La corruption dans l’éducation

Suivant la ligne éditoriale donnée pour 2012, le blog ouvre le dossier de la corruption dans l’éducation.

Voila un sujet tabou mais préoccupant autant dans les pays du Nord (comme en France-Lire la République des mallettes de Pierre Péan) que dans le Sud. Et pour cause, qui dit corruption dont une définition pourrait être « l’usage systématique d’une charge publique pour un avantage privé » dit secret.

Un phénomène généralisé…

Les biens mal acquis, l’affaire Enron, les contrats léonins de la firme Halliburton en Irak, mais aussi Madoff qui n’a pas pu détourner 50 milliards de dollars seul, où plus récemment la dissolution d’une des plus grandes « ONG » américaine dans le domaine de l’éducation pour fraude au Pakistan et en Afghanistan ou la gestion de la fondation Carla-Bruni Sarkozy sont révélateurs du fonctionnement actuel d’un système de corruption et de mauvaise gouvernance à tous les niveaux, ancré dans les mœurs politiques. La corruption est la principale source de pauvreté et doit être combattue vigoureusement. La crise financière actuelle est avant tout la conséquence d’une fraude sur l’estimation des risques des crédits immobiliers aux Etats Unis, mise en place par Goldman Sachs en particulier.

Mais …absent des discussions internationales

A titre d’anedocte, lors d’une réunion de la Francophonie consacrée à la gestion dans l’éducation, il a fallu batailler pour que le mot corruption fasse partie des documents finaux car selon des participants : « mettre ce mot revenait à reconnaître l’existence de problèmes de corruption » sic. Il faut savoir que la Conférence Ministérielle consacrée au même thème quelques mois plus tard fut l’occasion d’un spectacle tragi-comique, où le Ministre de l’Education nous gratifiait d’un speech fantastique sur la bonne gestion, avant d’être embastillé pour détournement de fonds, quelques jours après la réunion…

On peut se demander si l’aide internationale (qui équivaut bien souvent à 10% du financement du secteur éducatif à part dans quelques micros pays) ne vise pas seulement à contrebalancer l’effet de la corruption. Si 10% des sommes affectées au budget de l’éducation sont détournées pour des profits personnels ou pour des partis politiques, et que le financement international contribue à 10% du budget national, 10%-10%=0%. De là à dire que les pays qui reçoivent le plus d’aides sont les plus corrompus, il y a un pas que certaines ONG françaises n’ont pas hésité à franchir en condamnant l’affectation de l’aide bilatérale vers quelques pays « amis ».

La corruption c’est combien ?

Il est bien difficile d’estimer la proportion des budgets des Etats engloutis dans les poches individuelles. Cependant, dans le sillage des travaux de la Banque Mondiale et du professeur Mingat pour qui c’est un peu un credo, il est possible d’établir des comparaisons internationales entre niveaux de dépense et résultats scolaires (soit en termes de taux de scolarisation ou en compétences acquises par les élèves). Si un pays A dépense autant qu’un pays B, mais obtient des résultats pour moitié inférieurs, soit sa politique est moins efficace (ce qui se dit dans les rapports) soit en réalité très peu des dépenses budgétées par A arrivent dans les écoles et A est plus corrompu que B (ce que seule l’ONG Transparency International se permet d’affirmer).

Les études sur la corruption

L’ONG Transparency International, qui n’applique pas vraiment le principe de transparence à ses propres financements (« The bulk of TI’s income comes from government development agency budgets and foundations » ??), a en effet constitué un classement international basé sur la perception de la corruption, à défaut de pouvoir estimer les flux financiers concernés. Dans le dernier classement 2011 sur la corruption, on apprend que : « La Nouvelle-Zélande arrive en tête (comme la moins corrompue NDLR), suivie de la Finlande et du Danemark. La Somalie et la Corée du Nord (incluse dans l’indice pour la première fois) arrivent au dernier rang du classement ».  Et que « Les pays de la zone euro atteints par la crise de la dette, qui trouve en partie son origine dans l’échec des autorités à empêcher les pots-de-vin et l’évasion fiscale, font partie des pays de l’UE ayant obtenu les notes les plus basses. »

Carte de la corruption dans le monde (2012)

Source : Transparancy international,accédé le 5 décembre 2012

Consultez le classement précis ici : http://www.transparence-france.org/e_upload/pdf/ipc_2011_carte.pdf

On notera la bonne performance du Bostwana, et la remontée dans le classement du Cameroun et du Nigéria. L’Afghanistan est classé avant dernier en termes de corruption, ce qui ne l’empêche pas de recevoir des milliards de dollars, dont une partie atterrit d’ailleurs dans les poches des talibans.

Le problème de cette échelle est qu’elle concerne la corruption au quotidien ou la micro corruption. Le blanchiment d’argent ou les paradis fiscaux tels que la Suisse et de nombreux micro Etats apparaissent comme “non corrompus” alors qu’ils sont à la base même des mécanismes de détournements massifs d’argent public. Ainsi, pour établir le lien entre corruption et pauvreté, on prendra les données sur le revenu par habitant (Banque Mondiale 2009) et l’échelle de corruption de Transparancy international (2011) en supprimant les micro Etats (en gros les Iles des Caraïbes et du Pacifique).

Le graphique suivant fait apparaître clairement le lien entre corruption et pauvreté (mesurée en terme de log du revenu par habitant).

Graphique du lien entre corruption et pauvreté


Source : Graphique du bloggeur à partir des données de la Banque Mondiale et de Transparancy International.

Plus un pays est corrompu, plus il est pauvre.

Sur l’éducation plus spécifiquement, Transparency a contribué à problématiser et catégoriser les phénomènes de corruption et nous en donne un résumé. « Son coût exorbitant (les frais illégaux et les paiements de pots-de vin lors des admissions, des examens ou des cours) représente un lourd fardeau pour les parents pauvres. La corruption dans la passation des marchés publics pour l’achat de matériel scolaire ou la construction des locaux est une lourde charge pour le budget de l’éducation et prive les élèves de matériels et d’un environnement nécessaires pour leurs études. La corruption dans le processus de nomination des enseignants et le développement de carrière a des répercussions graves sur la qualité de l’enseignement permettant ainsi aux enseignants et administrateurs peu compétents et peu aptes d’être nommés à des postes qu’ils ne méritent pas. Les étudiants qui – malgré ces circonstances -parviennent à terminer leurs études constituent une main d’oeuvre peu qualifiée qui n’apporte aucune valeur ajoutée à l’économie et au secteur public durant leur vie professionnelle. »

 « En périodes électorales, les enseignants sont chargés de l’éducation civique des citoyens et du décompte des voix lors des scrutins. Afin de s’assurer de leurs « services », les responsables politiques souvent n’hésitent pas à s’ingérer dans le recrutement, la promotion et les affectations des enseignants. »

L’Institut International de Planification de l’Education (IIPE) a pour sa part développé le thème Ethique et corruption en éducation et la Banque Mondiale a développé un système de suivi des dépenses publiques. Plus d’infos ici. Les Nations Unies ont également mis au point une convention sur la corruption en 2000 avant d’être rattrapées par le scandale pétrole contre nourriture. On citera également le site http://www.u4.no/ qui propose des idées intéressantes en termes de suivi budgétaire.

Au niveau des mesures prises par les pays, on prendra un exemple typique de Guinée, où l’on créée des structures de lutte contre la corruption (le président du Comité National de lutte contre la corruption est le Président de la République…) et on introduit des cours d’instructions civique et morale. Les sources de corruption sont selon cet article (de 2005) le trafic de notes et de faux diplômes, la fuite d’épreuves…

Des situations imaginaires

Pour mieux comprendre la corruption, tentons de nous mettre dans la peau d’un fonctionnaire du Ministère de l’Education. La quarantaine, l’homme a deux enfants, cinq frères et sœurs et une vingtaine de neveux et nièces, dont la moitié est scolarisée. Ainé de la famille, il a bénéficié de plus grande partie de la parcelle héritée du papa, et a entamé la construction de sa propre maison. Le premier étage, entrepris par le papa est bien entamé mais le système d’eau n’est pas au point. Il lui faudrait environ 1 millions de Francs CFA (1500 euros) pour pouvoir installer des sanitaires et une salle d’eau. Le quartier est déjà assez sale et insalubre et ce fonctionnaire n’a même pas de toilettes dignes de ce nom. Deux neveux qu’il prend en charge financièrement, vivent à la maison, terminent leur bac et souhaitent entamer des études supérieures, qui coutent cher. Il est donc urgent d’obtenir l’argent pour les sanitaires, avant la rentrée scolaire. Notre ami gagne 120 000 Fcfa par mois mais sa participation à différents séminaires lui permet d’obtenir en moyenne 400 000 Fcfa supplémentaires en per diem dans les bons mois, déduction faite des sommes versés à son chef qui signe ses ordres de mission. La somme à trouver est conséquente et représente environ 10 mois de salaire. La Banque pourrait bien prêter mais le taux est de 13%, qui plus est il doit déjà deux millions de Fcfa à la Banque, suite aux funérailles de papa. Que faire ? Il est le plus fortuné de la famille et ne peut solliciter personne à ce niveau.

Entre deux portes, il entend parler de la mise sur pied d’un Comité d’Organisation de la Journée Nationale du sport scolaire, qui aura lieu dans quelques semaines. Le Chef du service du sport scolaire est un cousin éloigné (ils viennent de la même région), avec qui il entre en contact. Après un bon repas et moultes bières, il apprend que le budget de cette journée du sport scolaire est de 250 millions de Fcfa ! Cette somme inclut les frais de supervision et d’organisation du Comité de pilotage du comité d’organisation (le Ministre et ses conseillers, les directeurs centraux), la rémunération des Comités d’organisation régionaux, les frais de banquet (avec Château-Petrus !), les banderoles en tissu-chiffon (500 euros la banderole), les frais de communication pour les journalistes, la location de véhicules pour le transport des enfants des 20 écoles (qui défileront), l’impression d’affiches en 20000 exemplaires…

Par chance, l’imprimeur-prestataire en chef qui n’était autre que le beau-frère du point focal anti-corruption au Ministère de l’Education a vu ses contrats interrompus suite à des prestations de piètre qualité avec fautes d’orthographe sur les supports de communication des « Objectifs 2025 » de la Présidence. Il y a là un coup à jouer sur les devis et le coût d’un item, grâce à un imprimeur ami. Les différents dossiers en suspens, enseignant tabassé dans l’école de Tartenpion 3, ou la toiture de l’école L’excellence des petits pionniers qui menace de s’effondrer, attendrons. Charité bien ordonnée commence par soi même. Le directeur des constructions scolaires, qui possède une villa dans le Sud de la France, est actuellement en détention et mis en examen. On l’accuse d’avoir détourner 500 millions de Fcfa. Alors pourquoi pas moi ? La journée nationale sur le sport scolaire se déroule en présence de l’ambassadeur de Japon, de la France et de l’Allemagne qui saluent les efforts du gouvernement dans ce domaine. Mais avez-vous vu le moindre terrain ou équipement de sport dans une école ?

De son côté, l’enseignant Lambda a reçu une formation sur les bonnes pratiques et la lutte contre la corruption à l’école financée par l’ONG dénommée, Everything will be fine in a perfect world . De retour dans son établissement, après une semaine d’absence, face à des élèves goguenards, il restitue tant bien que mal les éléments de langage reçus. Les élèves  ont du solliciter  la veille 1000 Fcfa auprès de leurs parents, pour faire face à des frais de photocopies (qu’ils n’ont jamais vu, la première photocopieuse étant à 65 Km de l’école). De même les manuels sont vendus aux parents 2000fca, alors qu’ils coutent 1500 fcfa à la production, mais seuls quelques initiés au Ministère connaissent ces chiffres. Le coût d’un ordinateur est fixé à 1 millions de Fcfa sur le budget national, mais ne vaut sur le marché que la moitié. Ces barêmes ont été fixés au plus haut niveau, chut !

Ce ne sont que quelques anedoctes fictives du quotidien, mais mises bout à bout ces pratiques contribuent à des déperditions très importantes des financements destinés aux écoles, enseignants et élèves. Les petits ruisseaux forment les rivières.

Des actions bien réelles

En Ouganda, on estimait en 1995 à 87% le taux de déperdition des subventions par élève du Ministère vers les écoles. Il est estimé actuellement à 15% : « Cela a été le résultat d’une stratégie combinant la production et la diffusion d’informations détaillées aux communautés locales ainsi que la publication des pénalités infligées aux fonctionnaires coupables de comportements  malhonnêtes». En gros, le montant des dotations affectées aux écoles était publié au niveau local. Aux grands maux les grands remèdes.

De même, ce rapport de l’Unesco nous apprend qu’à Bogota en Colombie, on a pu augmenter substantiellement la présence des enseignants dans l’école ou réduire la fraude aux examens en Azerbaïdjan.

Ces initiatives doivent être poursuivies et étendues. La lutte contre la corruption, loin des effets d’annonce, est la seule garantie du droit humain à l’éducation.

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