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La situation de handicap et l’image contre-productive

Par Alain Mante, septembre 2021

L’image à double tranchant.

Peut-être faudrait-il pouvoir regarder et parler d’autres choses que d’images et de témoignages individuels de personnes en situation de handicap, d’exploits d’athlètes handicapés[1], ou de parcours scolaires accomplis, d’un diplôme de 3° cycle au prix d’efforts reconnus du malvoyant, de l’artiste autiste aux merveilleuses productions, de l’enfant aux membres atrophiés malgré tout souriant sur ses cannes anglaises, ou encore de la jeune femme amputée d’une jambe militant pour ses compétences intactes. Ces clichés parsèment les sites des associations et organisations défendant leurs droits fréquemment mis à mal. L’initiative est certes très louable, et il faut ramener inlassablement ces lueurs d’espoir sur le devant de la scène.

Mais il est bon aussi de veiller au double tranchant des témoignages et de l’image. Ils donnent le sentiment que le problème criant de la non-prise en compte des personnes en situation de handicap est résolu. Ils orientent ainsi l’opinion de ceux qui ne la vivent pas, vers un désintéressement de l’inclusion et de la participation vraie des plus marginalisés à la vie sociale. On s’adonne alors au risque de contourner la masse de handicaps invisibles, résignée et silencieuse.

Après tout, quelque chose est fait, ça existe,

… En plus il y a des établissements pour eux, non ? Ils ont leurs aides, leurs compensations !

… D’ailleurs je donne régulièrement à  l’association des chiens d’aveugles, … et puis c’est déductible des impôts !

Cynisme ? Réalisme ?

Un écart se crée avec les recommandations quelque peu incantatoires des nombreux textes internationaux (couronnés entre autres par la CIRDPH de l’ONU en 2006[2]), ou nationaux (loi française de 2005 par exemple, tout aussi complète[3], sur l’égalité des droits et des chances[4], et sa centaine de notes, circulaires, arrêtés ou décrets d’applications[5], généralement peu connus). La distance persiste d’avec une réalité insuffisante d’accessibilité, et de participations possibles[6]. Les fossés ne se comblent que trop lentement.

 La généralisation hâtive du fauteuil roulant.

Le pictogramme du fauteuil roulant sur fond bleu des places de parking amenuise la réalité multiple et invisible des déficiences et incapacités qui génèrent le désavantage social, (quand elles ne sont pas associées, comorbidité, poly et pluri handicaps, … souvent oubliées d’une grossière classification par type de handicap).

L’image (encore) du même fauteuil arrêté devant une volée de marches est très répandue, forte et on ne peut plus signifiante. Elle ne traduit point cependant toutes les nécessaires accessibilités architecturales, et dispositifs spécifiques, ni les accessibilités aux savoirs en structures éducatives, pour des handicaps moins visibles, moins sensibles spontanément. Il existe une complexité peu soupçonnée des situations de handicap, malgré une énumération précise et référencée depuis 2001[7].

On parle peu des besoins particuliers et besoins éducatifs particuliers inhérents,

  • aux communications : (langage des signes, pictogrammes, braille, clarté et simplicité du discours pour des situations de déficiences intellectuelles par exemple, …,
  • aux nécessaires signalétiques verticales (facile à lire, facile à comprendre),
  • aux signalétiques horizontales essentielles aux aveugles et mal voyants, …dont il existe pourtant des normes claires d’application[8],
  • à une pédagogie différenciée favorisant les apprentissages scolaires, vivement recommandée[9], mais encore dépendante d’une professionnalisation enseignante,
  • ou encore aux accessibilités à la dématérialisation des services publics et aux usages numériques, illectronisme[10] devenu d’actualité.

Leur mise en œuvre effective est par ailleurs reconnue profitable au plus grand nombre[11]. Elle mériterait un peu plus d’attention en ce sens.

Les enfants, adolescent(e)s et adultes en situation de handicap sont les plus défavorisés des exclus. Ils passent la majorité de leur temps à surmonter les barrières physiques, culturelles qui se dressent en permanence, ou encore les survivances de rejets ancestraux qui reviennent plus ou moins dissimulés. Ces personnes aux fragilités extrêmes[12], demeurent l’objet des regards détournés, d’une dévalorisation de leur représentation de soi, d’agressions verbales et physiques de toutes sortes, petites, jeunes filles, et femmes en particulier.

Il a fallu des siècles d’exclusion pour en sortir[13], … et combien de temps encore pour aboutir à la participation pleine et entière de cette proportion grandissante d’êtres humains dans le monde ? Ils sont 15 % au bas mot, et en progression constante, avançaient déjà l’OMS et la Banque Mondiale en 2011[14], pourcentage toutes gravités confondues tout aussi peu connu ou ignoré.

Quelques références ci-après permettent un approfondissement de ces points rapidement esquissés

RÉFÉRENCES ET COMMENTAIRES

[1] Remarque : Exploits concédés aux jeux paralympiques, alors qu’une véritable inclusion les ferait se dérouler au même moment et sur les mêmes lieux que les jeux olympiques ordinaires avec les adaptations adéquates, …. Avec les moyens techniques actuels, on ne peut indéfiniment argumenter que c’est irréalisable, … utopique alors ?

http://athletisme-handisport.org/le-haut-niveau/mondiaux-para-athletics-londres-2017/

[2] Convention relative aux droits des personnes handicapées. ONU, 2006. http://www.un.org/disabilities/documents/convention/convoptprot-f.pdf

Voir également un inventaire non exhaustif des textes internationaux dans : L’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap, ressentis, contraintes et légitimités. Annexe 1. Alain MANTE, Février 2018. https://personnes-a-part-entiere-ou-entierement-a-part.blog4ever.com/

[3] La Loi de 2005 et ses conséquences –  Handicap de l’enfant : quelle prise en charge ?  Médecine thérapeutique – Pédiatrie, 2007

http://scolaritepartenariat.chez-alice.fr/page17.htm

[4] Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. LOI n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000809647&categorieLien=id

[5] Décrets d’application loi du 11 février 2005. Handicap.fr, 2011. https://informations.handicap.fr/decrets-loi-handicap-fevrier-2005.php#container

[6] Loi Handicap : des avancées réelles, une application encore insuffisante. Rapport d’information de Mmes Claire-Lise CAMPION et Isabelle DEBRÉ, fait au nom de la commission pour le contrôle de l’application des lois n° 635 (2011-2012) – 4 juillet 2012

http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-635-notice.html

[7] Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF). OMS, 2001. http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/42418/1/9242545422_fre.pdf

[8] Comment adapter sa signalétique en fonction des différents handicaps ? Handinorme, 2017 https://www.handinorme.com/accessibilite-handicap/185-comment-adapter-sa-signaletique-en-fonction-des-differents-handicaps-

Arrêté du 20 avril 2017 relatif à l’accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public lors de leur construction et des installations ouvertes au public lors de leur aménagement. JORF n°0098 du 26 avril 2017.

https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2017/4/20/LHAL1704269A/jo/texte

[9] Loi d’orientation sur l’éducation (n°89-486 du 10 juillet 1989). Ministère de l’Éducation Nationale, 1989. http://www.education.gouv.fr/cid101274/loi-d-orientation-sur-l-education-n-89-486-du-10-juillet-1989.html

Le projet individualisé, clé de voûte de l’école inclusive ? Du discours à la méthode. Le sémaphore ERES, 2004. https://www.editions-eres.com/ouvrage/1378/le-projet-individualise-cle-de-voute-de-l-ecole-inclusive

L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves. Cour des comptes, mai 2010 https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000222.pdf

[10] Rapport et recommandations,  stratégie nationale pour un numérique inclusif. Secrétariat d’État au Numérique, 2018.

https://rapport-inclusion.societenumerique.gouv.fr/rapport_numerique_inclusif.pdf

[11] Déclaration de  Salamanque, cadre d’action. UNESCO, 1994.  http://unesdoc.unesco.org/images/0009/000984/098427fo.pdf

Guide de poche de l’INEE sur l’appui aux apprenants handicapés. INEE, 2012. https://toolkit.ineesite.org/resources/ineecms/uploads/1138/INEE_PG_Learners_w_Disabilities_FR.pdf

Teacher Education for Children with Disabilities Literature Review. UNICEF, 2013

Click to access Teacher_education_for_children_disabilities_litreview.pdf

 

[12] Cette notion de fragilité commune à l’espèce humaine parce qu’elle relève de l’ordinaire de la vie, a été largement développée par Charles GARDOU, Président du CHRES / Université Lumière – Lyon II, depuis le début des années 2000 sous un éclairage anthropologique.

La personne handicapée : d’objet à sujet, de l’intention à l’acte. Charles GARDOU. Colloque à Lyon II des 17, 18 et 19 septembre1998).

http://intescol.free.fr/CHGARDOU.htm

Fragments sur le handicap et la vulnérabilité. Connaissances de la diversité. Charles GARDOU. ERES, 2009. https://www.editions-eres.com/ouvrage/1543/fragments-sur-le-handicap-et-la-vulnerabilite

 

[13] Histoire des institutions : Les notions d’adaptation et d’intégration scolaires. Académie de Nancy-Metz, 2004.

https://www4.ac-nancy-metz.fr/ia54 circos/ienpompey/sites/ienpompey/IMG/pdf/Histoire_du_handicap.pdf

 

[14] Rapport mondial sur le handicap. Organisation Mondiale de la Santé – Banque Mondiale, 2011. http://www.who.int/disabilities/world_report/2011/summary_fr.pdf

 

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