L’article vise montrer les impacts sur l’éducation des solutions énergétiques mises en place dans les zones rurales en Afrique.
Par Quentin Peries-Joly et Heloisa Mazza
L’éducation et l’électricité dans les ODD
Parmi les 17 Objectifs du Développement Durable (ODD), l’un des objectifs (ODD 4) fixe l’horizon à atteindre avec un accès universel, pour enfants et adultes, à une éducation de qualité. Pour atteindre cet objectif, il faut qu’une infrastructure minimale soit mise à disposition de l’établissement scolaire, ainsi qu’à toute la communauté de manière générale. Parmi les indicateurs de l’objectif 4.a.1 on retrouve la proportion d’établissement scolaires qui offrent des services essentiels, dont l’électricité.
D’autres objectifs du Développement Durable portent sur le développement local de manière plus structurelle, créant ainsi des d’autres bénéfices dans la société. Parmi les mesures politiques qui impactent positivement l’enseignement, nous avons l’ODD 7, qui vise à donner accès à une électricité propre à un prix abordable de façon universelle. Cela favorise l’éducation de manière directe, car l’établissement scolaire peut bénéficier de l’électricité et donc des cours du soirs ou des cours sur des ordinateurs et internet. L’accès à l’énergie a aussi un impact indirect car les étudiants peuvent utiliser des machines et internet en dehors de l’école afin de créer ou développer une entreprise ou encore de développer leurs capacités à créer de la valeur.
Pour comprendre les défis liés à l’électricité et l’éducation, regardons la situation de deux pays africains, la Tanzanie et Madagascar.
La situation énergétique des écoles rurales en Afrique
En Afrique Subsaharienne, la plupart des écoles en zones rurales ne sont pas électrifiées. 39% des écoles primaires le sont selon les derniers chiffres de l’Institut de Statistiques de l’UNESCO (2018) contre 100% en Asie Centrale et 69% à l’échelle de la planète. Un changement imminent de trajectoire est attendu d’ici 2030, notamment à travers les 17 Objectifs de Développement Durable. Cependant, il y a plusieurs raisons qui ralentissent voire entravent le processus d’électrification dans les zones rurales.
La première concerne le cout très élevé du réseau national, entre 30 000 et 50 000 dollars du km. Cela coute 1 million de dollars pour connecter à l’électricité un village qui est à 30 km du réseau national.
La seconde raison est la faible puissance des petites installations solaires, comme les kits solaires qui alimentent quelques ampoules ou chargeurs de téléphones. Ils ne permettent pas de connecter de plus grosses machines comme des outils pour artisans ou des machines agricoles.
La troisième raison concerne les générateurs diesel : ils sont très couteux, polluants et l’approvisionnement en diesel est parfois difficile.
D’après les données présentées ci-dessous, le manque d’électrification est une problématique constante dans la plupart des territoires africains.
Dans certains pays comme le Tchad, moins de 10% de la population a accès à l’électricité. À Madagascar, ce chiffre est de 22,9%, ce qui représente19 millions de personnes. En Tanzanie, les circonstances sont à peu près similaires. Voici une carte de l’électrification du pays par région.
D’après la carte ci-dessus, l’électrification du pays est très loin d’être satisfaisante. Dans un total de 26 régions, seulement cinq régions ont un meilleur taux d’accès à l’électricité qui est plus grand que 50%. Le manque d’accès à l’électricité ralentie la Tanzanie d’une manière générale. Mais la situation est encore plus pénible dans les zones rurales, qui, d’après l’UNESCO, recouvre 66% du territoire du pays. Nous n’avons pas trouvé de donnée sur le site du Ministère de l’Éducation relative au pourcentage d’écoles électrifiées en Tanzanie. Les informations principales à ce propos ont été observées dans les rapports consultés sur le site du Ministère de l’Agriculture.
Selon le rapport Energy Access Situation Report 2016, il y a une corrélation très forte entre l’accès à l’électricité, les niveaux d’éducation et l’économie. Le rapport souligne que les agriculteurs alphabétisés ayant au moins reçu une éducation primaire sont considérés comme plus productifs et plus sensibles aux nouvelles technologies agricoles que les agriculteurs analphabètes. L’éducation et l’électricité leur permet d’augmenter leur productivité et donc leurs revenues.
Les avantages de l’éclairage électrique
De façon générale, les avantages de l’éclairage électrique, ainsi que de la mise à disposition de Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) fonctionnelles et ceux de l’amélioration de l’enseignement sont des facteurs qui contribuent à une évolution des résultats scolaires : des taux d’inscription plus élevés, de meilleurs taux d’achèvement, moins d’absentéisme et l’obtention de scores aux tests plus élevés. Le graphique ci-dessous nous montre comment l’accès à l´électricité est positivement corrélée avec le taux d’achèvement du primaire (UNDESA, 2014).
L’électrification apporte plusieurs avantages pour une meilleure éducation. Il s’agit notamment d’amélioration au niveau :
- de la sécurité (par exemple, en raison de l’éclairage public) ;
- de l’accès aux technologies de communication (radio, télévision, internet) ;
- des opportunités accrues de développement économique / de revenu grâce à l’utilisation de machines ;
- de la santé grâce à des centres de santé, cliniques et hôpitaux qui ont les moyens d’offrir des soins de plus grandes qualités et donc de garder les enfants en bonne santé.
Les données disponibles actuellement ne permettent pas encore d’analyser la performance des élèves mais d’analyser le niveau d’études. En effet, il faudrait que l’électrification atteigne un niveau plus important d’écoles pour qu’une recherche plus large soit menée. Pourtant, sur un plan micro, ce qui est déjà une évidence c’est le ressenti des professeurs à propos des élèves. Ils reconnaissent des effets positifs quant à la performance, la fréquentation et la motivation des élèves (Wagner, Seo, & Aelvarsdóttir, 2017). L’amélioration de l’ambiance d’apprentissage apporte des bénéfices éducationnels pour les élèves ainsi que pour les professeurs. Une autre conséquence constatée est l’impact sur les inégalités liées au genre. Dans un grand nombre de cas, les garçons reçoivent des formations scolaires de plus grande qualité que leur camarades filles. Ils sont plus souvent envoyés dans des écoles privées ou dans les écoles des centres-villes. Les filles quant à elles sont plus généralement envoyées dans les écoles rurales, avec un enseignement de mauvaise qualité et peu d’opportunités à l’issue.
Augmenter le niveau d’éducation dans les zones rurales par l’électrification crée donc un impact positif sur l’éducation des filles. L’électrification des écoles est également le premier pas vers l’accès à internet, soit dans les écoles, soit dans les foyers. En termes pédagogiques, internet permet un apprentissage plus diversifié et mieux adapté pour enseigner des contenus de façon plus concrète. Il s’agit d’un véritable atout pour les enseignants, que ce soit lors des cours, ou pour la préparation des enseignements.
Pour les élèves, cela permet d’améliorer l’accès à des informations en plus grande quantité et de meilleure qualité et donc d’ouvrir et d’approfondir leurs esprits. L’accès à une énergie propre, abordable et fiable n’est pas aisé dans les zones rurales. Mais avec les progrès techniques et un soutien des secteurs privés et publics, des solutions émergent rapidement ces dernières années.
Les meilleures approches énergétiques
Comme réponse au besoin de l’électrification des villages isolés, la meilleure solution sont les mini-grid solaires ou hydroélectriques. À savoir, un mini-grid est un mini réseau électrique, une petite unité de production locale d’électricité (entre 10kW et 1MW), alimentée par une ou plusieurs sources et isolée du réseau national (on parle alors de off-grid, ou hors réseaux). Ils fonctionnent de façon autonome et distribuent l’électricité localement aux foyers et entreprises présentes dans le village.
Mais dans beaucoup de cas la maintenance n’est pas assurée par des ONG ou les programmes d’agences de développement qui ont installés ces petites infrastructures. Cela se traduit souvent par un arrêt de leur fonctionnement dans les trois années qui suivent leur installation.
Les meilleurs systèmes sont donc des mini-grid opérés par deux types d’acteurs qui ont des compétences et des budgets pour assurer la maintenance : la communauté locale quand cela est possible ou des entreprises privées, locales ou internationales, comme c’est le cas d’Engie PowerCorner. On observe que cette approche impacte directement le fonctionnement du système éducatif dans les villages et stimule le développement de la communauté.
Les challenges
Les coûts de ces infrastructures imposent de fixer des tarifs d’électricité qui peuvent être élevés si ceux si ne sont pas subventionnés par les états ou agences de développement qui par ailleurs subventionnent très largement les réseaux de transport d’électricités classiques et qui ne sont pourtant pas adaptés aux zones rurales. Il est donc fondamental que les agences de développement rassemblent plus de subventions pour aider à faire baisser les tarifs et permettre à tous de consommer une électricité très abordable. Heureusement dans de nombreux cas, les mini-réseaux, communautaires ou privés, offrent des tarifs plus avantageux aux institutions de service publiques comme les écoles ou les centres de santé.
Le cout élevé de l’électricité non subventionnée
Les coûts de ces infrastructures imposent de fixer des tarifs d’électricité qui peuvent être élevés si ceux si ne sont pas subventionnés par les états ou agences de développement qui par ailleurs subventionnent très largement les réseaux de transport d’électricités classiques et qui ne sont pourtant pas adaptés aux zones rurales. Il est donc fondamental que les agences de développement rassemblent plus de subventions pour aider à faire baisser les tarifs et permettre à tous de consommer une électricité très abordable. Heureusement dans de nombreux cas, les mini-réseaux, communautaires ou privés, offrent des tarifs plus avantageux aux institutions de service publiques comme les écoles ou les centres de santé.
La distance entre les écoles et les centres de villages
Les écoles ne sont pas toujours dans les centres des villages car certaines d’entre elles ont été récemment construites, sur de grands terrains disponibles. Par conséquent, les écoles sont parfois à plusieurs centaines de mètres voire kilomètres des centres des villages, ce qui implique l’extension des réseaux de distribution en dehors des villages. Or, la partie réseau de distribution, qu’elle soit aérienne ou souterraine représente la plus importante part d’investissement dans les infrastructures électriques. Il peut donc être très couteux de connecter une école à l’électricité.
La faible consommation électrique des écoles
Les écoles ne consomment que peu d’électricité car elles n’ont pas besoin de machines énergivores et les séances de cours ont lieu en journée. Il n’est donc pas forcément intéressant économiquement d’étendre les réseaux de distribution pour une consommation très faibles qui ne permettraient pas de rembourser rapidement les investissements.
Une solution en concertation avec l’Agenda 2030
La solution pour inciter l’extension des mini réseaux aux écoles lointaines peut être l’installation des machines proches de l’école. Deux possibilités seraient la création des moulins à farine, très consommateurs d’énergie et présents dans la plupart des villages ruraux, ou des ateliers de formation professionnelle pour enseigner l’usage de l’artisanat ou du travail du bois et du métal. Dans le cadre de l’électrification des zones rurales, l’éducation n’est pas la seule le seul bénéficiaire de cette transformation. L’accès à une énergie propre et abordable permet de débloquer le potentiel de développement durable et inclusif de la population en favorisant la création de richesse bénéficiant au plus grand nombre tout en préservant l’environnement.
L’électrification d’un village rural décuple les opportunités d’emplois et d’entreprenariat dans des zones où les étudiants sont souvent tentés d’essayer leur chance dans les villes, loin de leur famille et où les emplois sont difficiles à obtenir et ou les conditions de vies sont souvent plus dures. Cela appuie la pertinence des projets d’électrification rurales dans les pays en voie de développement. La mise en place de mesures qui visent à investir dans l’énergie propre à un prix abordable apporte des bénéfices importants sur l’éducation. Cependant, plus on creuse le sujet, le plus on observe que la route à suivre est très longue.
Après cette brève analyse, nous partageons avec vous le court-métrage Black Out. Cette production de 2012 nous donne un petit extrait de l’impact extrêmement négatif du manque d’électricité et nous montre le lien entre les questions énergétiques et l’éducation. Malheureusement, huit ans après sa sortie elle semble représenter encore la situation actuelle et renforce l’importance d’avoir l’électricité à portée de main.
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