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Interview de Guillaume Husson sur les évolutions du Pole de Dakar

Propos recueillis par Pierre Varly

Le mercredi 14 octobre 2020

Qui êtes-vous Guillaume Husson ? Quel est votre parcours ?

Je suis diplômé d’un Master en développement et coopération internationale au département de sciences politiques de l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne et d’un titre d’ingénieur-maître en gestion et management des organisations éducatives à l’Université de Bourgogne à Dijon. J’ai été assistant du chef d’un projet d’appui à la réforme du système éducatif mauritanien de la coopération française puis assistant technique au Ministère des enseignements primaire et secondaire au Bénin où j’ai appuyé la mise en place d’une évaluation des acquis des élèves en fin de cycle primaire ainsi que l’élaboration du plan de développement du système éducatif 2006-2015. Ensuite, j’ai rejoint le Pôle de Dakar du Bureau régional de l’UNESCO pour l’éducation en Afrique (BREDA) en 2007, en tant qu’analyste des politiques éducatives, puis coordonnateur par intérim entre 2012 et 2014 avant d’être nommé officiellement coordonnateur. J’ai quitté le Pôle de Dakar (IIPE-UNESCO Dakar) en juin 2020 pour rejoindre le poste de Chef du secteur éducation du Bureau régional de l’UNESCO pour l’Afrique de l’Ouest (Sahel) de Dakar.

Le Pôle de Dakar était jusqu’à octobre 2013 une section du BREDA avant de devenir un bureau de l’Institut International de Planification de l’Education de l’UNESCO (IIPE-UNESCO)

Quel est l’historique du Pôle de Dakar ?

Le Pôle est né en septembre 2001 sous l’impulsion du Ministère des affaires étrangères français et suite au forum de Dakar tenu en 2000 où s’était dit que « Partout où les processus sont engagés dans le cadre d’un plan crédible, les partenaires de la communauté internationale s’engagent à œuvrer de manière conséquente, coordonnée et cohérente pour apporter sa contribution à l’effort national ».

Derrière la notion de crédible, on mettait surtout en avant les aspects financiers, le plan devait être financé par les ressources domestiques avec un gap pris en charge par les PTFs ; mais aussi les aspects physiques de capacité de mise en œuvre. Le Pôle a été mis en place pour les pays africains afin de premièrement réaliser des diagnostics ou analyses sectorielles (de type RESEN) et fournir des éléments factuels aux décideurs pour orienter la politique éducative.

Ensuite, voir avec les pays et les décideurs, quelle était la vision à moyen terme et le cadrage macro financier des politiques.

Il y avait au départ deux personnes qui mettaient en œuvre la méthodologie de type RESEN dans les pays africains en lien essentiellement avec la Banque Mondiale, et un de ses experts était lui-même à l’origine du développement de cette méthodologie avec d’autres chercheurs de l’Université de Bourgogne à Dijon et notamment de l’IREDU.

Entre 2002 et 2007, le Pôle était peu assimilé à l’UNESCO et vu comme un outil de la coopération française avec un lien fort avec la Banque Mondiale. Le Pôle se focalisait uniquement sur les aspects économiques et financiers pour juger de la crédibilité des plans sectoriels.

A partir de 2007, le Pôle est composé d’environ 10 personnes en majorité des coopérants détachés du Ministère français des affaires étrangères. Les collaborations avec la Banque Mondiale étaient toujours existantes mais commençaient à se faire un peu plus rares.

Suite à la réforme de l’Aide Publique pour le Développement française, le financement de la France pour le Pôle de Dakar est passé sous gestion de l’AFD à partir de 2010. Or, l’AFD gère de façon différente par rapport au MAE et remet les fonds directement à l’organisation pour recruter du personnel. Ce mécanisme a permis de passer l’ensemble des personnels du Pôle de Dakar sous contrat UNESCO, sans contrainte de ciblage particulier d’une nationalité. Ainsi, des statisticiens et économistes africains ont pu être recrutés entre 2010 et 2013, une expertise africaine pour le développement de l’éducation en Afrique.

Le second tournant est le rattachement à l’IIPE fin 2013. Plusieurs options étaient envisagées dans le cadre de la réforme UNESCO pour l’Afrique avec un passage d’un bureau régional pour l’éducation (le BREDA) à 5 bureaux régionaux multisectoriels en Afrique. Le bureau de Dakar devenait multisectoriel et couvrait seulement 7 pays avec la réforme.

Une évaluation externe en 2012 a recommandé, entre autres propositions, une évolution du rattachement institutionnel au sein de l’UNESCO qui permette au Pôle de devenir un institut spécialisé. 3 options ont été exploitées en interne à l’UNESCO : i) être rattaché à la sous-direction générale de l’éducation de l’UNESCO à Paris, ii) à l’Institut Statistique de l’UNESCO (ISU), et iii) à l’Institut International de Planification de l’Education (IIPE-UNESCO). Les deux options relatives à l’ISU et l’IIPE répondaient également du fait que l’ISU produit des données, le Pôle de Dakar les traite et les analyse en vue de donner des éléments factuels, et que l’IIPE appuie la planification des politiques éducatives sur la base de ces éléments factuels.

Au final, le choix de rattacher le Pôle à l’IIPE a été fait, et ce rattachement a été effectif en octobre 2013 avec comme corollaire, une diversification des sources de financements (notamment de l’UENSCO, la Norvège, la Suède, l’Argentine et la Suisse), plus de champs d’interventions (appuis post-analyse sectorielle et cadrage macro financier de la politique éducative future, RESEN avec des appuis directs sur l’élaboration de plans sectoriels en éducation), entre autres. Avec l’appui de l’AFD, une plateforme d’expertise en formation professionnelle notamment a été mise en place pour appuyer la mise en œuvre de réforme des systèmes d’EFTP en Afrique avec par exemple des appuis sur la mise en place de cadres de concertation régionaux entre le secteur économique privé et le secteur public en Mauritanie, en vue d’identifier les besoins de main d’œuvre, de formation, d’élaborer les offres de formation et de les délivrer avec implication du secteur privé. Elle intervient aussi sur les aspects analytiques et de planification du sous-secteur.

Toujours avec l’appui de l’AFD, l’IIPE-UNESCO Dakar (Pôle de Dakar) a aussi initié un programme sur le pilotage de la qualité à l’enseignement de base et a développé une méthodologie davantage sur les aspects qualitatifs sur les interactions entre les différents acteurs en charge du pilotage de la qualité du niveau central jusqu’au niveau déconcentré et niveau école.

Cela a permis de renforcer l’expertise et de la diversifier. De 15 personnes environ en 2015, le Bureau de l’IIPE à Dakar (Pôle de Dakar) est maintenant à environ 30 postes avec une diversité plus grande des profils. Par exemple, récemment, l’IIPE-UNESCO Dakar a bénéficié d’une nouvelle expertise avec des spécialistes du genre dans le cadre de l’initiative GCI (Gender at the Centre Initiative).

L’IIPE-UNESCO Dakar est le nouveau nom du Pôle de Dakar avec 3 axes majeurs d’intervention : i) la coopération technique (processus de planification sectorielle de l’éducation, appuis spécifiques en EFTP, en pilotage de la qualité et sur le genre) ; ii) les formations avec la formation phare depuis 2007 en Politiques Sectorielles et Gestion des Systèmes Educatifs (PSGSE) à destination des cadres africains en charge du pilotage de l’éducation et dispensé conjointement avec l’Université de Dakar et l’Université de Gambie pour la version anglophone (à compter de 2011 mais dont le partenariat s’est arrêté en 2018) mais aussi à travers le développement d’une nouvelle formation sur la pilotage et la gestion de l’EFTP (PGEFTP) en vue de répondre aux besoins de gestion spécifique du sous-secteur et d’autres formations courtes en fonction des demandes des pays mais aussi sur le genre ; iii) la recherche et le développement..

Dans les analyses sectorielles, on se focalise beaucoup sur les aspects économiques, mais ne devrait-on pas parler aussi de pédagogie ? Est-ce que l’IIPE-UNESCO Dakar n’est pas trop centré sur les aspects économiques ?

C’est vrai que l’IIPE-UNESCO Dakar est axé sur les aspects économiques (dans un sens large, c’est-à-dire non seulement financiers, mais aussi humains, physiques et opérationnels), mais cela a évolué et évolue. Un 3ème volume du guide méthodologique en analyse sectorielle a été développé avec une méthodologie d’analyse institutionnelle mise en œuvre par exemple dans le cadre de l’analyse sectorielle en Guinée, aussi des méthodologies d’analyse des parties prenantes et en analyse des risques et vulnérabilités. Ces méthodologies sont développées conjointement avec l’UNICEF, la Banque Mondiale, la DFID et le GPE.

Dans le cadre de la Covid-19 et de la résilience des systèmes éducatifs aux crises, l’apprentissage à distance devrait également être un sujet à aborder par l’IIPE de mon point de vue.

Avant que je ne quitte l’entité, des discussions étaient en cours pour renforcer les analyses qualitatives. En effet, il existe des bonnes analyses sectorielles et des bons plans sectoriels de l’éducation mais dont la mise en œuvre est défaillante. Pourquoi des actions concernant des réformes ne sont pas mises en œuvre et sont répétées d’une période à une autre dans les plans ?

Pourquoi ces actions n’ont pas été mise en œuvre ?

Il faudrait donc identifier les freins relatifs à la mise en œuvre de ces réformes, à différents niveaux (çà peut être des freins religieux, culturels, politiques, etc.). Identifier ces freins permettraient de donner des éléments factuels aux décideurs en vue de réorienter certaines réformes ou même de les supprimer carrément. Une méthodologie a déjà été développée pour le secteur EFTP, mais devrait être généralisée au cours des prochains mois.

L’IIPE-UNESCO Dakar s’intéresse aussi à l’interaction entre les acteurs du niveau central au niveau déconcentré et école sur le pilotage de la qualité, notamment au Niger, Sénégal, Madagascar et Burkina Faso. L’idée est d’identifier des bonnes pratiques et d’élaborer des feuilles de route mises en œuvre par la suite et visant in fine à améliorer la qualité et son pilotage et avoir un impact au niveau des acquis des élèves.

Ces nouveaux aspects sur le pilotage de la qualité sont prévus d’être intégrés progressivement dans le cadre des analyses sectorielles. Cela avait d’ailleurs été discuté et prévu pour l’analyse sectorielle qui sera menée au Gabon par exemple.

L’IIPE-UNESCO Dakar doit s’atteler à appuyer, dans le cadre de processus de planification sectorielle de l’éducation, l’identification des freins et barrières à la mise en œuvre de certaines réformes politiques éducatives.

 Cela renvoie au suivi évaluation. Il y a très peu de rapports de performance du secteur, avec un état des mesures mises en œuvre. Est-ce que le Bureau de l’IIPE-UNESCO à Dakar ne devrait pas aider à faire ces rapports de performance pour améliorer le suivi des politiques ?

Les rapports de performance sont importants mais lourds à mettre en œuvre de manière annuelle et l’IIPE dans son ensemble (3 Bureaux qui collaborent étroitement), de mon point de vue, ne semble pas en capacité d’appuyer ces rapports de performance tous les ans et dans tous les pays sachant qu’il y a beaucoup de requêtes des pays qui émanent et pour lesquelles il est difficile de mobiliser de l’expertise en nombre suffisant. Les demandes sont très fortes. Ces rapports de performance relèvent plutôt de la responsabilité des pays et des groupes de PTF locaux et j’imagine qu’il est difficile pour l’IIPE et son bureau à Dakar d’augmenter considérablement son champs d’activités. Par contre, mon opinion personnelle est que l’IIPE pourrait analyser plus en profondeur ces rapports de performance des pays au moment d’appuyer un nouveau processus de planification sectorielle afin d’en tenir mieux compte dans l’analyse et le développement du plan sectoriel.

Le Bureau à Dakar reçoit beaucoup de requêtes des pays et systématiquement, une mission d’identification est opérée dans les pays demandeurs afin de mieux préciser la demande mais aussi en vue de conseiller les autorités sur ce qui peut être fait en tenant compte réellement des besoins. Par exemple, la Côte d’Ivoire a demandé une mise à jour de sa politique sectorielle notamment par l’élaboration d’un nouveau plan d’actions opérationnelle et demandait également une analyse sectorielle. Il a été conseillé de mener une analyse sur des éléments clés visant à élaborer le plan d’action mais surtout d’ajouter à l’appui une analyse des freins pour expliquer la non mise en œuvre de certaines réformes pour le système éducatif à travers des entretiens et des focus groupes avec un large éventail d’acteurs du système éducatif du niveau central au niveau déconcentré et école.

Le problème concerne les délais. Très souvent, il est demandé de faire des processus de planification sectorielle en moins de temps, mais dans un même temps, on voit qu’il y a plus de besoins en termes d’analyse et d’étapes ce qui ne permet donc pas de raccourcir ces délais. Il convient donc de voir avec les pays comment pourrait être mieux réparties les tâches entre les différents acteurs du système afin qu’un nouveau processus de planification sectorielle n’entrave pas en parallèle la mise en œuvre en cours de la politique éducative.

Dans l’analyse sectorielle du Niger, on a juste deux pages sur les syndicats d’enseignants. Est-ce que les syndicats, les APE sont vraiment associés à ces analyses ?

Cela varie d’un pays à un autre et de la volonté de chaque pays. A ce stade, au niveau des analyses, on peut impliquer les différents acteurs du système éducatif. Notamment sur les réformes pensées au niveau central et leur mise en œuvre sur le terrain ou sur les aspects qualitatifs et les points de blocage. C’est ce qu’on a proposé à la Côte d’Ivoire.

Sur la gouvernance du Bureau de l’IIPE à Dakar, comment cela se passe-t-il ?

Avant, le Pôle de Dakar était financé par l’AFD comme un projet et il y avait donc un comité d’orientation qui se réunissait chaque année pour faire le bilan de l’année écoulée et les prévisions pour l’année à venir.

Après le rattachement à l’IIPE, c’est le conseil d’administration de l’IIPE qui prend et valide les décisions. Mais dans un premier temps, étant donné le financement de l’AFD toujours sous forme de projet, le comité d’orientation a été maintenu jusqu’en 2018 et alimentait le conseil d’administration de l’IIPE.

En 2019, suite à une évaluation externe de l’IIPE-UNESCO Dakar, il a été décidé que l’AFD finance le core funding de l’IIPE, c’est-à-dire participe à travers un appui budgétaire global, sans ciblage, alimenté également par la Norvège, la Suède, l’Argentine et la Suisse. L’AFD a accepté de devenir le 5ème financeur de ce core funding et le MEAE apporte aussi des financements. Ainsi, le comité d’orientation du Pôle de Dakar a disparu ce qui permet également d’avoir une intégration complète à l’IIPE et de devenir un bureau à part entière de l’IIPE. L’AFD a donc également un intérêt marqué pour le siège de l’Institut mais aussi pour le Bureau à Buenos Aires pour l’Amérique Latine étant donné l’évolution de leur positionnement croissant pour l’éducation sur ce continent.