Par Jean-Emmanuel Bui
En fonction des approches qui déterminent l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques éducatives, l’école est considérée comme le dernier maillon de la chaîne ou comme la cellule de base qui peut et doit garantir la transformation des ressources dont elle dispose en résultats concrets sur les apprentissages des élèves.
Dans les pays du Sud, en Afrique en particulier, la question de la transformation des ressources est d’autant plus importante que ces dernières sont peu nombreuses et qu’il est souhaitable que les écoles puissent en tirer le meilleur profit.
Une étude réalisée en 2010 au Gondwana sur les écoles primaires publiques a permis de mettre en lumière plusieurs difficultés rencontrées par ces dernières dans la gestion quotidienne de leurs ressources. Partant de ces observations de terrain, il a été possible de formuler des préconisations destinées à renforcer leurs capacités de gestion dans la perspective d’une amélioration sensible des résultats scolaires des élèves.
Les observations ont porté d’une part sur l’organisation et le fonctionnement interne des écoles et d’autre part sur l’appui apporté par l’administration de l’éducation et les entités décentralisées.
Le défaut de gestion des écoles primaires publiques
En matière d’organisation et de fonctionnement, l’étude montre que les écoles de l’échantillon se cantonnent à l’application mécanique de procédures souvent inadaptées dans les domaines administratifs, financiers et pédagogiques. Concernant l’action pédagogique en particulier, l’accent n’est pas spécifiquement porté sur les résultats des élèves et sur les moyens à mettre en œuvre pour les améliorer, malgré des formations continues sur la « Nouvelle vision de l’évaluation»
Dans cet esprit, le directeur joue le rôle d’administrateur qui agit en conformité avec les textes réglementaires et rend compte quotidiennement à sa hiérarchie. Le directeur est nommé de manière discrétionnaire sans qu’existe un profil clair de compétences professionnelles à exercer. Dans le domaine pédagogique en particulier, l’implication du directeur est essentiellement « administrative » et centrée par exemple sur le respect du calendrier des évaluations ou le remplissage des relevés de notes.
Il apparaît par conséquent que les écoles sont plus administrées que gérées au sens où la gestion permet d’adapter la mise en œuvre de la politique éducative eu égard au contexte de l’école et aux ressources dont elles disposent. Les outils de gestion sont quasiment inexistants et l’école ne bénéficie d’aucune marge de manœuvre dans la mobilisation et la transformation de ses faibles ressources.
Paradoxalement, dans le texte qui traite de l’organisation et du fonctionnement des écoles primaires publiques figure une référence explicite au projet d’école comme outil de gestion associant chaque membre de la communauté éducative à l’analyse du contexte scolaire, à la définition d’objectifs adaptés et à la formulation de modalités et de moyens pour les atteindre.
Dans aucune des 10 écoles visitées, il n’a été possible d’observer un projet en action et, dans la majorité des cas, les personnes interrogées ignoraient même jusqu’à l’existence et l’obligation réglementaire de mettre en œuvre un tel outil de gestion.
Un appui inapproprié aux écoles
Au Gondwana, les écoles primaires publiques bénéficient d’un appui traditionnel de l’administration centrale et de l’administration déconcentrée. Depuis 2010, les différentes lois de décentralisation ont opéré un transfert de compétences en faveur des collectivités territoriales qui sont désormais directement impliquées dans le fonctionnement quotidien des écoles.
L’appui prodigué par l’administration de l’éducation est envisagé sous l’angle de l’allocation de ressources, sous l’angle du renforcement des capacités et sous celui de l’évaluation.
Au plan financier, l’enseignement primaire Gondwanais est gratuit depuis 2000 et l’Etat verse donc aux écoles une allocation sensée leur permettre de faire face aux dépenses de fonctionnement et de structure. Cette allocation financière souffre de plusieurs maux :
– elle est insuffisante dans la grande majorité des écoles ;
– le calcul théorique de cette allocation selon une clé de répartition qui prendrait en compte le nombre d’élèves, le nombre d’enseignants et le nombre de classes manque de rigueur et de transparence ;
– le transfert des fonds depuis l’administration centrale jusqu’à l’école ne s’opère pas de manière optimale et, à l’arrivée, la somme perçue est inférieure à ce qui était initialement prévu ;
– Les directeurs d’écoles qui ignorent ce qu’ils toucheront d’une année sur l’autre sont obligés de solliciter les associations de parents d’élèves. Cette situation pose plusieurs types de problèmes :
- En ayant recours à l’association de parents d’élèves, le directeur n’est plus seul maître à bord ;
- La gestion des fonds des associations n’obéit à aucune règle stricte et n’est pas susceptible d’un contrôle externe de l’éducation nationale ;
- Les fonds collectés par les associations varient d’une école à l’autre, ce qui crée une réelle inégalité entre écoles.
Au plan matériel, les écoles doivent recevoir chaque année une dotation en matériel scolaire : des crayons, des cahiers, etc. Ce paquet minimum vise en premier à équiper les enseignants et ne tient pas compte du nombre d’élèves dans chaque école et dans chaque classe. Cette dotation doit être systématiquement complétée par les familles, notamment par l’achat des manuels scolaires.
En matière de ressources humaines, l’administration centrale est censée faire en sorte que des enseignants soient affectés dans les classes où des besoins existent. Il apparaît que la répartition des enseignants fonctionne mal. Dans certaines écoles, les maîtres sont en surnombre alors que dans autres, le directeur et les parents d’élèves sont contraints d’engager à leurs frais un enseignement pour assurer la classe aux enfants. Il en résulte de grandes disparités d’une école à l’autre et cette situation crée des inégalités importantes en terme de qualité de l’éducation.
Le renforcement des capacités des acteurs clés (quelques exemples)
Par renforcement des capacités on entend ici l’appui apporté en terme d’amélioration des compétences des acteurs clés de l’école : le directeur et les enseignants.
Le directeur ne bénéficie de quasiment aucune action de formation continue au moment de sa prise de fonction et au cours de sa carrière. Les enseignants souffrent également d’un déficit important de formation continue.
Plusieurs raisons expliquent ce déficit :
– l’absence d’analyse pertinente des besoins des enseignants ;
– l’absence d’une réponse institutionnelle à ces besoins qui pourrait se concrétiser dans un plan national de formation continue des enseignants du primaire ;
– Le manque de moyens des inspecteurs pédagogiques qui n’ont pas la possibilité de se rendre régulièrement dans les écoles ;
– Le manque de compétences de ces mêmes inspecteurs de circonscription qui auraient eux aussi besoin d’être formés.
L’évaluation
Concernant le fonctionnement des écoles primaires, il n’existe pas à proprement parler d’évaluation externe menée par l’administration déconcentrée mais plus des contrôles dont l’objectif est de vérifier la bonne mise en œuvre des procédures : ni le directeur ni les enseignants ne sont évalués à l’aune des résultats scolaires des élèves et des moyens mis en œuvre pour les atteindre. Une autre mission menée dans ce pays a ainsi constaté que dans plusieurs écoles, les élèves de fin de cycle primaire ne savaient pas lire du tout, sans que les directeurs d’écoles ne s’en sentent responsables. Le « manque d’intérêt des parents » ou la « promotion collective » ont été les raisons invoquées lors des entretiens pour expliquer les échecs scolaires, sans que soit vraiment remises en cause les méthodes de gestion et d’évaluation.
L’appui prodigué par les collectivités territoriales
Depuis l’année scolaire 2009 – 2010, l’Etat central Gondwanais a transféré aux municipalités des compétences en matière d’enseignement primaire public : Pratiquement, les mairies prennent à leur charge la mise à disposition des fournitures scolaires (le paquet minimum), l’entretien des locaux scolaires et la rémunération des personnels non enseignants.
Au moment de l’étude, ce transfert de compétences entrait à peine en application et il était par conséquent difficile d’en apprécier la pertinence et l’efficacité. Plusieurs directeurs d’école interrogés sur le sujet pensaient que les municipalités, en collaboration avec les inspecteurs d’arrondissement, seraient peut être en mesure d’apporter des solutions plus efficaces et plus rapides à leurs difficultés quotidiennes.
Au terme de ces différentes observations, il apparaît que le fonctionnement des écoles primaires publiques Gondwanaises et l’appui qui leur est apporté par les différents niveaux de l’administration de l’éducation ne favorisent pas de manière significative l’amélioration de la qualité de l’éducation et, singulièrement, l’amélioration des résultats scolaires des élèves. Les écoles disposent de peu de ressources et elles ne les utilisent pas de manière optimale.
Quelques préconisations
L’idée qui oriente la formulation des préconisations est celle d’une plus grande autonomie données aux écoles afin qu’elles bénéficient d’une marge de manœuvre pour utiliser au mieux leurs ressources dans la perspective de faire progresser les apprentissages des élèves. Schématiquement, cette autonomie est envisageable à deux conditions : que les écoles développent des compétences et des outils de gestion et que l’appui de les administrations centrale et déconcentrée changent de nature.
Le développement des compétences et des outils de gestion
Cette première condition nécessite d’une part de réformer la gestion administrative, financière et pédagogique des écoles et d’autre part de renforcer le leadership du directeur d’école. A ce titre, l’étude PASEC 2007 avait mis en lumière l’effet positif de la formation continue des directeurs (en animation pédagogique) sur les résultats des élèves.
Réformer la gestion administrative, financières et pédagogique de l’école
Il s’agit tout d’abord de recentrer l’école sur sa mission première : faire acquérir aux élèves des connaissances et développer leurs compétences. Une fois cette mission rappelée, chacun doit comprendre que les dimensions financières, administratives et pédagogiques concourent exclusivement à sa réalisation : la pédagogie occupe une place centrale, l’administration et les finances sont des moyens mise à sa disposition.
Il s’agit ensuite de construire des outils et de mettre en place des processus de gestion qui, en fonction du contexte et de ses évolutions, permettent de maintenir le cap sur les performances scolaires des bénéficiaires.
Dans un quatrième temps, il est nécessaire d’instrumenter des dispositifs d’évaluation pour apprécier le rendement du système de gestion des écoles.
Renforcer le leadership du directeur d’école
Dans la perspective d’un renforcement du leadership du directeur d’école plusieurs actions sont à mener :
– élaborer un référentiel de compétences professionnelles du directeur d’école Gondwanais ;
– à partir référentiel de compétences, construire et mettre en œuvre un dispositif de formation initiale et continue du directeur d’école ;
– instituer un concours de recrutement des directeurs d’écoles nécessitant un niveau minimal de qualification, capable de mesurer la motivation du candidat et d’évaluer son potentiel et ses chances de réussite à cette fonction ;
– faire évoluer le statut administratif du directeur afin qu’il bénéficie de véritables perspectives de carrière ;
– permettre que la responsabilité du directeur soit engagée en cas de non respect du cadre et des objectifs de sa mission.
Un nouvel appui apporté aux écoles par l’administration centrale et déconcentrée
L’appui apporté aux écoles doit être garant de leur autonomie et dans cette perspective, il doit se traduire par l’allocation rationnelle de ressources, le renforcement de leurs capacités et l’évaluation régulière de leurs performances.
Dans la mesure où l’Etat Gondwanais a décidé la gratuité de l’enseignement primaire, il doit prendre ses responsabilités en allouant rationnellement à chaque école un financement stable qui lui permet d’assurer son fonctionnement dans des conditions satisfaisantes pour la qualité des apprentissages des élèves. Cela signifie notamment qu’une clé de répartition soit mise au point, que les fonds soient directement transférés aux écoles et que le directeur ait la possibilité d’élaborer et de réaliser son budget en fonction du contexte et des objectifs qu’il s’est fixé.
Concernant le matériel scolaire, il est souhaitable que le financement des écoles prévoit le matériel afin qu’elles puissent librement choisir, en fonction de critères de prix, de qualité et de disponibilité, la matériel le mieux adapté à ses besoins, ce qui est déjà le cas avec les manuels scolaires.
La mise à disposition d’enseignants qualifiés et compétents en relation avec les besoins identifiés est également une responsabilité que l’administration centrale doit assumer en collaboration avec les directions régionales et départementales.
Le renforcement des capacités
L’administration centrale et déconcentrée doit agir et s’organiser pour renforcer les capacités des écoles primaires publiques. Trois axes principaux méritent d’être privilégiés :
– la mise en place d’une entité intégrée « gestion des écoles primaires » aux différents niveaux administratifs afin d’améliorer le pilotage du système dans ce domaine ;
– le développement et l’expérimentation d’outils de gestion adaptés aux besoins des écoles ;
– l’élaboration et la mise en œuvre de plan de formation continue pour l’ensemble des personnels impliqués dans le processus de gestion des écoles.
L’évaluation
Le passage du modèle du contrôle à celui de l’évaluation est une évolution majeure à initier. Elle doit naturellement contribuer à accroître l’autonomie des écoles et à améliorer leurs performances en les plaçant dans une logique de responsabilité. Dans cette perspective, l’évaluation devra apprécier des résultats obtenus et des processus mis en œuvre pour les obtenir.
Exemple :
Lorsqu’un enseignant est évalué, il doit l’être sur les résultats obtenus par ses élèves et sur les moyens qu’il met en œuvre pour obtenir ces résultats. Lorsque le directeur est évalué, il doit l’être selon le même principe des résultats obtenu par les élèves de son école et de l’ensemble des moyens administratifs, matériels, humains, financiers et pédagogiques qu’il mobilise pour parvenir à ses résultats.
Dans les deux cas, lorsque l’évaluation est défavorable, la responsabilité de l’enseignant et celle du directeur peuvent naturellement être engagées.
Dans un tel système, l’évaluation apprécie des résultats et de processus permettant le cas échéant de procéder à des ajustements, à des adaptations ou à des changements plus radicaux d’approche et de politique.
Il a été fait référence, dans le développement précédent, à l’absence de mise en œuvre du projet d’école comme outil de gestion intégrée des écoles primaire publiques au Gondwana. Sur cet aspect particulier, plusieurs expériences menées dans des pays développés et des pays en développement montrent que le projet d’école n’est possible et viable que lorsque le système est mature pour tenter l’expérience. Dans les systèmes centralisés, la maturité est atteinte lorsque les écoles ont développé des capacités de gestion autonome et que le rôle de l’administration centrale et déconcentrée est passé du contrôle strict à l’accompagnement et à l’évaluation des performances.
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