Monsieur Sack, vous avez été secrétaire exécutif de l’Association pour le Développement de l’Education en Afrique. Que fait cette organisation ?
Tout d’abord il faut noter que j’ai quitté l’ADEA en fin de 2001 après six années en tant que secrétaire exécutif. Il est utile de ne pas voir l’ADEA comme une organisation mais, plutôt, comme un réseau. Certes, l’ADEA a un budget, des employés et des activités. Mais, l’ADEA n’a pas de personnalité morale, physiquement et juridiquement elle existe sous le toit d’une autre organisation (d’abord l’IIPE-UNESCO, actuellement la BAfD).
Agissant en réseau, l’ADEA vise à promouvoir le dialogue entre acteurs concernés par les politiques éducatives en Afrique—hauts responsables africains, les agences de développement, chercheurs en éducation, ONG … Il s’agit surtout de dialogue informé par la recherche, un dialogue « evidence-based ». A cette fin, l’ADEA organise des réunions périodiques où assistent ces acteurs, surtout les ministres de l’éducation.
Dans quels domaines, cette association a-t-elle eu une influence sur les politiques éducatives ?
Surtout, je pense, sur la qualité de la relation, du dialogue entre décideurs africains et leurs partenaires internationaux de développement. Grace à l’ADEA ce dialogue est plus franc, plus direct et caractérisé par une meilleure compréhension mutuelle des atouts et des contraintes des uns et des autres. Je pense également à l’éducation des filles car le FAWE a été créé au sien de l’ADEA, ce qui a permis au FAWE un accès inégalé aux décideurs et leurs partenaires créant ainsi un dynamique pour l’éducation des filles qui s’est bien traduit dans les chiffres. De façon plus modeste, l’ADEA, à travers ses groupes de travail, a contribué à l’amélioration systématiques à la qualité des statistiques de l’éducation, à un rééquilibrage des rapports des forces autour des politiques des manuels scolaires.
Les efforts de l’ADEA dans le domaine de la communication pour l’éducation visent à avoir une influence indirecte sur les politiques éducatives. Après avoir organisé des conférences de haut niveau sur l’importance de la communication, l’ADEA a organisé des sessions de formation de journalistes se spécialisant dans l’éducation et a créé un prix (le prix Akin Fatoyinbo) pour les meilleurs articles de presse (africaine) sur l’éducation.
Quel regard portez-vous sur l’éducation en Afrique ? Quels sont selon vous les progrès enregistrés depuis 2000 et les défis à relever ?
Je préfère parler de l’éducation dans tel ou tel pays. Après avoir noté l’accroissement des effectifs et des taux de scolarisation en général et ceux des filles en particulier, il devient hasardeux de faire des grandes généralisations à l’échelle d’un si grand continent.
Les objectifs de l’EPT et plus récemment SDG sont relativement généraux. Il y a plusieurs tentatives de définition de standards de qualité par l’UNESCO, l’UNICEF et GPE, entre autres, mais il n’y a pas à l’échelle de l’Afrique un cadre précis sur les conditions de scolarisation. Pensez-vous qu’il soit possible de définir un tel cadre et que ce soit utile? Quelles seraient ces conditions minimum d’apprentissage?
A l’échelle de l’Afrique, il n’est pas même souhaitable. A l’échelle de chaque pays, probablement. Plutôt que de réfléchir au contenu d’un tel cadre précis, il vaudrait mieux s’attaquer aux processus, aux dynamiques par lesquelles ce cadre pourrait éventuellement voir le jour pays par pays. Etabli par le haut, il pourrait finir comme tant d’autres—dans un tiroir.
Les populations africaines sont en droit d’attendre des conditions minimum d’apprentissage dans les écoles, mais aussi d’être consultées sur les politiques éducatives (par exemple sur le choix des langues d’enseignement). Le sont-elles vraiment ? Y a t-il suffisamment de « démocratie » dans les décisions en matière d’éducation ?
Trop de décisions viennent d’en haut, avec peu de consultation et encore moins de participation. Cela dit, la problématique n’est pas simple. Dans des systèmes centralisés on ne peut pas négliger le rôle des ministères. Mais, quel rôle, au juste ? Là, il faut raisonner par fonction (établissement des normes ; sélection, recrutement, formation, affectation et rémunération des enseignants ; examens ; construction ; statistiques et planification ; élaboration des programmes ; etc.).
Les organisations internationales exercent une forte influence sur les politiques éducatives. Pensez-vous qu’elles agissent efficacement ? Que pourraient-elles faire de mieux ?
Efficacement ? Cela dépend des critères. Certes, des écoles sont construites, des enseignants formés, etc. et cela a contribué à l’augmentation des taux de scolarisation. On pourrait donc voir des signes d’efficacité. Mais, répondre à cette question implique un contre-modèle dans des conditions ceterus paribus, soit l’absence d’organisations internationales soit des cas où elles ont agi très différemment. J’ai du mal a identifier de tels contre-modèles. Cela dit, il y des critiques convaincantes de ces organisations—je pense surtout aux travaux de William Easterly et de Joel Samoff.
Je ne mentionnerai qu’une chose qu’elles pourraient faire mieux : prendre au sérieux le « savoir local », surtout les analyses produites par des chercheurs africains. Là je pense au livre de Richard Maclure « Négligée et sous-estimée » qui fait la démonstration que les analyses qui ont cours dans les organisations internationales ne tiennent pas compte des travaux produits localement.
Pensez-vous que la recherche en éducation ou les analyses conduites par les organisations internationales sont mal contextualisées ? Est-ce que les personnels de ces organisations manquent de connaissances sur les contextes et la culture locale ? et si oui que faire pour y remédier :
Je ne connais pas de policy research (recherche visant à informer les processus de politique sectorielle) ou d’études sectorielles conduites par les organisations internationales qui soit sérieusement contextualisés. Le contraire serait étonnant car cela prend du temps et les agences ont tendance à vouloir faire rapidement. Par exemple, je ne connais pas de cas de recherche ou d’analyse sectorielle menée par une agence qui prend le temps pour passer en revue des études—souvent des thèses—faites par des nationaux qui se retrouvent dans les bibliothèques universitaires. Et puis il y a le cas des études quantitatives basées sur les données nationales, telles que des statistiques scolaires, dont la fiabilité est souvent douteuse. Regardez la bibliographie des études conduites par les agences et comptez le nombre d’auteurs nationaux cités.
Oui, c’est évident que le staff des agences manque de connaissances sur les contextes et la culture locale. A la Banque mondiale ou, même, le PME, par exemple, de telles connaissances ne semblent pas être un critère de recrutement.
Y remédier nécessiterait une refonte des politiques des ressources humaines. Et puis, la dernière réorganisation de la Banque mondiale met l’accent sur le savoir global, aux dépens du savoir local.
Propos recueillis par Pierre Varly
La carrière de Richard Sack repose sur trois dimensions complémentaires : l’université, la recherche et l’activité opérationnelle d’analyse et d’aide au développement des systèmes éducatifs. Après avoir reçu son doctorat en éducation, développement et sociologie à l’University Stanford, il a enseigné à l’Université de Wisconsin (Madison) et a conduit de la recherche tout en formant des doctorants au Zaïre. Depuis 1980 il a travaillé comme consultant indépendant lors de nombreuses missions en Afrique (40 pays). Ces missions, essentiellement pour la Banque mondiale et l’Unesco, comprenaient l’évaluation, la recherche, l’analyse de politiques de l’éducation et l’élaboration et le suivi de projets. Entre 1995 et 2001, il a été Secrétaire exécutif de l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA). Depuis 2002, il est redevenu consultant indépendant.