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La pauvreté de l’apprentissage (Learning poverty)

Par Aicha SIDI GERALDO

Mars 2020

Un nouveau concept

Learning poverty est un nouveau concept introduit par la Banque Mondiale comme une indication de la qualité du parcours scolaire ou des apprentissages des enfants. 

En effet, après cinq ans de mise en œuvre de l’objectif de développement durable 4 (SDG4), il est important de faire un point sur l’état actuel des systèmes éducatifs, notamment du point de vu de la qualité. Le bilan selon la Banque Mondiale se décrit comme suit :

Premièrement, nous vivons une crise mondiale de l’apprentissage (World Development Report, 2018) : Les études, comme le PASEC, montrent aujourd’hui que bien que la majorité des enfants soient à l’école au primaire, les connaissances relatives à leurs niveaux ne sont pas acquises. Aussi, des millions d’enfants abandonnent l’école sans les compétences cognitives les plus élémentaires.

Ensuite, le taux d’amélioration de l’apprentissage est trop lent : Au rythme actuel d’amélioration, il sera impossible d’atteindre un seul objectif d’alphabétisation de base universelle d’ici 2030. Ceci aura une incidence certaine sur les niveaux d’études supérieurs qualifiants pour le marché du travail.

A la crise de l’apprentissage, vient s’ajouter les lacunes persistantes des inscriptions : Les inscriptions dans l’enseignement préscolaire sont faibles et l’achèvement du primaire n’est pas encore universel. Dans l’enseignement secondaire, les taux d’abandon sont encore très élevés, en particulier dans les pays à faible revenu et parmi les filles dans certains pays. L’abandon est souvent une option des élèves moins performants qui ne mesurent pas la valeur ajoutée de l’école, et parfois en raison des barrières financières, sociales ou culturelles auxquelles ils sont confrontés. Dans de nombreux pays à faible revenu, les pressions démographiques accentuent le défi de maintenir le taux de scolarisation.

C’est dans ce contexte que la Banque Mondiale propose de se pencher sur l’apport en général de la scolarisation dans la vie d’un élève. S’il est vrai que l’abandon scolaire ou la réticence à accéder à l’école est basée sur le fait que les parents ne croient pas en la valeur ajoutée de cette dernière, il convient de voir dans quelle mesure l’école atteint ses objectifs, c’est-à-dire de transmettre des acquis à l’élève. D’où le concept de pauvreté d’apprentissage (learning poverty).

Littéralement, « Learning Poverty » signifie être incapable de lire et de comprendre un texte court et adapté avant l’âge de 10 ans. L’indicateur est axé sur la lecture car premièrement la faculté de lecture est une mesure facile de l’apprentissage ; il montre que l’enfant progresse bien à l’école. Deuxièmement, la lecture est une passerelle pour l’étudiant dans tous les autres domaines, car lorsque l’enfant ne sait pas lire, cela indique généralement que les systèmes scolaires ne sont pas suffisamment bien organisés pour aider les enfants à apprendre dans d’autres domaines tels que les mathématiques, les sciences et les sciences humaines. Enfin, la maîtrise de la lecture peut servir de proxy pour l’apprentissage fondamental dans d’autres matières, de la même manière que l’absence de retard de croissance chez l’enfant est un marqueur d’un développement sain de la petite enfance, selon (EduAnalytics, 2019).

Notons également que la capacité de lecture est un indicateur assez important du capital humain (THE WORLD BANK a, 2019).

La nécessité de se concentrer sur la lecture est qu’elle est la base de toutes les autres disciplines, car l’élève devrait avant tout comprendre la langue d’apprentissage pour pouvoir réussir les différentes matières. Aussi, tout enfant doit être capable de lire à 10 ans car cet âge représente l’avant-dernière année du primaire ou l’enfant est censé pouvoir déchiffrer les mots. Enfin, des études montrent que la réussite en lecture est étroitement liée à la réussite dans plusieurs autres matières principales.

Ce graphique nous montre la corrélation entre les scores en lecture, en mathématiques et en sciences par méthode d’évaluation et par niveau d’agrégation. Comme nous pouvons le remarquer et surtout au niveau pays, les corrélations entre la lecture et ces matières sont au-delà de 90%, quel que soit la méthode d’évaluation. Au niveau école, ces corrélations sont au-delà de 80% et au-delà de 50% au niveau des élèves.

Figure 1: Corrélation des scores en lecture avec les scores en mathématiques et en sciences par évaluation et niveau d’agrégation

L’indicateur de mesure de « Learning poverty »

L’indicateur de mesure de la pauvreté de l’apprentissage proposé par la Banque Mondiale s’appuie sur de nouvelles données développées en coordination avec l’Institut de statistique de l’UNESCO.

Cet indicateur combine les concepts de scolarisation et d’apprentissage à la fin de l’enseignement primaire, en s’appuyant sur les indicateurs de compétence en lecture et de scolarisation générés dans le processus du rapport de l’ODD 4. Considérons cette illustration pour un pays hypothétique qui a des défis à la fois au niveau de l’accès à la scolarisation et de la qualité de l’éducation (World Bank b, 2019):

Figure 2: Illustration pour le calcul de learning poverty

Source : Banque Mondiale, traduit par les auteurs

Comme cela apparait plus haut, l’indice prend en compte la proportion d’enfants qui n’ont pas atteint le niveau minimum de lecture et l’ajuste en fonction de la proportion d’enfants non scolarisés.

La formule est :

où, LP est Learning Poverty ; BMP est la proportion d’enfants scolarisés en dessous du niveau de compétence minimum; OoS est le pourcentage d’enfants non scolarisés; et, dans le cas d’enfants non scolarisés, nous supposons que BMP = 1.

Ce taux est estimé à 53% pour la tranche de revenus moyens et faibles et pour les pays à faibles revenus, le niveau atteint 80%. Cela signifie que plus de la moitié de tous les enfants des pays à revenu faible ou intermédiaire souffrent de pauvreté d’apprentissage et que seulement 20% des enfants des pays pauvres bénéficient des compétences requises en termes d’apprentissages. En général, les garçons sont plus pauvres en apprentissages que les filles.

Ces chiffres sont alarmants et méritent une attention particulière si l’on veut attendre l’objectif 2030 de l’ODD4. L’élimination de la pauvreté d’apprentissage est aussi importante que l’élimination de l’extrême pauvreté monétaire, du retard de croissance ou de la faim, car il définit la capacité de développement futur d’un pays, à travers le capital humain qu’il forme.

Un proxy avait également été proposé en 2012  (GPE (Partenariat mondial pour l’éducation), 2012), qui consistait à multiplier le taux d’achèvement du primaire, qui est le taux brut d’admission dans cette classe servant d’indicateur indirect, par le pourcentage d’élèves évalués ayant atteint un niveau de compétences déterminé dans l’évaluation du PASEC pour la cinquième année d’études. Cette méthode a été mise en œuvre dans les évaluations PASEC au début des années 2000.

Learning poverty en Afrique

L’analyse montre que les pays à faibles revenus ont un pourcentage important d’élèves pauvres en apprentissages. En Afrique le constat est encore plus remarquable et dépend des régions. 

Les données ici représentées sont tirées des calculs fait par la banque mondiale (World Bank b, 2019). Elles représentent d’une part le pourcentage d’enfants hors de l’école, la part d’élèves inférieur à la compétence minimale lors des évaluations et le pourcentage d’enfants pauvres en apprentissages qui est une mesure combinée des deux précédentes valeurs.

La figure ci-après représente les pays de l’Afrique dont les données sont disponibles.  Les auteurs les classent par région d’Afrique.

Figure 3 : Pourcentage d’enfants hors de l’école (OOS), pourcentage d’élèves non performants et indicateur « Learning poverty », par pays- Afrique

Source : Données de la Banque Mondiale, représentation par les auteurs

Cette représentation nous renseigne sur les défis spécifiques à chaque pays en termes de pauvreté en apprentissage. En effet, une part élevée d’enfants pauvres en apprentissages peut être relative à un taux élevé d’enfants hors du système, auquel cas le pays devrait accentuer son action sur l’amélioration du taux de scolarisation, ou à un taux élevé d’élèves en dessous du seuil de compétence minimale, et dans ce dernier cas, les politiques éducatives doivent permettre d’améliorer l’enseignement et les acquis des élèves. 

Considérons le Togo et la République Démocratique du Congo (RDC) qui ont la même proportion d’enfants pauvres en apprentissages de 86%. Malgré qu’ils aient le même taux de learning poverty, le manque de scolarisation des enfants est plus prononcé en RDC, avec plus de la moitié des enfants (63%) en âge scolaire qui sont hors de l’école, contre 9% pour le Togo. Par contre, au niveau de la performance du système, la RDC a un pourcentage d’élèves inférieur à la compétence minimale de 62% ; ce taux est comparable aux meilleurs résultats des pays Africains tels que le Maroc (64%), l’Egypte (69%), la Tunisie (65%) et le Botswana (44%). 

Le Togo quant à lui a 84% d’élèves inférieur à la compétence minimale. Il apparaît clair que la priorité du système éducatif Togolais devrait être d’améliorer les acquis des élèves. C’est ce qui a poussé le gouvernement togolais, avec l’appui du Partenariat Mondial pour l’Education et de la Banque Mondiale à s’engager, à travers le Projet Education et Renforcement Institutionnel-phase2 (PERI2), dans une réforme curriculaire du système basée sur l’approche par compétences avec la rédaction des nouveaux manuels par les pédagogues du Ministère des Enseignements Primaire et Secondaire (MEPS). Ces manuels ont été distribués dans toutes les écoles et mis à la disposition de chaque enfant et personnel d’encadrement du Togo. Tous les enseignants ont été également formés à l’APC, ainsi qu’à l’utilisation des nouveaux manuels. Suite à cela, une évaluation nationale des apprentissages a montré que le pourcentage des élèves en dessous du seuil minimum de compétence a considérablement baissé et est passé à 57,2% en lecture (ENEAS & Garba, 2019) en 2018, contre 71,5% selon la même évaluation en 2013. Aussi une évaluation des enseignants en situation de classe a permis de voir que 75% des enseignants formés maitrisent la nouvelle approche d’enseignement (ENEAS, EducationInternational, 2019). Ces résultats nationaux seront comparés aux résultats internationaux du PASEC 2019 en cours d’analyse.

Ces mesures vont assurément permettre de réduire le taux de pauvreté en apprentissage. Pour aller plus loin, le Togo compte bien, avec l’appui de la Banque Mondiale et du Partenariat Mondial pour l’Education démarrer incessamment un nouveau projet qui permettra d’accentuer les progrès atteints par le PERI2 pour une bonne réduction de l’indice de pauvreté des apprentissages.

Pour les pays de l’Afrique du Nord sur le graphique, et comme le stipule  (World Bank d, 2018), il n’y a pratiquement pas d’enfants en dehors de l’école. La réduction du taux d’apprentissage passera principalement par l’augmentation des acquis des élèves. C’est dans ce sens, qu’a eu lieu la conférence de haut niveau au Caire les 13 et 14 Février où les pays se sont engagés à juguler la « pauvreté des apprentissages » au Moyen-Orient et en Afrique. Comme l’a déclaré Rania Al-Mashat, ministre égyptienne de la Coopération internationale, «Un pays ne peut pas se développer sans l’humain, et cette conférence témoigne de notre engagement au plus haut niveau en faveur d’une réforme de l’éducation»,  (World Bank c, 2020).

Le défis de la performance du système apparait plus pour les pays de l’Afrique de l’Est pris en compte, à savoir l’Ethiopie, l’Ouganda, le Burundi et Madagascar. En effet, malgré leurs taux relativement faibles d’enfants hors de l’école, l’indice « learning poverty » varie de 83% à 97% (pour Madagascar). Cela est essentiellement dû à la faible proportion des élèves ayant le minimum compétences requises qui atteint les 4% pour Madagascar.

La Banque Mondiale en Action

Afin d’améliorer cette situation, de renforcer et dynamiser les progrès, la Banque mondiale s’est engagée à :

1. lancer d’un nouvel objectif mondial d’apprentissage opérationnel pour réduire le taux de pauvreté d’apprentissage d’au moins la moitié avant 2030

Les simulations montrent que cet objectif est ambitieux mais réalisable, si tous les pays parviennent à avoir les meilleurs taux d’amélioration de l’apprentissage de la période 2000-15, ce qui signifie en moyenne presque tripler le taux de progrès mondial.

2. Utiliser trois piliers de travail clés pour aider les pays à améliorer les résultats en matière de capital humain de leur population

• Un ensemble de politiques d’apprentissages comprenant des interventions axées spécifiquement sur la promotion de l’acquisition de compétences en lecture à l’école primaire

• Une approche pédagogique actualisée pour renforcer des systèmes éducatifs entiers – afin que les améliorations de l’apprentissage puissent être soutenues et étendues et que tous les autres résultats éducatifs puissent être atteints

• Un programme de mesure et de recherche ambitieux – couvrant l’évaluation des apprentissages des élèves et des facteurs qui l’influencent, ainsi qu’une action continue – Une recherche orientée et pleine d’innovations sur les méthodes de développement des compétences de base.

La situation exige un changement rapide, à grande échelle et devant toucher le plus grand nombre. Cela ne peut se faire sans technologie. Une infrastructure numérique et des systèmes d’information open source seront utilisés pour garantir que les ressources parviennent à tous les enseignants, étudiants et écoles.

Conclusion

La nouvelle mesure de la pauvreté d’apprentissage « learning poverty » vise à mettre en évidence les déficits de l’apprentissage et à stimuler l’action pour que tous les enfants puissent acquérir des compétences en lecture et en écriture et d’autres compétences fondamentales.

Les progrès dans la réduction de la pauvreté d’apprentissage sont beaucoup trop lents pour répondre aux aspirations des ODD : au rythme actuel d’amélioration, en 2030, environ 43% des enfants seront encore pauvres en apprentissage. Même si les pays réduisent leur pauvreté d’apprentissage aux taux les plus rapides que nous avons connus jusqu’à présent au cours de ce siècle, l’objectif d’y mettre fin ne sera pas atteint d’ici 2030.

Toutefois, la Banque reste confiante ; aussi souligne-t-elle que pour atteindre cet objectif, il ne faut pas seulement des interventions dans l’enseignement, mais aussi agir globalement pour le bien-être de l’élève afin de lui assurer de bonnes conditions d’apprentissages. Il peut s’agir entre autres de la santé scolaire, la non-violence, la nutrition, etc.

Bibliographie

Bashir, S., Lockheed, M., Ninan, E., & Tan, J.-P. (2018). FACING FOWARD Schooling for learning in Africa. AFD; World Bank Group.

Berg, S. v. (2008). Poverty and Education. IIEP, IAE UNESCO.

EduAnalytics. (2019). Sub-Saharan Africa Learning Poverty Brief.

ENEAS, & Garba, S. (2019). Evaluation des apprentissages des élèves au primaire « Système éducatif togolais : Perspectives de qualité d’ici 2030». MEPS, TOGO.

ENEAS, EducationInternational. (2019). Étude d’évaluation des enseignants en situation de classe. MEPS TOGO.

GPE (Partenariat mondial pour l’éducation). (2012). Rapport sur les résultats 2012 : Pour un dialogue concret sur le suivi de l’accès à une éducation de qualité. Washington, D.C : GPE.

Silvia Montoya, L. C. (2019). The learning assessment market: pointers for countries – part 1. World Education Blog.

THE WORLD BANK a. (2019, Octobre 15). Learning poverty. Brief.

World Bank. (2019). World Bank, UNESCO Institute for Statistics Join Forces to Help Countries Measure Student Learning. 2020/001/EDU.

World Bank b. (2019). ENDING LEARNING POVERTY: What will it take?

World Bank c. (2020, Février 17). Les pays s’engagent à juguler la « pauvreté des apprentissages » au Moyen-Orient et en Afrique.

World Bank d. (2018). Expectations and Aspirations : A New Framework for Education in the Middle East and North Africa (Vol. 2) : Executive Summary (French). Washington, D.C. : World Bank Group.

WORLD BANK GROUP. (2019). A LEARNING REVOLUTION TO ERADICATE LEARNING POVERTY.

World Development Report. (2018). Learning to realize Education’s promise. World Banq Group.

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