Education cheerleaders
Chez les très jeunes enfants, une des premières fonctions cérébrales est de reconnaître les visages. Tout mouvement philosophique, religieux ou politique a besoin d’être incarné (fait chair) et personnifié par un leader, c’est là une des caractéristiques universelles de nos actions collectives. Même les hackers Anonymous ne dérogent pas à la règle. Bien que réfutant l’idée de chef ou de leader, les membres portent tous le masque tiré de la BD V for Vendetta et qui s’inspire du personnage réel de Guy Fawkes.
Certains individus (des figures) sont associés dans la mémoire collective à un ensemble de valeurs : Gandhi la non-violence, Martin Luther-King la lutte pour les droits civiques, Che Guevara la révolution, Usaint Bolt le sprint, Omar Sharif le Bridge, Justine Bieber (You Tube) etc… La fin prochaine de Nelson Mandela va nous laisser quelque part orphelin. Il n’y aura quasiment plus de personnages emblématiques, de grandes âmes, de leaders spirituels vivants actuellement.
La décennie 2000 a enregistré une conjonction désastre de chefs de gouvernement aux qualités plus que discutables (Sarkozy-Berlusconi-Bush, qui a été cheerleader !) qui nous ont légué la guerre en Irak, une crise économique et financière et qui souffrent pour certains de quelques ennuis judiciaires voire psychiatriques. L’arrivée d’Obama a suscité de grandes espérances, mais malgré son prix Nobel, qu’a-t-il vraiment fait pour la paix dans le monde ?
Aung San Suu Kyi, autre prix Nobel de la paix, est quelque peu silencieuse sur les persécutions de la minorité musulmane des Rohingya en Birmanie, exercées avec la complicité des moines bouddhistes. Le Dalaï Lama a condamné ces actes et reste sans un doute un des derniers personnages vivants à qui l’on prête de hautes vertus morales, malgré une influence limitée.
Pouvez-vous pensez spontanément à un leader moral, spirituel charismatique et indiscutable ? L’émergence d’une conscience collective mondiale par le biais d’Internet nous dispense t’elle du besoin de figures de prou, de chefs ? La mise au point d’Objectifs communs de développement (Objectifs du Millénaire et de l’EPT) constituent une sorte de commandements quasi bibliques :
- Tu offriras une éducation de qualité pour Tous
- Tu offriras un accès à l’eau potable et des toilettes à chacun
- Tu banniras le travail pénible des moins de 15 ans
- Tu offriras un Ipad à tous les élèves (pardon on s’égare)
Pourtant, à l’inverse des grandes religions monothéistes, rien n’indique quels châtiments subiront ceux qui ne respectent pas ces commandements ou qui ne font rien ou pas grand-chose pour atteindre les objectifs de développement. Bien au contraire, plus les résultats et indicateurs sont faibles, plus un pays a de chance de bénéficier de financements internationaux et malgré des mécanismes plus qu’hypothétiques de gestion par les résultats et d’indicateurs déclencheurs de crédits, les décisions d’attribution de fonds restent politiques et peu liées à la bonne gouvernance.
Ainsi, bien que l’on se soit dotés d’instruments normatifs, de règles et d’engagements collectifs, encore perfectibles mais qui ont pu faire avancer les choses dans le domaine de l’éducation, il n’y pas actuellement de leader incontesté, de personnage qui incarne cette « religion ».
Dans le domaine de la santé, qu’on le veuille ou non, le leader actuel c’est Bill Gates. Il investit plus d’argent dans ce domaine que l’OMS, il voyage, se renseigne, étudie, écrit et mobilise des fonds de ses collègues milliardaires. Bien que pour certains les actions Fondation Bill et Melinda Gates ou les références de Bill Gates fassent polémique, il est actuellement le meilleur chantre de la santé disponible en stock.
Qu’en est-il dans le domaine de l’éducation ? Beaucoup de personnalités ont produit ou reproduit des maximes sur l’éducation que l’on voit fleurir sur les murs Facebook des ONGS. Tout cela est bien gentil, pavé de bonnes intentions mais relève plutôt d’un comportement de cheerleader que de leader, désolé. Il est certain que l’accès à l’éducation, du moins dans sa version laïque, soulèvent des oppositions très fortes comme au Pakistan ou dans le Nord du Nigéria, que les mots seuls ne pourront pas vaincre. Les discours de Victor Hugo sur l’école laïque sont là pour nous rappeler que ces débats ont agité la France à la fin du 19ème siècle, sans bien sûr prendre la même tournure radicale. Si l’histoire a davantage retenu Jules Ferry, on notera cette citation de Victor Hugo : « La liberté commence là où l’ignorance finit »
Mais par delà les bons mots, qui peut bien actuellement incarner le droit à l’éducation ?
Intéressons nous donc à trois personnages institutionnels ou représentants officiels en charge de l’éducation : le Secrétaire Générale de l’ONU, l’Envoyé spécial des Nations Unies pour l’éducation et la Directrice du Partenariat Mondial pour l’Education. Peuvent-ils être de bons leaders ou à défaut des cheerleaders de l’éducation?
Le Secrétaire Générale de l’ONU, Ban-Ki-Moon, est sud coréen, vient d’une famille rurale, il a fui la guerre et a étudié à l’école primaire dans des conditions difficiles (voir Le Monde). Il est donc particulièrement sensibilisé à la condition vécue par des millions de jeunes actuellement mais il a créé une Initiative : L’éducation avant tout dont on ne comprend pas bien la valeur ajoutée par rapport à toute la dynamique de l’Education pour Tous.
Autre problème, apparemment il ne sait pas danser.
Il a confié le poste d’Envoyé spécial pour l’Education à Gordon Brown. Britannique, d’un milieu relativement aisé, élève précoce et surdoué, à 11 ans, il fonde un journal dont les recettes servent à financer des aides aux réfugiés africains. Bien ! +4 points. Il a été recteur de l’Université d’Edinbourg. Certes le fort niveau d’aide anglaise en faveur de l’éducation (un temps premier bailleur bilatéral) est sans doute à mettre à son actif mais il s’est illustré en voulant créer une initiative avec son ex-collègue Sarkozy liant football et éducation (voir les détails). One Goal or Education : Un flop ! Il a écrit un rapport fustigeant le Partenariat Mondial pour l’Education et appelant à la création d’un fonds mondial pour l’éducation. (voir la réponse du Partenariat Mondial pour l’Education).
Ses capacités de danse et chant ne sont pas connues, pas plus que celles d’Alice Albright, directrice du Partenariat Mondial pour l’Education. Elle est la fille de Madeleine Albright, Secrétaire d’Etat sous Bush, représentante des Nations Unies à l’ONU, sorte de Margaret Thatcher américaine, qui incarnait bien l’unilatéralisme américain du début des années 2000. Alice Albright s’est illustrée dans le secteur privé (Banques et Carlyle -2 points !) et également dans le développement de l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI) à travers les partenariats-public privés. Il est relativement étrange que ce soit une américaine qui dirige cette institution, qu’on on sait que les USAID ne financement que de manière très marginale le PME et sont en règle générale très réticents au multilatéralisme. Bien que les américains aient décidé de maintenir leur niveau d’aide à l’éducation de base, on espère qu’Alice fera mieux que sa maman en terme de financements multilatéraux, que ce soit des fonds publics ou privés. Ses capacités en danse et chant ne sont pas connues.
Intéressons nous maintenant à deux personnalités du Show Business qui savent assurément chanter et danser et qui peuvent donc faire de bon cheerleaders à défaut d’être des leaders. Bono, chanteur du groupe U2, est particulièrement impliqué dans le développement à travers son ONG ONE. Il a fortement milité pour la réduction des dettes des pays pauvres mais a une certaine tendance à la mégalomanie, ce qui est nécessaire pour une rock star, mais peut constituer un handicap.
Shakira, chanteuse internationale colombienne, a créée une fondation « Les Pieds Nus » qui intervient dans plusieurs domaines liés à l’éducation que ce soit autour des questions de nutrition, des nouvelles technologies (OLPC), que de la construction d’un collège à Barranquilla sa ville d’origine. Plus jeune ambassadrice pour l’UNICEF, elle a reçu le prix Internet for Peace. Ses visions sur l’éducation détaillées dans un article récent sont extrêmement claires et argumentées, focus sur les premières années (nutrition), apports privés pour l’éducation (philanthrocapitalism), rendements de l’éducation, mobilisation sociale etc… Elle est extrêmement connue. Tant qu’a être cheerleader, elle sait chanter et danser. Elle est une bonne candidate pour la fonction d’égérie de l’éducation.
Mais comme le disent les jeunes du Global Education First Initiative’s Youth Advocacy Group, réunis sous les auspices du Secrétaire Générale de l’ONU, Gordon Brown et GPE :
« Malala Yousafzai : l’élève pakistanaise sans peur est venue pour symboliser la campagne pour l’éducation pour tous. Malala Yousafzai: the fearless Pakistani schoolgirl has come to symbolize the campaign for universal education.”
L’éducation a trouvé son leader !
Malala, 16 ans, jeune militante pakistanaise en faveur de l’éducation, victime d’une tentative d’assassinat par les talibans (une balle dans la tête) a été invitée à s’exprimer devant les Nations Unies (et devant Gordon Brown et Ban Ki-Moon). Son discours est très émouvant et également très structuré. D’emblée elle cite Nelson Mandela, Martin Luther-King et réfute l’idée de vengeance et insiste sur la compassion.
“Ils pensaient que les balles nous réduiraient au silence. Mais ils ont échoué. Et du silence, mille voix se sont élevées. Rappelez-vous que la Journée Malala n’est pas ma journée. Ce jour est pour toutes les femmes, tous les garçons et toutes les filles qui ont fait entendre leur voix pour leurs droits. (…) Le droit de vivre en paix, d’être traité avec dignité, d’avoir des opportunités équitables, de recevoir une éducation. Car nous sommes tous ensemble, unis pour la cause de l’éducation. Et si nous voulons atteindre notre objectif, armons-nous de connaissance et protégeons-nous du bouclier de l’unité. (…) Nous ne pouvons pas oublier que des millions d’enfants ne vont pas à l’école. (…) Menons un combat mondial contre l’illétrisme, la pauvreté et le terrorisme et attrapons nos livres et nos cahiers. Ils sont nos armes les plus puissantes. Un enfant, un enseignant, un stylo et un livre peuvent changer le monde. L’éducation est la seule solution. L’Education d’abord.”
Son discours n’a pas plus à tout le monde, voir les réactions ici. Un fonds pour l’éducation des filles, qui porte son nom, a été créé au Pakistan. Même si elle est relativement jeune, inexpérimentée et que son action reste pour l’instant dans le domaine du plaidoyer, soyons tous ses Cheerleaders : Go Malala, Go !
Pierre VARLY
Un article très élogieux de RFI sur Malala, qui a reçu le 6 septembre le Prix international de la paix des enfants (Fondation Kidsright)
http://www.rfi.fr/afrique/20130905-malala-pakistan-talibans-alphabetisation-femmes-enfants-afrique-onu
http://kidsrights.i-project.nl/
http://m.rue89.com/#/news/246433
un article qui seme le doute
Ce qu’elle a fait est extraordinaire.
En 2014, âgée de 17 ans, elle obtient le prix Nobel de la paix avec l’Indien Kailash Satyarthi, ce qui fait d’elle la plus jeune lauréate de l’histoire de ce prix3.