Collecte et recyclage du plastique dans la mer d’Andaman

Un projet environnemental avec le peuple Moken en mer d’Andaman en Thaïlande

Par Christian Asse, avec l’aide de Ben Wandivinit

Présentation du peuple Moken

Arrivés d’Indonésie il y a environ 500 ans, les Moken sont un groupe constitué de quelques milliers d’individus. Ils sont des nomades de la mer qui se sont installés au sud du Myanmar et de la Thaïlande. Leur territoire est composé d’environ 800 îles de la mer d’Andaman. La carte ci-joint, issue du musée Moken de Khaolak, en Thaïlande, permet de visualiser ce territoire côtier.
Un territoire composé d’environ 800 îles.

Une vie sur mer

Ces nomades de la mer vivent traditionnellement sur un bateau familial, dénommé le kabang. Ce bateau est un élément essentiel de leur vie. Ainsi, il sert de transport, de pêche, de demeure, et souvent de lieu de naissance et de mort. Les anciens kabang étaient entièrement fabriqués à partir d’un tronc d’arbre évidé. Aujourd’hui, ils le sont à partir de planches.
Le Kabang, espace de vie familiale.

De nombreux Moken sont maintenant semi-nomades. Ils ont construit des villages côtiers dans les différentes îles de la mer d’Andaman.

Village Moken à Koh Chang.
Préparation des filets de pêche.
Un pêcheur traditionnel de la communauté Moken. Photo par Survival International et Sofie Olsen.
Ils continuent à vivre de pêche. Ils utilisent encore des techniques traditionnelles durables (pêche en apnée et à l’aide d’une lance). Ainsi, ils ont une bonne capacité à plonger en eau profonde. 

Les poissons et les crustacés servent de nourriture. Les perles d’huîtres sont revendues en échange de fuel et de riz.
Un pêcheur traditionnel Moken prêt à utiliser sa lance. Photo par Survival International et Sofie Olsen.
Les Moken se sont aussi spécialisés dans la recherche de coquillages et d’holothuries. Ceci pour répondre à une forte demande de la Chine. 

Malheureusement, cette capacité exceptionnelle à descendre en apnée à des dizaines de mètres de profondeur est exploitée aujourd’hui par des employeurs peu scrupuleux de certains jeunes Moken, pour la pêche à l’explosif au Myanmar.

Un mode de vie basée sur la sobriété

Deux principes caractérisent le mode de vie des mokens :

  • Ne pas accumuler des biens. La sobriété de leur mode de vie dans le kabang leur sert de référence.
  • Ne pas se trouver en compétition entre les individus. Dans chaque communauté regroupant une dizaine de familles, chacun vit de la même manière.

Sur le plan religieux, ils sont animistes. Ils croient aux esprits de la nature et à ceux de leurs ancêtres. Les esprits et ancêtres sont symbolisés avec les lobong, totems en bois construits dans leurs villages. Par exemple, avant que ne soit abattu l’arbre qui sert à construire le kabang, une prière aux esprits de la forêt est faite dans le respect dû à l’esprit gardien de l’arbre. Ces croyances leur permettent d’avoir une faible empreinte environnementale.

Un nouveau contexte avec la pollution de la mer d’Andaman et la perte de la biodiversité

En Asie, les effets de la pollution par le plastique sont dramatiques. La Chine, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam sont les cinq pays qui rejettent à eux seuls plus de quatre millions de tonnes de plastique par an dans les mers. Ils seraient à l’origine de plus de 80 % des déchets en mer. On considère que cette pollution touche près de 600 espèces de vertébrés marins. Le plastique alimentaire peut en effet provoquer la mortalité animale. 

Les plastiques sur les plages ou dans les villages sont pour 80% amenés du continent par les courantsLes côtes de la mer d’Andaman n’y échappent pas. Ceci entraîne un impact négatif sur la biodiversité halieutique et aviaire.

 

Pollution plastique sur la zone côtière de Ranong. Photo par Thaïlandefr.
Plastique dans le village Moken de Koh Chang, même après un nettoyage régulier. Photo par l'auteur.

Un impact drastique sur les ecosystèmes

Les déchets plastiques modifient le fonctionnement des écosystèmes. Ils fragilisent la biodiversité marine, et ils  mettent également en péril la santé humaine. Les micro-plastiques, chargés de polluants, d’additifs, de polymères, peuvent être directement ingérés par plusieurs organismes :

  • le plancton,
  • petits poissons,
  • les moules ou les huîtres que nous consommons.

L’élimination des plastiques dans les océans et zones côtières est donc primordiale pour préserver la biodiversité marine. Bien que le principal levier reste la limitation de sa production sur le continent.

22% de décès de tortues après ingestion de plastique. Photo par IFAW.
Oiseau de mer mort après ingestion de plastiques. Photo par Chris Jordan.

A Bali, depuis 2016, existe une vaste campagne de collecte de déchets plastiques dans les zones côtières. On a pu y constater un retour de la biodiversité marine et aviaire sur ces zones. 

Une contribution des Moken à la protection de l’environnement avec l’appui d’ONG

Collecte sur l’île de Koh Surin. Photo par Lena Bumiller-Klathale.

Depuis quelques années, des associations s’impliquent dans la collecte de plastique sur les plages des îles de la mer d’Andaman. En fonction de la nature des déchets cela peut aussi inclure son recyclage.

La fondation Jan & Oscar, dans le cadre de son projet de lutte contre la pollution plastique « Moken, gardiens de la mer », intervient par exemple dans les secteurs de Ranong et de Phang Nga pour collecter et recycler chaque année des tonnes de plastique. Une fois recyclé, ce plastique devient une matière première utilisée pour la fabrication de textiles et divers produits, notamment dans l’industrie horlogère.

Centre de tri sur l’île de Koh Chang. Photo par l'auteur.

Ce mode de fonctionnement permet l’augmentation du réemploi de ces déchets. L’amélioration des performances de collecte et recyclage est augmentée aussi. Les communautés Moken de l’île de Koh Chang et des îles environnantes interviennent de manières variées. Soit quotidiennement dans leur village (malgré que des plastiques y soient renvoyés à chaque marée montante), soit sur les plages ou en mer en morte saison de pêche, pour collecter les déchets plastiques.

Organisation de la collecte de plastique

La création d’une entreprise sociale en 2019, Ranong Recycle for Environment, axée sur le tri et le recyclage des plastiques, leur permet de vendre les plastiques récupérés en mer ou sur les îles directement à l’entreprise. Les plastiques sont achetés à un prix équitable. Les jeunes adultes Moken qui le souhaitent, peuvent également venir se former. Suite à la formation, ils peuvent travailler au centre de collecte pour trier les plastiques en échange d’un salaire équitable et d’un logementLa fondation met aussi à disposition un bateau. Le bateau est chargé de plastiques, et puis amené vers le centre de collecte, situé dans la ville de Ranong. 

Il a été acheté grâce à un financement participatif, son fonctionnement et son entretien étant couverts par la start-up suisse Tide Ocean, partenaire de la fondation, ainsi que l’horloger Maurice Lacroix. Dans l’île de Koh Chang, 13 tonnes ont par exemple été recueillies sur une période de 5 mois.

Pour les Moken, l’activité de collecte est intéressante. Elle prend lieu en dehors du cycle d’activité de pêche, ce qui constitue un revenu alternatif pour les communautés. Ainsi la collecte représente un avantage économique associé aux avantages environnementaux et sociaux.

L’équipe de bénévoles de Jan & Oscar avec un couple de Moken, lors de la remise de plastiques. Photo par l'auteur.
Chargement d’un kabang de plastiques pour le centre de recyclage de Ranong. Photo par l'auteur.
Plastiques triés dans le village Moken. Photo par l'auteur.

Avantages environnementaux

La collecte permet le nettoyage d’espaces pollués.

Elle permet aussi un retour de la biodiversité (les écosystèmes ne sont plus perturbés par les déchets plastiques).

Le recyclage du plastique permet de valoriser la collecte ce plastique étant réutilisé.

Avantages économiques

Le plastique collecté représente une valeur comme matière première.

L’activité représente un revenu pour les Moken.

L’activité n’interrompt pas les activités de pêche.

De jeunes Moken peuvent gagner un salaire équitable au centre de collecte .

Avantages sociaux

La collecte est en cohérence avec le fonctionnement social des communautés (une activité de cueillette, comme la récolte de coquillages).

L’activité est validée par la communauté et l’école Moken y apporte sa contribution.

L’activité soutient une gestion communautaire et durable des déchets.

La sensibilisation des générations futures à l’école Moken

L’école Moken fonctionne comme toutes les écoles thaïlandaises. Sa seule spécificité, au même titre que pour la trentaine de minorités ethniques en Thaïlande, est que le programme scolaire permet de consacrer 10% des heures de cours à l’enseignement du «contenu local». Certains enseignants considèrent que c’est une opportunité pour expliquer le mode de vie traditionnel aux jeunes en leur enseignant à être fiers de leur culture. Par exemple sur l’île de Koh Surin, sur les trois enseignants, une enseignante est d’origine Moken. Elle utilise la langue Moken pour aider ses élèves à s’adapter au programme thaï, en utilisant également le pourcentage d’heures de cours consacré à la culture.

L’école de l’île de Koh Chang est, pour sa part, fortement impliquée dans la collecte et le tri des plastiques. 

Un local y a été construit (sur financement Jan & Oscar et fondation Madeleine) et des enfants responsables de la coopérative scolaire gèrent le budget lié à la collecte

Ainsi, avec le plastique trié et pesé, représentant une valeur en fonction de sa catégorie et de son poids, les enfants contribuent à alimenter la coopérative au profit de projets de l’école.

Tableau de référence pour le classement. Photo par l'auteur et Jan & Oscar.
Tri des déchets devant le local. Photo par l'auteur et Jan & Oscar.

L’implication est forte. Cette sensibilisation des nouvelles générations devrait permettre de maintenir un assez bon degré de biodiversité à Koh Chang.

Cet élan doit toutefois s’associer à une attitude responsable d’autres acteurs. Les consommateurs de plastique du continent, les producteurs d’emballages, ainsi que les politiques environnementales.

Sensibilisation auprès des élèves. Photo par fondation Jan & Oscar.
Collecte sur la plage par les élèves. Photo par fondation Jan & Oscar.

Repenser nos usages

Comme l’indique la Fondation Tara Océan, l’essentiel est de repenser nos différents usages. Il faut engager la transition écologique vers d’autres matériaux et poser comme vision pour l’avenir celle du “zéro plastique dans la nature”.

Il est essentiel pour cela :

  • D’augmenter le réemploi des plastiques collectés en améliorant les performances recyclage. Ceci est initié avec la fondation Jan & Oscar et l’association Tide Ocean, et devra être développé à grande échelle sur le continent.
  • De réduire et de supprimer les plastiques problématiques, à usage unique ou inutiles, et de développer leur substitution.

En effet, en 2019, le rapport du WWF indiquait que d’ici 2030, la production mondiale de déchets plastiques pourrait augmenter de 41 %. La quantité accumulée dans l’océan pourrait doubler. Il y aurait alors davantage de plastiques que de poissons dans les océans. Sans relais important de l’ensemble des consommateurs et producteurs de plastiques, la tâche menée par les collecteurs, déjà énorme, serait décourageante,

Quelques activités qui pourraient être menées au profit des enfants du continent

Réaliser une mission grand nettoyage de la planète avec des camarades en commençant par son jardin, l’école, le quartier et sa périphérie.
Réaliser des missions dans les poubelles de la maison et identifier les déchets plastiques qu’on pourrait éviter.

Il est donc urgent que les populations se responsabilisent et se mobilisent. Les enfants du continent doivent être sensibilisés pour être des acteurs efficaces. Ce seront eux qui vivront à l’âge adulte les effets de la pollution et de la perte de la biodiversité.

Un recueil d’activités pour les sensibiliser a été réalisé sur le site code océan afin d’en proposer quelques-unes au profit d’élèves de fin de cycle primaire et de secondaire, pour qu’ils s’interrogent, agissent et deviennent militants.

Évidemment, ces activités sont loin d’être exhaustives. Il est essentiel que chacun imagine le rôle qu’il peut jouer pour restaurer une biodiversité dégradée, afin que l’ensemble des milieux naturels qui constituent le tissu vivant de notre planète continuent à exister et à nos offrir tous les services que nous rend la nature.

Réfléchir et faire des recherches sur diverses façons de recycler le plastique dans le monde.

MeridiE s’efforce également de contribuer à rapprocher la fascination de la nature de la nouvelle génération. N’hésitez pas à visiter notre page sur LinkedIn, et à contribuer à nos efforts de collecte de fonds.