de l’hébergement[2].
Ce tourisme autochtone représente un contre poids aux abus existants dans certains parcs naturels, soumis à un tourisme de masse qui met en péril la survie de nombres d’espèces vivantes.[3]
Concernant les modes de gestion utilisés pour les zones protégées, les instances internationales se rejoignent pour valider la participation et l’implication des populations autochtones quand elles sont présentes sur le site. On utilise souvent les concepts de «cogestion», de «gestion participative» ou de « gouvernance partagée». La gouvernance d’une aire protégée a trait à des questions de pouvoir, de relations et de responsabilité concernant les ressources naturelles, sa gestion étant davantage associée aux objectifs environnementaux et socio-économiques.
Exemples de gestion autochtone d’un territoire dans le Grand Nord Canadien
Dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada, (région des Inuvialuit et de la vallée du Mackenzie), le gouvernement a implanté un processus d’évaluation environnementale et de cogestion[1]. Dans cette approche, la conception des plans d’aménagement est en partie basée sur le savoir écologique traditionnel détenu par les autochtones. Une convention a été signée avec les communautés Inuit et Cri, leur permettant d’agir sur les volets de la sauvegarde de l’identité culturelle, de la participation aux problématiques sociétales et environnementales.
Exemple de programme APAC territoire de vie
Le terme APAC désigne un territoire où les écosystèmes contiennent des valeurs significatives de biodiversité, de services écologiques ainsi que culturelles, volontairement conservées par les peuples autochtones.
La Reserva Cuyabeno, en Equateur, peut représenter un exemple de ce type d’espace. La communautés Cofan y est particulièrement dévouée au savoir environnemental. Ayant perdu une grande partie de leur territoire ancestral au profit du pétrole et des industries du bois, elle est maintenant très soucieuse de protéger le restant. Un réseau de gardes locaux, des règles strictes pour limiter l’utilisation des ressources, et des inventaires de faune ont été mis en place à cet effet.
Des défis à relever pour mettre en œuvre cette relation
La reconnaissance du statut des autochtones et la valorisation de leurs savoirs
Les textes internationaux concernant les droits des autochtones[1] mettent clairement en évidence cette relation étroite entre ces populations et les terres qu’elles occupent traditionnellement.
Ce cadre juridique n’étant cependant adopté que par un certain nombre de pays, les défis peuvent être énormes à relever pour qu’il puisse s’appliquer. Des acquis non-négligeables ont été réalisés dans certains pays géographiquement vastes (Pays d’Amérique latine, Canada, USA, Australie, Russie)[2], même s’il est difficile pour ces grands états de légitimer l’altérité. Toutefois, certaines communautés restent en situation de vulnérabilité ou de marginalisation (petites communautés Mikea de Madagascar, Agtas des Philippines, Moken de Birmanie, Pygmées d’Afrique centrale, Papous d’Irian Jaya) n’ayant pas de représentation dans leur pays.
Le monde scientifique reconnaît pourtant que les sociétés autochtones, identifiées initialement comme « des ensembles à civiliser », sont riches de connaissances qui peuvent répondre aux défis majeurs pour la planète.
Une étude récente de l’Institut des ressources mondiales met en valeur la combinaison de la présence des autochtones avec des législations sur la protection de l’environnement, qui permet de limiter à la fois les émissions de carbone ainsi que la déforestation. Ainsi au Brésil, la déforestation dans les zones habitées par les communautés indigènes a touché moins de 1% des massifs forestiers, contre 7% pour la moyenne en dehors de ces zones.
Une participation constructive de l’ensemble des acteurs dans la gestion des zones protégées
Le statut accordé aux communautés autochtones par les instances internationales n’étant pas toujours partagé par les acteurs gouvernementaux, les aménagements institutionnels réalisés au profit des populations autochtones sont souvent le fruit de luttes de leur part ou bien d’appuis réalisés par des ONG ou des organismes internationaux.
Ces appuis visent la valorisation des initiatives autochtones afin que les projets d’éco-développement coïncident avec les aspirations des populations[1]. Certains processus permettent de favoriser cet objectif.
- Des procédures de renforcement de l’autonomie mises en œuvre par le consortium ICCA au niveau des APAC[2].
- Dans les aires protégées, une importance plus grande accordée aux droits collectifs sur les territoires ancestraux dans les initiatives soutenues par le FIDA[3] .
- Au Népal, une approche novatrice prévoit de former les autochtones sur les droits qu’ils peuvent revendiquer[4].
Un cadre participatif doit à ce titre être élaboré pour chaque zone protégée, visant la mise en œuvre de la cogestion ou bien de la gouvernance autochtone des ressources naturelles. Il doit prendre en compte l’ensemble des facteurs liés à la culture autochtone, aux enjeux de la zone protégée, aux activités qui peuvent y être menées, ainsi que les aménagements institutionnels réalisés.[5]
Dans une approche constructive, le cadre doit être respecté par les communautés et par les acteurs gouvernementaux s’engageant à fonctionner suivant les règles déterminées et utiliser les procédures et les sanctions applicables en cas de manquement aux accords.
La formation des nouvelles générations à des métiers verts, un pari pour le futur
En fonction des statistiques existantes sur les taux de population, on peut recenser environ 125 millions de jeunes de moins de 15 ans au sein des communautés autochtones de la planète et environ 80 millions de jeunes de 15-24 ans[6], susceptible d’entrer dans la vie active.
Du fait d’une pluralité de facteurs (isolement géographique, niveau d’éducation et de formation plus bas, discrimination et difficultés d’accès au marché de l’emploi), le taux de chômage de ces jeunes est souvent très élevé et leurs revenus plus faibles que les autres jeunes travailleurs, Cette situation entraîne un état de mal-être qui peut se manifester d’une manière dramatique. Des données obtenues entre 2000 et 2005 dans deux sociétés guaranis[7] au Brésil, indiquent par exemple que le taux de suicide y est 19 fois plus élevé que pour la moyenne nationale.
La valorisation de métiers associés au maintien et à la restauration des écosystèmes, à une exploitation durable des ressources naturelles, à de l’écotourisme, pourrait ainsi constituer un levier important au profit de la jeunesse autochtone positionnée à l’intérieur ou à proximité des zones protégées.
Un dispositif de formation professionnelle pourra ainsi permettre à ces jeunes de trouver à la fois une place sociale en accord avec les valeurs traditionnelles, un intérêt éthique pour un métier « vert », ainsi qu’une rémunération qui peut s’ajuster aux objectifs de développement durable.
[1] Etude menée par l’UICN (Sayer 1991)
[2] Les APAC se renforcent– démarche possible et références disponibles pour les communautés locales et les peuples autochtones gardiens d’APAC – ICCA 2017
[3] Fonds international de développement agricole (IFAD) Politique d’engagement du FIDA auprès des peuples autochtones
[4] Droit des peuples tribaux dans la pratique guide sur la convention 169 de l’OIT
[5] Des cadres sont proposés par l’UICN – lignes directrices pour la législation des aires protégées https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=cadre+de+cogestion+d%27une+aire+prot%C3%A9g%C3%A9e
[6] Calculs basés sur statistiques réalisées au Canada sur les populations des premières nations. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-645-x/2015001/demo-fra.htm
[7] Nations Unies (2010), La situation des peuples autochtones, ST/ESA/328, p. 135.
[1] Déclaration des droits des autochtones 2007, Convention n° 169 de l’OIT, relative aux peuples indigènes et tribaux 1989, Convention sur la biodiversité 1992
[2] Ivison et all- 2000
[1] Participation des autochtones aux processus d’évaluation environnementale dans les Territoires du Nord-Ouest- Josiane Blanchet- 2009
[1] Population Adivasi dans la vallée de l’Araku, projet ONG Naandi
[2] Retombées économiques du tourisme autochtone au Canada avril 2015
[3] Parks need people –survival International –rapport 2013
[1] L’UICN et la CMAP (Commission Mondiale des Aires Protégées) considèrent qu’un quart des aires protégées est géré efficacement
[2] Résolution de l’UICN n° 4.049 et 4.050