APC et Autonomie des établissement scolaires : convergence et interdépendance ?
Par Jean-Emmanuel BUI, consultant indépendant
Cette réflexion fait suite à la lecture d’un article intitulé « Réformes des programmes scolaires et acquisition à l’école primaire en Afrique : mythes et réalités » dans lequel ses trois auteurs[1] interrogent la mise en œuvre progressive de l’approche par compétence dans les programmes de l’enseignement primaire mauritanien et, singulièrement, ses effets sur les acquis scolaires des élèves. Leur analyse montre que l’APC, qui a inspiré les réformes des curricula de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, ne contribue pas à une amélioration sensible des performances scolaires des bénéficiaires.
Partant du cas mauritanien, les auteurs élargissent le propos et discutent la pertinence et l’efficacité de ce modèle souvent présenté comme une alternative crédible aux difficultés rencontrées par les systèmes éducatifs des pays en voie de développement en montrant d’une part qu’il n’est pas une panacée pédagogique, d’autre part qu’il n’est pas nécessairement adapté au contexte éducatif et culturel africain et enfin qu’il est illusoire de penser que la réforme des programmes, seule, peut guérir tous les maux dont souffre un système éducatif.
La présente contribution prolonge la discussion et approfondit l’idée qu’il ne suffit pas d’écrire de nouveaux programmes, fussent ils inspirés par l’APC, pour améliorer durablement la qualité de l’éducation dans les pays du Sud. Dans cette perspective et après les avoir défini, la réflexion se développe à partir de l’analyse croisée de deux visions, l’une pédagogique, l’APC et l’autre politique et administrative, la décentralisation de l’éducation versus autonomie des établissements scolaires.
1. Quelques traits caractéristiques de l’APC et de l’autonomie des établissements scolaires
Il existe des éléments caractéristiques pour chacune de ces deux visions.
– L’APC
Être compétent consiste, dans une situation donnée, à mobiliser et à coordonner un ensemble de ressources pour traiter efficacement la situation.
Cette définition communément admise met en lumière les dimensions clés d’une compétence :
– la situation initiale qui conditionne et déclenche l’exercice d’une compétence adaptée ;
– l’action qui entraine l’individu compétent à agir en mobilisant et en coordonnant des ressources orientées vers la résolution d’un problème ;
– le caractère intégrateur qui met en relation et combine différentes catégories de ressources : des savoirs, des savoir faire ou des savoir être.
Transposée au domaine de l’école, l’APC, après avoir identifié et formulé les compétences requises pour un niveau d’enseignement, met en œuvre des dispositifs qui favorisent leur développement dans la sphère scolaire et, plus largement, dans son environnement.
Le rôle du maître ne se limite pas à la transmission de savoirs mécaniquement appliqués par les enfants dans des exercices scolaires, il va au delà en leur apprenant à combiner savoirs et pratiques pour résoudre des problèmes d’une plus grande complexité. La compétence ainsi acquise s’apparente à la possession d’un bagage conceptuel, affectif, cognitif et psychomoteur qui, au gré des circonstances, s’organisent et se combinent permettant ainsi à son détenteur de faire face et de s’adapter.
– L’autonomie des établissements scolaires
Depuis plusieurs années, il existe, dans les états centralisés, une tendance à la décentralisation qui concerne notamment le domaine de l’éducation. Ce processus de décentralisation de l’éducation emprunte différentes formes qui appartiennent schématiquement à deux grandes catégories : le transfert de compétences de l’état central vers des entités politiques infranationales, la décentralisation proprement dite, et/ou la délégation de pouvoir à des émanations déconcentrées de l’Etat, la déconcentration administrative. Dans les deux cas, l’objectif recherché est de favoriser une convergence entre l’élaboration et la mise en œuvre de la politique éducative et les besoins des bénéficiaires de telle sorte, qu’au final, ces besoins soient mieux satisfaits.
L’autonomie des établissements scolaires est une modalité du processus de déconcentration administrative qui consiste, dans un cadre réglementaire préalablement défini, à donner aux écoles, aux collèges et aux lycées une plus grande marge de manœuvre dans les domaines pédagogiques, administratifs et financiers.
Forts de cette autonomie accrue, les établissements scolaires n’agissent plus seulement en conformité mais davantage en efficacité parce qu’ils sont en mesure d’adapter la politique éducative nationale aux spécificités de leur environnement : la communauté éducative, les particularismes culturels, sociaux et économiques.
2. Convergences entre APC et autonomie des établissements scolaires
Il existe des convergences évidentes entre l’APC et l’autonomie des établissements scolaires.
– Deux visions centrées sur l’individu
L’une et l’autre de ces deux approches font une place prépondérante aux individus qui en sont à la fois la finalité première et les principaux artisans.
L’APC opère un renversement majeur, le passage d’une logique de l’enseignement à une logique de l’apprentissage. Pour se faire, la pédagogie active entraine l’apprenant dans la construction progressive de ses compétences.
De son côté, l’autonomie de l’établissement scolaire s’enracine dans la communauté éducative et, partant de cette réalité humaine et sociale, l’école participe, avec d’autres, à un processus de coproduction de la politique d’éducation du pays.
– Deux approches qui privilégient le contexte
L’autonomie scolaire, comme l’APC, privilégie un mouvement ascendant dans lequel prévaut le réel.
Avec l’APC, c’est une situation donnée qui déclenche et détermine l’exercice d’une compétence. La compétence se déploie parce qu’une situation lui préexiste et cette situation donne alors du sens aux savoirs et au savoir faire mobilisés.
L’autonomie scolaire se développe à l’identique en prenant appui sur l’implantation d’une école qui n’est, ni virtuelle, ni théorique. C’est d’ailleurs à partir de cette implantation singulière que l’école va construire sa « stratégie éducative » en lien direct avec la réalité.
De ces deux approches, on peut attendre réalisme, pragmatisme et, peut être, efficacité.
– Deux visions orientées vers l’action
L’APC ne transmet pas seulement des savoirs, elle va au delà en développant une véritable capacité à agir qui se concrétise notamment dans la résolution de problème.
Il en est de même pour l’autonomie des établissements scolaires qui leur impose d’agir en fonction des spécificités de leur environnement.
– Deux processus vers davantage d’autonomie
Dans le cas de l’APC, il s’agit de l’autonomie du sujet qui prend la mesure de l’espace environnant et du temps, devenant ainsi apte à trouver des solutions aux problèmes qui se posent à lui. Si l’objectif de l’école a toujours été, au moins dans les discours, de livrer à la société des individus autonomes, on peut penser l’APC comme un accélérateur d’autonomie. Elle apprend à faire des liens, elle donne du sens aux apprentissages et elle favorise leur réinvestissement en dehors de la sphère scolaire. Avec l’APC, l’école préfigure le monde facilitant ainsi la confrontation avec la vraie vie.
Dans le processus d’autonomie des établissements scolaires, l’école possède des capacités d’ajustement qui rendent possible des actions adaptées aux profils des élèves, aux besoins de formation des enseignants, à l’implication des parents ou à son ouverture sur le monde. Tout n’est pas permis, le pouvoir central conserve certaines prérogatives mais, dans un espace aux contours circonscrits, l’école peut, elle aussi, s’adapter au contexte environnant.
3. APC et cadre institutionnel
Un « faisceau de convergences » indique clairement que ces deux visions ascendantes partagent des caractéristiques communes qui les rendent compatibles, complémentaires et, vraisemblablement, interdépendantes. On comprend aisément qu’une approche pédagogique centrée sur l’individu, orientée vers l’action, prenant en compte l’ensemble des déterminants d’un contexte et favorisant l’autonomie et la responsabilité trouve un terrain favorable à son émergence dans un cadre institutionnel qui prend racine dans ces mêmes principes. Qu’en est il en revanche de la même approche dans un cadre institutionnel qui les ignore ?
La question de la définition d’un cadre institutionnel favorable au développement de l’APC peut se poser de manière pertinente et légitime.
Plusieurs observations constituent des pistes à explorer :
Si l’APC est née et a prospéré dans des états d’essence fédéraliste comme le Canada, les Etats Unis ou la Suisse, c’est peut être parce que les systèmes qu’ils engendrent font une place prépondérante à l’individu, à la communauté et à l’environnement, favorisant ainsi la proximité et l’adaptabilité.
Une étude réalisée en 2009 sur les réformes curriculaires par l’APC dans 5 pays d’Afrique francophone et coordonnée par le CIEP met en lumière le faible impact de ces réformes au regard des performances scolaires obtenues par les élèves bénéficiaires.
Diverses raisons sont avancées parmi lesquelles le manque d’accompagnement de la réforme et le caractère inadapté du cadre institutionnel. Si le centralisme traditionnel de ces pays n’est pas directement mis en cause, il semble d’une part que l’accompagnement par l’institution fait défaut et d’autre part que les écoles ne sont pas en mesure de s’approprier et d’adapter la réforme à leur public spécifique.
On ne peut évidemment rien conclure à partir de ces observations mais la question est posée et à travers elle une explication possible de l’échec relatif de certaines réformes curricuaires par APC.
Cadre institutionnel ou non les canadiens ne sont pas si satisfaits de l’APC, même s’ils prônent leur modèle partout en Afrique. En primaire, pas besoin d’un programme basé sur l’APC pour comprendre que des enfants ont besoin d’expérimenter et de s’épanouir par davantage de travaux pratiques. Toujours est-il que le modèle de l’APC a la fâcheuse tendance à mettre de côté la base qui permet par la suite de traiter une situation contextuelle, à savoir les connaissances. L’APC devient une méthode intéressante au niveau du lycée et surtout de l’enseignement supérieur, mais en primaire l’enfant doit absorber des connaissances de base essentielles! il doit les mettre en pratique bien sur mais pas besoin d’APC pour ça: de la résolution de problèmes, des exercices et un peu d’imùagination… on avait tout ça avant…
Avant de réformer un programme, on s’assure d’abord que nos enseignants sont bien formés, que les écoles sont correctement dotées en matériel, que les cantines sont en nombre suffisant! L’argent de l’APC aurait du être destiné à cela. Pour ce qui est de l’autonomie des établissements… c’est une très bonne chose! tant que le niveau des élèves reste le même, les moyens de réussite doivent dépendre du public… on a bien vu ce que donne le modèle de l’établissement scolaire unique en France et l’inadaptation aux besoins spécifiques de certains élèves.
Merci du commentaire. “les canadiens ne sont pas si satisfaits de l’APC” source, ref. ?et les belges ?
Plusieurs éléments pour répondre au commentaire de Vanessa:
– je fais l’hypothèse que le manque d’efficacité de l’APC peut être lié au cadre institutionnel, notamment dans les pays tradditionnellement centralisés. Il s’agit d’une explication parmi d’autres que je ne peux ignorer;
– Par ailleurs, il existe différentes approches de l’APC dont certaines insistent dans un premier temps sur l’acquisition des savoirs et des savoir faire de base (les ressources des compétences) et dans un second temps sur l’intégration de ces savoirs et de ces savoir faire dans des situations complexes. Dans ce premier cas de figure, la “base” est assurée.
D’autres conceptions de l’APC, en revanche, considèrent que les savoirs et les savoir faire de base sont acquis par les élèves au moment même où ils travaillent sur les situations complexes. Dans ce deuxième cas de figure, les élèves faibles et moyens éprouvent de grandes difficultés parce qu’il leur faut acquérir les ressources de base simultanément à la résolution d’un problème qui les mobilisent. Il faut ajouter que cette seconde approche déroute également les enseignants qui ne savent plus très bien de quelle manière ils doivent s’y prendre.