Pierre Varly et Leila Ferrali, août 2019
Pour améliorer toujours davantage la qualité de l’éducation dispensée dans les écoles, les responsables éducatifs misent sur des enseignants compétents sur les plans académiques et pédagogiques. Les enseignants doivent maîtriser les contenus à enseigner et savoir les transmettre à leurs élèves. Cela suppose un mécanisme de sélection des candidats au métier d’enseignant. Mais selon quelles modalités ? Cet article entend répondre à une série de questions et illustre les différents modes de sélection des enseignants par les pays performants dans l’enquête PISA, avant de voir dans quelle mesure ces systèmes peuvent être répliqués dans les pays en développement et en particulier en Afrique.
- Quels sont les différents systèmes de sélection / recrutement des enseignants ?
- A quel niveau se situe la sélection ?
- Quels sont les parcours académiques et professionnels d’entrée dans la profession ?
- Quelle est la gouvernance des systèmes de sélection ?
- Quels sont les outils de sélection utilisés ?
- Quel est le nombre de candidats par rapport au nombre de postes, ou ratio ?
- Quelles sont les difficultés rencontrées ? (cas de la France)
- Quels sont les nouveaux systèmes de sélection des enseignants en Afrique ?
L’importance de la sélection des enseignants
Ce graphique, élaboré dans le cadre d’un article pour la Banque Mondiale (Varly, 2016), montre la relation entre les compétences des enseignants mesurées par l’enquêteTeacher Education and Development Study-Mathematics (TEDS-M) et les résultats des élèves en maths et sciences mesurées dans l’enquête Trends in Mathematics and Science Study ( TIMSS).
La corrélation entre les scores TEDS-M des futurs enseignants du secondaire et le PIB par habitant est de 0,47. Les données suggèrent également une relation entre TIMSS et les résultats TEDS. Les pays ayant des enseignants performants obtiennent des résultats plus élevés que les autres dans l’enquête TIMMS sur les résultats des élèves. Le coefficient de détermination entre les résultats TEDS-M et TIMSS est de 0,73 donc la relation entre compétences des enseignants et des élèves est assez forte sur un plan macro.
Graphique : Le lien entre compétences des enseignants (TEDS-M) et résultats des élèves (TIMSS)
*grade 9 for Botswana.
La qualité d’un système éducatif ne peut excéder celle de son corps enseignant. L’attrait des meilleurs candidats pour la formation enseignante dépend de plusieurs facteurs interdépendants que sont le statut social de la profession, le salaire relatif d’un enseignant par rapport à d’autres professions à qualifications comparables, le niveau de sélection à l’entrée de la formation enseignante, et la qualité de la formation. Une hausse du salaire enseignant n’aura d’impact sur la qualité de l’enseignement que si elle s’accompagne de conditions sélectives d’entrée au sein de la formation (Bruns, 2015).
Les systèmes éducatifs les plus performants selon le classement international PISA de l’OCDE ont mis en place des processus de sélection très sélectifs. Les futurs enseignants sont recrutés parmi les 30% d’élèves les plus qualifiés à l’issue de leurs études secondaires. La Finlande et la Corée du Sud se distinguent dans le dernier classement PISA de 2015 à la 5èmeet 11èmeposition. Dans ces deux pays, les candidats admis font respectivement partie des 10 et 5% d’élèves ayant obtenu les meilleurs résultats à l’issue de leur scolarité secondaire (Barber & Mourshed, 2007).
La sélection ex ante vs sélection ex post
Deux systèmes de sélection des candidats à la formation d’enseignant se distinguent à l’échelle mondiale. Le premier sélectionne les candidats avant d’entamer la formation d’enseignant, une sélection dite ex ante, alors que le second sélectionne les candidats au terme de la formation, ou sélection ex post, les diplômés ayant obtenu les meilleurs résultats étant sélectionnés pour devenir enseignants.
Les systèmes éducatifs les plus performants, parmi lesquels la Corée du Sud, la Finlande, le Japon, et Singapour, ont recours au système de sélection ex ante alors que la sélection ex postdemeure la plus répandue (voir exemples infra) (Barber & Mourshed, 2007).
Le système de sélection ex post présente quelques inconvénients, en ce que l’absence de sélection à l’entrée dans la formation se traduit bien souvent par un nombre excédentaire de candidats en comparaison aux nombres de postes à pouvoir.
De plus, l’absence de critères de sélection à l’entrée attire des étudiants pour lesquels le choix de poursuivre une formation d’enseignant est un choix par défaut, faute d’avoir pu intégrer leurs premiers choix de formation. De ce fait, la formation d’enseignant perd de son attrait pour les meilleurs candidats, ce qui contribue à rendre la formation moins prestigieuse, et à dévaloriser le statut social du métier d’enseignant. Au Pérou, seulement 50% des diplômés-enseignants exercent la profession pour laquelle ils ont été formés. Dans le cas spécifique du Chili, où les élèves recourent à des prêts pour financer leurs études supérieures, la situation est d’autant plus dramatique (Bruns, 2015).
A l’inverse, et du fait du principe d’alignement du nombre de candidats admis avec le nombre de postes à pourvoir, la sélection ex ante permet de concentrer les moyens financiers et humains à la formation des candidats qui présentent a priori les compétences, qualités personnelles et la motivation pour intégrer la profession, et d’améliorer ainsi la qualité de la formation et les conditions d’apprentissage des futurs enseignants (Barber & Mourshed, 2007).
Le système de sélection ex ante identifie en amont de l’accès à la formation les candidats présentant les caractéristiques idoines pour garantir un enseignement de qualité. Ce système de sélection répond au principe d’alignement de l’offre avec la demande d’enseignants, et limite le nombre de places disponibles dans les formations au nombre de postes à pourvoir. Enfin, une fois les diplômés-enseignants entrés en fonctions, une période probatoire d’une durée moyenne d’un an est définie avant l’obtention du diplôme.
En Finlande, à Singapour et en Corée du Sud, les processus de sélection à l’entrée de la formation d’enseignants sont très sélectifs, et illustrent le mode de sélection ex ante. En Finlande, depuis 2007, une pré-sélection est effectuée sous la forme d’une épreuve en QCM, et vise à tester les compétences en langues, mathématiques et résolution de problèmes des candidats. Ceux ayant obtenu les meilleurs résultats sont appelés à passer une seconde étape de sélection organisée par les universités. Une fois diplômés, les candidats postulent à des postes au sein d’écoles, où ils passent d’autres examens.
De façon similaire à Singapour, les candidats sont sélectionnés selon la pertinence et l’excellence de leur parcours scolaire et universitaire, leurs motivations intrinsèques pour l’enseignement et leur intérêt pour les enfants. Leur niveau de langue est évalué par un test, et un entretien, réalisé par trois directeurs d’établissement, permet d’analyser leur personnalité, leurs aptitudes et attitudes. La sélectivité à l’entrée, conjuguée à une rémunération compétitive, contribuent à alimenter l’attrait de la profession enseignante (Bruns, 2015).
En Corée du Sud, la formation initiale des enseignants du primaire est d’une durée de quatre ans. Le nombre de places disponibles est aligné sur le nombre de postes à pourvoir. L’accès à l’enseignement supérieur en Corée du Sud est conditionné aux résultats obtenus à l’examen national « College Entrance Exam ». L’accès à la formation d’enseignant du primaire est réservé aux 5% des élèves les mieux classés à l’examen national d’entrée. (Barber & Mourshed, 2007).
En Finlande, à Singapour et en Corée du Sud, la carrière d’enseignant est une carrière prestigieuse et les représentants politiques ne manquent pas d’exprimer publiquement le rôle essentiel que jouent les enseignants au sein de la société, alors qu’elle tend à être une carrière de relégation pour des candidats n’ayant pas réussi à intégrer des formations plus prestigieuses dans d’autres systèmes (Barber & Mourshed, 2007).
Les bourses d’excellence
Si les décideurs publics ont dans le cas de la Finlande, de Singapour et de la Corée du Sud le pouvoir d’influencer les procédures de sélection ou de financement des universités (selon le nombre de postes à pouvoir), cela est moins le cas aux États-Unis, ou dans de nombreux pays d’Amérique Latine (Chili, Colombie, Mexique) où la tradition est à une plus grande autonomie de gestion des universités, avec pour conséquence un moindre contrôle de l’État dans le processus de sélection des candidats, mais également sur la qualité des formations dispensées, qui ne sont pas sans répercussion sur le niveau de compétences des diplômés-enseignants.
Conscients du faible niveau de compétences des candidats à une carrière enseignante, des programmes spécifiques de bourse d’études, dont l’octroi est conditionné aux résultats scolaires de l’élève, ont été mise en place pour attirer les meilleurs éléments au sein de la profession.
En Colombie, le gouvernement a mis en place en 2012 un programme de bourses pour attirer les étudiants les plus méritants au sein de la formation enseignante. Le Chili a introduit un programme de bourse d’excellence similaire en 2010, la Beca Vocacion de Profesor.
Si, la définition de critères de sélection à l’entrée de la formation enseignante est un levier d’attractivité des meilleurs candidats dans la carrière enseignante, elle n’a d’intérêt que si les programmes de formation initiale sont adaptés aux réalités de la profession et permettent aux futurs enseignants de développer les connaissances et compétences requises pour enseigner (EFA, 2014)
Les enseignements tirés de la littérature
Les systèmes éducatifs les plus performants selon le classement international PISA ont mis en place des processus de sélection très sélectifs, que ce soit ex ante (avant la formation) qu’ex post (après).
La sélectivité à l’entrée de la formation d’enseignant renforce l’attractivité de la formation pour les candidats de qualité, et contribue à valoriser le statut social de la profession. Lesystème de sélection ex post présente quelques inconvénients, en ce que l’absence de sélection à l’entrée dans la formation se traduit bien souvent par un nombre excédentaire de candidats en comparaison aux nombres de postes à pouvoir. La sélection ex ante permet de concentrer les moyens financiers et humains à la formation des candidats qui présentent a priori les compétences, qualités personnelles et la motivation pour intégrer la profession.
Cependant, il n’est pas aisé de transposer tous ces dispositifs à d’autres pays. La partie qui suit montre toute la difficulté d’une approche par benchmarking de transposition des systèmes de sélection.
Intéressons-nous au cas de la France. En effet, les décideurs d’Afrique Francophone s’inspirent souvent du système éducatif français pour leurs réformes notamment en ce qui concerne la formation des enseignants. C’est ce que j’ai pu constater lors de mes nombreuses missions dans ces pays. C’est un paradoxe, car les autorités africaines critiquent la France et en même temps s’en inspirent. Il faut rappeler qu’historiquement les systèmes éducatifs francophones sont basés sur le système français, notamment pour le système d’examens et pour d’autres aspects. Or, on verra qu’en matière de recrutement des enseignants, la France est loin d’être un modèle.
Les difficultés de recrutement des enseignants en France
La France connaît une crise de recrutement des enseignants ces dernières années.
Selon le blog liberté scolaire : « La dévalorisation du métier de professeur est croissante et l’Education nationale n’a pas les moyens de pourvoir aux postes d’enseignants vacants. Non pas à cause d’un manque d’argent (cela fait longtemps que le gouvernement a renoncé à inclure le budget de l’Education nationale dans le périmètre d’application du plan d’austérité budgétaire) mais d’un manque de candidatures. Ce fléau entraîne une baisse progressive du niveau attendu des candidats au concours du Capes ainsi qu’une baisse d’exigence du recrutement. ».
Au Capes, le concours qui permet d’être professeur dans le secondaire, 12% des postes n’ont pas été pourvus. Les syndicats pointent le manque d’attractivité du métier. Le recrutement des enseignants en master (plutôt qu’au niveau licence) est contesté.
Une étude de la Fondation Jean Jaurès établit une corrélation entre la réforme de la « mastérisation » et la pénurie d’enseignants. Elle suggère de recruter au niveau licence, comme c’était le cas avant 2011.Au Capes, le concours qui permet d’être professeur dans le secondaire, 12% des postes n’ont pas été pourvus. Les syndicats pointent le manque d’attractivité du métier.
Le gouvernement français a lancé un site web : Devenir enseignant pour motiver les candidats.
Le Ministère de l’éducation reconnait le problème : « Depuis plusieurs années, et en particulier depuis 2011, les concours de recrutement d’enseignants du second degré (CAPES, CAPET, CAPLP) n’attirent plus les candidats en nombre suffisant dans plusieurs disciplines et on ne parvient plus à pourvoir tous les postes ouverts. Si la situation s’est améliorée en 2013, elle n’en demeure pas moins préoccupante ».
Un rapport du Conseil National d’Evaluation du Système Scolaire (CNESCO) nous donne les détails :
« Entre 2012 et 2015, selon la Cour des comptes, 31 000 postes ont déjà été créés, mais 4 000 d’entre eux (soit 13 %) n’ont pas été pourvus. Ce manque de postes pourvus est surtout marqué en 2013 (3 917). Les années 2014 et 2015 n’ont pas permis de rétablir la situation.
Ces résultats se retrouvent également dans les seuils d’admission au concours. En 2015, le dernier candidat admis en liste principale a obtenu 8/20 dans l’académie de Créteil, 9,3/20 dans l’académie de Versailles contre 13,5/20 dans l’académie de Rennes.
Dans le premier degré, le département de Seine-Saint-Denis (un département de la région parisienne qui cumule les difficultés socioéconomiques NDLR) a connu, en 2016, plus de 2 000 demandes de mutations hors du département (soit 21 % des enseignants) et seulement 29 demandes d’entrée dans le département. »
La problématique de recrutement en Seine-Saint-Denis montre qu’en France le recrutement des enseignants dans les zones défavorisées est encore plus encore plus difficile que dans les autres parties du territoire : une situation bien connue en Afrique et qui engendre des disparités dans les conditions d’enseignement entre régions. Quelles sont les développements récents en matière de sélection des enseignants en Afrique ?
La situation en Afrique de l’Ouest
Face aux défis en matière de qualité des apprentissages des élèves, des pays africains s’interrogent sur les capacités des enseignants. Le niveau des enseignants contractuels et communautaires notamment fait l’objet de nombreux débats depuis des années. L’enquête PASEC 2019 va donc tester à la fois les élèves et les enseignants pour la première fois.
Au Bénin, le département de l’Attacora suspend ses recrutements des enseignants vacataires en attendant de définir des : « des examens diagnostiques ».
Le Ministère de l’Education du Bénin a aussi décidé de tester les enseignants contractuels en poste afin de les sélectionner : « Les enseignants ACE 2008 (Agents contractuels de l’Etat recrutés en 2008 NDLR) devant participer, le 24 août prochain, à l’évaluation annoncée par le gouvernement, savent désormais la note minimale qu’il leur faut avoir pour réussir à la dite évaluation. Ils devront avoir au moins 10 sur 20. »
On apprend que : « Les résultats de l’évaluation seront classés en 2 groupes. Le groupe A regroupera ceux qui obtiendront des notes supérieures ou égales à 10 sur 20 tandis que le groupe B retiendra ceux qui auront des notes inférieures à 10 sur 20. Les enseignants du groupe A deviendront des Agents Permanents de l’Etat (APE) (une mesure prévue de longue date dans les plans sectoriels NDLR). Ceux du groupe B recevront une formation modulaire ainsi que des suivis en situation de classe tout en conservant leurs salaires. Après cette formation, ils subiront une nouvelle évaluation et ceux qui réussiront cette évaluation conserveront leur statut d’enseignants contractuels de l’Etat. Quant à ceux qui ne réussiront pas à obtenir au moins la note de 10 sur 20, ils quitteront le corps enseignant et seront redéployés dans d’autres services de l’administration publique ».
Au Bénin, les dispositions de sélection sont transparentes et posées d’entrée de jeu, ce qui n’a pas été le cas au Niger.
Le Niger a lui aussi mis au point une telle sélection des enseignants contractuels en 2017 provoquant un tollé chez les syndicats. Le constat sur le niveau des enseignants du primaire est catastrophique : les enseignants contractuels ont été appelés à passer un test de niveau CE2 et CM2 et 18 737 enseignants ont obtenu la moyenne ou plus, soit 33,5%. 47,3% ont obtenu entre 5 et 10 sur 20. 19,2% ont obtenu moins de 5 sur 20 au test. « Même si on repêchait jusqu’à 8 ou 9 sur 20, on n’a pas 50% des enseignants qui maîtrisent le contenu. » d’après le Ministre interrogé par RFI.
De nombreux enseignants ont été radiés à la suite de l’opération et des problèmes de corruption dans la délivrance des diplômes BEPC (300 cas), nécessaires pour devenir enseignant, ont été soulevés par la haute autorité en charge de la lutte contre la corruption.
Ce n’est ni une évaluation ex ante ni ex post, mais plutôt « en poste » car elle vise des enseignants déjà dans les classes, craie en main. Cela soulève des questions déontologiques et surtout on se demande s’il n’aurait pas fallu tester ces enseignants avant qu’ils ne soient sur le terrain et s’interroger sur les responsabilités des uns et des autres dans ces difficultés.
En Guinée Bissau en 2010, il a été procédé à une évaluation du niveau de portugais et de mathématiques de tous les enseignants du pays (primaire et secondaire). Cette étude a permis de déboucher sur des profils d’enseignants et des formations continues adaptées. Des dispositions avaient été prises pour qu’aucun enseignant ne soit impacté par les résultats à ces tests sur le plan de sa carrière. (Varly & Benavente, 2010)
En Côte d’Ivoire, en 2019, les autorités prévoient un test psychotechnique pour le recrutement des enseignants contractuels avant l’entrée en formation. Le système comptait 23903 pré inscrits en ligne en mars 2019 pour 10300 postes. Il s’agit donc d’un système ex ante.
A quel niveau de diplôme académique recruter les enseignants ?
L’Union Africaine veut établir un standard continental pour le niveau de recrutement des enseignants : « L’initiative entreprise dans le cadre de la Stratégie continentale de l’UA pour l’éducation en Afrique (CESA 16-25), a pour but de créer une qualification d’« enseignants sans frontières » afin de standardiser les enseignements sur le continent ». « Pour mettre le projet en œuvre, l’organisation africaine veut repenser la formation des enseignants en imposant un diplôme universitaire de base comme condition minimale d’admission à la profession. Elle préconise aussi la révision systématique des programmes de formation des enseignants tous les cinq ans et la création d’écoles de formation continue », lit-on sur le site Ecofin.
En Afrique, les niveaux de diplôme requis pour entrer dans la fonction enseignante varient entre pays. En Afrique de l’Ouest, un BEPC est souvent requis pour enseigner au primaire et le BAC pour le secondaire. Pourtant au Burkina Faso, d’après les données PASEC 2014, 60% des enseignants du primaire ont fréquenté l’enseignement supérieur. Ce pays obtient des résultats supérieurs à de nombreux pays, sans qu’on puisse encore établir un lien de causalité entre niveau des enseignants et résultats des élèves.
Il faut s’interroger sur le bien-fondé d’un recrutement des enseignants au niveau du BEPC. Car d’après les résultats des enquêtes TIMSS, SACMEQ et TEDS il existe un écart de quatre ans de scolarité effective entre pays du Nord et d’Afrique. C’est-à-dire qu’un BEPC africain équivaut plus ou moins à un niveau de fin d’études primaires dans les pays développés. Ainsi, alors que l’on croît recruter au niveau BEPC on recrute en fait au niveau CEP selon les standards internationaux.
En Afrique de l’Ouest, recruter des enseignants du primaire avec des diplômes du supérieur, comme le suggère l’UA, poserait des problèmes. Premièrement, il n’y aurait pas forcément un vivier de candidats suffisant pour pourvoir les postes. Si le recrutement est régionalisé, certaines régions ne disposent tout simplement pas d’université.
Un recrutement sur la base d’un diplôme universitaire entraînerait aussi une augmentation des salaires des enseignants entrants pour être compétitifs. Les enseignants anciennement recrutés sur la base d’un diplôme du BEPC ou du BAC mais détenant un diplôme du supérieur demanderaient aussi un alignement de leurs salaires. Tout ceci aurait un impact considérable sur les budgets. Cependant, il existe une pléthore de diplômés niveaux universitaires ne trouvant pas d’emploi car ils ne disposent pas des compétences requises, mais ils pourraient moyennant une formation intensive devenir enseignants.
Un recrutement au niveau BAC pour les enseignants du primaire paraît plus réaliste, mais ce n’est pas suffisant. En effet, au Niger, d’après les données de l’enquête sur la prestation de services (IPS) 2015 de la Banque Mondiale, si les enseignants qui possèdent un BAC ont de meilleures compétences académiques que ceux doté d’un BEPC, ils n’ont toujours pas le niveau suffisant pour enseigner. Il faudrait donc recruter au niveau BAC mais sélectionner les enseignants ayant les compétences minimales sur la base d’un test complémentaire. Le phénomène est amplifié dans les pays où la langue d’enseignement (par exemple le français au Niger) n’est pas la langue maternelle des enseignants, ce qui est le cas dans la plupart des pays d’Afrique Francophone (à l’exception du Burundi).
Au Maroc, l’enquête IPS conduite par l’ONDH en 2017 a révélé que la grande majorité des enseignants, malgré un BAC, ne justifiait pas des compétences de base pour s’acquitter convenablement de leur mission, nous apprend Youssef Saadani. Cet économiste propose d’: « exiger une moyenne minimale au baccalauréat permettant de sélectionner des candidats parmi les meilleurs 30% de chaque promotion » et également « Une refonte complète pour renforcer l’attractivité de la profession notamment en revalorisant les salaires à l’entrée, en accordant des primes d’éloignement et des logements de fonction aux enseignants affectés dans des régions reculées, tout en ouvrant des perspectives de carrière enthousiasmantes pour les plus performants ».
En Afrique Australe, où les pays ont des économies plus développées, les enseignants possèdent déjà davantage un diplôme universitaire qu’en Afrique de l’Ouest. De plus, les résultats des enseignants aux tests SACMEQ n’ont pas relevé des problèmes majeurs de compétences académiques des enseignants en dehors de quelques pays. Comparativement à l’Afrique Australe, l’Afrique de l’Ouest fait aussi plus souvent recours aux enseignants contractuels ou communautaires dont les modalités de recrutement sont discutables à en croire les résultats des tests de compétences des enseignants et les remontées d’information des acteurs de terrain, (Varly, 2016).
Perspectives
Le chantier de la sélection des enseignants est donc relancé en Afrique et devra tenir compte des capacités économiques des pays et des différents contextes. Les tests destinés aux enseignants, et non plus seulement aux élèves, sont appelés à se multiplier. Sans vouloir jeter l’opprobre sur nos camarades enseignants, si l’on veut améliorer la qualité de l’éducation, on doit pouvoir mieux sélectionner les enseignants et s’assurer qu’ils disposent des compétences minimales. Les autorités doivent aussi garantir des conditions attractives dans la profession, que ce soit au niveau des statuts qu’au niveau des conditions d’enseignement (taille de classe raisonnable, équipements et matériels…). Tout ceci nécessite de prévoir les budgets en conséquence et implique une plus grande implication des bailleurs de fonds internationaux et des autorités nationales dans le financement de l’éducation. C’est une condition sine qua none de la qualité des enseignements. Si un enseignant ne maîtrise pas lui-même les contenus qu’il est censé enseigner, l’ensemble du système s’écroule. Les modalités pratiques de la sélection des enseignants, tout en respectant les implications déontologiques et les contraintes socioéconomiques, restent à définir au cas par cas.
Bibliographie
- Barber, M. & Mourshed, M. (2007). Les clés du succès des systèmes scolaires les plus performants. Londres : McKinsey & Company
- Bruns, B., and Luque, J., (2015). Great Teachers: How to Raise Student Learning in Latin America and the Caribbean. Latin American Development Forum Series. Washington, DC: World Bank.
- EFA Global Monitoring Report 2013/2014 (2014). Teaching and Learning: Achieving quality for all. Paris: UNESCO
- OCDE (2018), Politiques efficaces pour les enseignants, Perspectives de PISA, OCDE.
- OCDE (2016), Review of School Resources, Denmark 2016, Management of the teaching workforce, Paris: OCDE
- Varly P. et Benavente A. (2010), Bilan de compétences des enseignants de Guinée Bissau, UNESCO BREDA.
- Varly P. (2016), Teachers competencies in Sub Saharan Africa, Working paper, World Bank.
https://www.liberation.fr/france/2020/01/08/prof-un-metier-qui-n-attire-plus_1769790
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/15/chute-du-nombre-de-candidats-au-concours-de-l-enseignement_6025882_3224.html