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Etat des lieux de l’évaluation des acquis scolaires en Afrique subsaharienne

Pierre Varly, Julie Collombier

Février 2020

Synthèse de Varly P. (2019), Etat des lieux de l’évaluation des acquis scolaires en Afrique subsaharienne, Réseau TALENT/UNESCO BREDA.

Rapport complet disponible ici : http://www.education2030-africa.org/index.php/fr/ressources/publications-fr/1340-l-evaluation-des-apprentissages-en-afrique-sub-saherienne

Contexte

La crise mondiale de l’apprentissage a été documentée dans le Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2014, ainsi que dans le rapport sur le développement humain de la Banque Mondiale (2018)[1]. Les chiffres montrent qu’elle est plus répandue en Afrique subsaharienne (ASS). La région abrite 17 des 21 pays pour lesquels on dispose de données, où plus de la moitié des enfants n’apprenaient pas les bases1. Cela a été confirmé par plusieurs enquêtes d’évaluation des apprentissages menées dans toute la région.

Conscients de ces préoccupations et de la nécessité de promouvoir des stratégies efficaces pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage, plusieurs institutions ont créé, en 2016, le Réseau des éducateurs pour la transformation de l’enseignement-apprentissage (TALENT) dans le cadre de la coordination de l’ODD 4 en Afrique occidentale et centrale. A ce jour, le groupe de pilotage du réseau TALENT est composé de l’ADEA-NALA, de l’ANCEFA, de la CONFEMEN (et son programme PASEC), de l’Internationale de l’Education, de l’UNESCO (et de ses instituts : IIPE Pôle de Dakar, ISU et IICBA), du HCR et de l’UNICEF.  Afin d’atteindre ses objectifs, TALENT vise à publier une étude cartographique sur l’état des systèmes nationaux d’évaluation des apprentissages en Afrique subsaharienne. L’objectif est de disposer d’une vision globale de l’évaluation des acquis en Afrique, d’identifier des exemples porteurs et d’identifier les besoins éventuels d’accompagnement. 

Depuis 2015, plusieurs initiatives internationales ont été mises en place pour promouvoir les mesures des acquis scolaires. On pourrait citer la Global Alliance for Measuring Learning (GAML)[2] qui vise à soutenir les stratégies nationales de mesure de la qualité. Le GPE (Partenariat Mondial pour l’Education) a aussi introduit un indicateur sur les systèmes d’évaluation des acquis dans son cadre de résultat, l’indicateur 15[3] : « Proportion de pays en développement partenaires dont le système d’évaluation des apprentissages dans l’éducation de base répond à des normes de qualité́ ».

Les projets du GPE, mais aussi de la Banque Mondiale, avec son nouveau concept de Learning poverty[4], contiennent souvent des composantes liées à l’évaluation des acquis. C’est parfois un indicateur déclencheur de crédits[5]. D’autres partenaires multilatéraux tels que l’UNESCO et l’UNICEF mais aussi les partenaires bilatéraux appuient la mise en place des systèmes nationaux d’évaluation, qui est devenue un pilier incontournable de l’aide au développement. 

Du côté des pays, les compétences techniques se sont renforcées, des structures et ont été mises en place et les autorités politiques ont pris conscience de l’intérêt d’une mesure régulière de la qualité des acquis, en dehors des examens nationaux. Il y a donc un contexte favorable à l’éclosion et au renforcement des dispositifs nationaux d’évaluation. L’UNESCO (2019) nous instruit sur le potentiel de ces évaluations dites à grande échelle.

Méthodologie de l’étude

La présente étude vise à recenser et analyser les pratiques d’évaluations des acquis (de type diagnostic) conduites dans les 48 pays d’Afrique sub-saharienne[6].

Pour réaliser ce travail, plusieurs sources de données ont été mobilisées. La source des données principale est l’enquête réalisée par le réseau TALENT, reposant sur un questionnaire[7] administré aux points focaux du réseau dans chaque pays, pour lequel 37 pays ont renvoyé une réponse.

Les réponses aux questionnaires ont été complétées (ou identifiées pour les non répondants) grâce à une collecte et analyse d’informations complémentaires basée sur : 

  • La base de données de l’Institut de Statistique de l’UNESCO[8]
  • Les questionnaires administrés dans le cadre du renseignement de l’indicateur 15 du GPE, 
  • La base de données EGRA Tracker[9],
  • Les sites des ministères et structures d’évaluation le cas échéant, 
  • L’analyse des plans sectoriels des pays, 
  • Les sites des programmes internationaux[10],
  • La conduite d’entretiens, 
  • Des recherches en ligne.

Grâce à l’ensemble de ces sources, il a été possible de constituer une base de données unique consolidée, à partir de laquelle ont pu être menées les analyses nécessaires à la rédaction de la présente étude.

Enfin, il est important de préciser que le domaine de l’évaluation des acquis est très dynamique et qu’il s’agit donc ici d’étudier une situation qui est en permanente évolution. Il est important de garder à l’esprit que la présente étude porte sur les données recueillies et communiquées jusqu’à début octobre 2019. 

La participation aux programmes internationaux

Carte 1 : Participation aux programmes internationaux


Source : auteurs et Résultats de l’enquête TALENT (2019).

Il existe plusieurs programmes internationaux de mesure des acquis. Mené depuis 2000 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le PISA teste les compétences et connaissances des élèves de 15 ans. Le Sénégal et la Zambie participent à PISA-D (PISA for Development), initiative lancée en 2013 dont la méthodologie diffère de celle de PISA en proposant des outils d’évaluation renforcés et contextualisés pour les pays en développement[11].

TIMMS est une étude menée par l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire (IEA) qui mesure les acquis en mathématiques et en sciences en quatrième et en huitième année de scolarité. Par ailleurs, elle collecte des informations sur les programmes et la mise en œuvre des programmes, les pratiques d’apprentissage et les ressources de l’école. 

Également menée par l’IEA, l’évaluation PIRLS porte sur la compréhension écrite des élèves. Elle fournit des données comparatives au niveau international sur l’habileté des enfants à lire à la fin de la quatrième année de scolarité obligatoire. Par ailleurs, l’étude collecte également des informations sur l’aide reçue dans la famille, les pratiques pédagogiques et les ressources de l’école dans chaque pays participant. Le Botswana, le Ghana et l’Afrique du Sud participent à TIMSS.

Le consortium SEACMEQ conduit des projets de recherche transnationale à grande échelle pour évaluer les conditions de scolarisation, les niveaux de performance des élèves de 6ème année du primaire et des enseignants en lecture, écriture et calcul, ainsi que les niveaux de savoirs fondamentaux dans le domaine de la santé. L’Angola, le Botswana, le Kenya, l’Eswatini, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, les Seychelles, l’Afrique du Sud, l’Ouganda, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe participent au programme SEACMEQ.

Le PASEC est un outil d’évaluation régionale pour les pays francophones d’Afrique de l’Ouest et d’Asie, mené par la Conférence des ministres de l’Éducation des États et gouvernements de la Francophonie (CONFEMEN). Il fournit des informations sur les performances des systèmes éducatifs en 2ème et 6ème année du primaire, qui contribuent au développement et au suivi de la réussite scolaire dans l’enseignement primaire des pays membres. Le Bénin, le Burkina-Faso, le Burundi, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, les Comores, la République démocratique du Congo, Djibouti, le Gabon, la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, Maurice, le Niger, la République du Congo, le Sénégal et le Togo participent au PASEC.

La participation aux programmes internationaux a des effets bénéfiques sur les systèmes nationaux d’évaluation. Ce sont souvent les mêmes personnes qui réalisent les évaluations internationales et nationales (comme en Côte d’Ivoire) et ce personnel bénéficie donc de formations et d’un accompagnement technique dans le cadre des évaluations internationales qui peuvent être réinvestis dans les évaluations nationales. Ces programmes internationaux participent à la diffusion des techniques de mesure de la qualité mais aussi de celle de la culture de l’évaluation au niveau institutionnel.

Les systèmes nationaux d’évaluation des acquis

Carte 2 : Existence d’une politique nationale d’évaluation

Source : auteurs et Julie Moro (Carte) sur la base de l’enquête Talent (2019)

La plupart des pays disposent ou sont en voie de se doter d’une politique nationale couvrant l’évaluation des acquis des élèves. Seuls 11 pays (23%) déclarent ne pas disposer de politique en ce sens. Pour la plupart des pays, il semble que la question de l’évaluation soit une composante de la politique éducative dans son ensemble ou des plans de développement stratégique du secteur Education (Côte d’Ivoire, Djibouti, Tchad par exemple). 

A l’observation de la carte et des données collectées, on peut dégager certaines tendances : on remarque ainsi que sur les 22 pays ayant indiqué disposer d’une politique nationale d’évaluation, 13 sont des pays anglophones[12] (près de 60% des pays ayant une politique). Peu de pays francophones (seulement 4[13]) ont déclaré disposer d’une politique nationale d’évaluation.

Les évaluations nationales des acquis

Carte 3 : La réalisation d’une évaluation nationale des acquis scolaires      

Source : Auteurs et Julie Moro (carte) sur la base de l’enquête Talent (2019)

Le tableau suivant présente la réalisation des évaluations nationales.

Graphique 1: Réalisation des évaluations nationales.

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 Source : Résultats de l’enquête TALENT (2019).

Sur les 48 pays interrogés, 42 ont répondu. Sur les 42 ayant répondu, 37 ont réalisé au moins une évaluation nationale depuis 2005. 34 de ces ont eu lieu entre 2015 et 2019. D’après ces données, on observe donc une dynamique croissante de la pratique des évaluations nationales au cours des dernières années. Seuls quatre pays (Tchad, République démocratique du Congo, Somalie et Tanzanie) n’ont pas conduit d’évaluation nationale récente. 

Aucune différence significative ne se dégage en fonction de l’aire géographique ou linguistique : la pratique d’évaluations nationales semble se répandre indépendamment de ces facteurs.

Fait intéressant, 15 pays[14] (31%) ont conduit des évaluations nationales au-delà de la 7ème année soit pour l’enseignement secondaire (dans la plupart des cas).

Les évaluations EGRA/EGMA

Carte 4 :Pays ayant participé à une évaluation EGRA

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Source : auteurs et Résultats de l’enquête TALENT (2019).

Depuis 2007, sous l’impulsion de l’USAID, de l’ONG RTI International et de la Banque Mondiale, les enquêtes EGRA[15] et EGMA ont été développées. Elles s’inspirent d’un test américain, le DIBELS[16].

L’observation de la carte ci-dessus montre que les enquêtes EGRA sont couramment utilisées, indifféremment de l’aire géographique ou linguistique.

La situation de la mesure des acquis au niveau du continent africain évolue donc favorablement. Cependant, il existe des écarts importants entre pays en matière de système national d’évaluation. L’aide internationale devrait viser en priorité les pays n’ayant pas d’évaluation nationale. Pour les autres, il convient de les aider à sécuriser les financements et à améliorer leurs méthodes pour un suivi régulier de la qualité de l’éducation.

Recommandations

  1. Favoriser la diffusion des documents techniques et scientifiques sur l’évaluation des acquis en français
  2. Favoriser la réflexion Sud-Sud sur le positionnement institutionnel des structures d’évaluation (partage des organigrammes, missions et statuts)
  3. Organiser des formations sur la théorie de réponse aux items, la création de tests comparables dans le temps et la création d’échelle de compétences
  4. Améliorer l’information sur le financement des évaluations (sources et structure des coûts)
  5. Favoriser la publication en ligne des rapports d’évaluation
  6. Réaliser des mesures régulières de la qualité (tous les 3 ans), notamment lors de la mise en œuvre de réformes curriculaires
  7. Mieux cibler les enseignants dans la diffusion des résultats.

[1]https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/28340/9781464813184.pdf?sequence=71&isAllowed=y

[2] http://gaml.uis.unesco.org

[3] https://www.globalpartnership.org/sites/default/files/gpe-indicateurs-cadre-de-resultats-notes-methodologiques.pdf

[4] https://www.worldbank.org/en/topic/education/brief/learning-poverty

[5] Au Cameroun dans le projet PAREC de la Banque Mondiale, l’indicateur 5 déclencheur de crédits concerne la mise en place d’une structure autonome d’évaluation des acquis scolaires, World Bank (2018b),

[6] Le Soudan n’a pas été intégré à l’étude, n’étant pas considéré par l’UNESCO comme pays d’Afrique sub-saharienne dans les classifications régionales.

[7] Cf questionnaires en Annexe.

[8] http://uis.unesco.org/en/uis-learning-outcomes

[9] https://www.globalreadingnetwork.net/eddata/egra-tracker

[10] PASEC : http://www.pasec.confemen.org/

SACMEQ : http://www.sacmeq.org/

PISA : https://www.oecd.org/pisa/aboutpisa/pisa-en-francais.htm

PIRLS et TIMSS : http://www.pirls.org/

UWEZO : https://www.uwezo.net/

[11] « Les instruments d’évaluation renforcés proposés dans le cadre de PISA-D permettront de mesurer les performances de ces élèves, tout en garantissant la comparabilité de ces résultats avec les données de l’enquête PISA principale. Les questionnaires contextuels renforcés permettront également une meilleure compréhension des modalités d’association entre certains facteurs, tels que le milieu socio-économique des élèves ou l’environnement d’apprentissage en classe, et les résultats d’apprentissage dans différents contextes », PISA pour le développement – Note – 2016/07 (juillet) © OCDE 2016, page 1.

[12] Libéria, Ghana, Nigéria, Ethiopie, Tanzanie, Malawi, Zambie, Zimbabwe, Afrique du Sud, Seychelles, Maurice, Eswatini, Lesotho

[13] Tchad, République centrafricaine, Gabon et Côte d’Ivoire.

[14] Afrique du Sud, Angola, Burkina Faso, Cap-Vert, Ethiopie, Gabon, Gambie, Guinée, Lesotho, Libéria, Namibie, Sao Tomé et Principa, Sierra Leone, Tanzanie et Zambie.

[15] En 2015, 65 pays ont participé à EGRA dans le monde (dans 100 langues), Gove (2015).

[16] https://dibels.uoregon.edu/