Un article du blog Sauvons l’école publique nous invite à « supprimer les études sur l’éducation et à les remplacer par la boule de cristal ». Chiche !
L’article du blog Sauvons l’école publique est une réaction aux directives du Ministère de l’Education Nationale français sur la recherche des « gisements d’efficience », visant entre autres à augmenter la taille de classe dans un contexte de réduction des dépenses publiques. Voir ici le texte et les reportages télé.
Non vous n’êtes pas chez l’Oréal, mais bien à l’Education nationale pour qui « l’efficience » est donc une denrée rare, enfouie dans les sous sols de chaque académie. Les directives de l’éducation nationales imprimées religieusement pour en faire ressortir la substantifique moelle nous transportent sur les terrains ésotériques du management abscond. L’encre sympathique révèle sans doute les sens caché de ces directives de haute volée.
« Un ensemble de leviers à la main des recteurs fait l’objet de simulations précises par chaque académie, les résultats sont à rapprocher de valeurs de références afin de susciter une analyse approfondie des marges possibles ». Soit !
« L’identification des gisements doit se faire indépendamment des situations de sur ou sous-dotation, du respect des enveloppes d’emplois et de masse salariale et des contraintes démographiques qui seront introduits dans l’exercice ultérieurement » C’est cela oui.
L’exercice culmine avec le « premier croisement des analyses respectives des académies et de la centrale : bilatérales par visioconférence pour un point d’étape ». Prière d’apporter avec vous « les éléments facilitateurs, la méthodologie pour estimer le gain et le degré d’acceptabilité », sans bien sûr oublier le shampoing qui revitalise l’éducation à la racine.
On ne s’y prendrait pas mieux pour maintenir la cotation AAA de la dette de la France en adressant un signal aux marchés financiers. Dans le même ordre d’idée, le Portugal a décidé de fermer les écoles de moins de 21 élèves.
Pourtant les études du Ministère de l’Education ne convergent pas toutes pour définir l’augmentation de la taille des classes comme étant une mesure coût-efficace. Certaines études ayant eu quelques problèmes d’imprimerie apparemment, ce qui tient peut être aussi à une biographie pas assez complète. Voir ici.
Les études scientifiques et méta-analyses sur la question de la taille des classes sont légions. Grosso modo, elles nous disent qu’en dessous d’un certain seuil, une baisse de la taille de classe n’a pas vraiment d’effet significatif sur les apprentissages des élèves, les enseignants n’ayant pas tendance à adapter leurs méthodes en conséquence. L’étude de référence est le projet STAR, mené aux USA.
Ces études (comme celle-ci aux Etats Unis ou celle-la en France) mobilisent des techniques économétriques de fonction de production éducative, qui sont pour le profane de l’ésotérisme. Ces travaux ont beaucoup de similitudes avec une vision cabalistique d’un univers régi par des lois mathématiques divines et un ordre numérologique. Le montant des recherches engagées sur la taille de classe dans les pays du Nord doit avoisiner le PIB du Burkina Faso !
Le chiffre 25 revient souvent comme étant la taille de classe à ne pas franchir, si on en a les moyens. C’est également selon certains auteurs (Hottie) une des règles du Talmud que de garantir 25 élèves par classe dans l’enseignement religieux. Je vous laisse vérifier en furetant les E-textes Sacrés ici. Le prophète des économistes de l’éducation s’appelle quant à lui Eric A. Hanushek.
En France, le nombre d’élèves est limité à 25 en ZEP ou 22 selon les déclarations du ministre! On évitera le nombre 23 qui porte malheur.
Et au Sud ?
Les études menées pointent le fait que de petites tailles de classe sont bénéfiques en début de cycle primaire pour la lecture et les maths. Or dans les pays en développement, étant donné le fort abandon et une pression démographique importante, c’est la situation inverse qui se produit. Les classes des premières années sont surchargées. Il n’est pas rare de trouver des classes de plus de 100 élèves notamment dans les villes. Pour une fois, on vous épargnera les photos.
Dans les zones rurales, les effectifs sont généralement plus réduits ce qui contrecarre l’effet d’une moindre formation des enseignants dans les zones reculées et d’une plus grande fréquence des travaux des champs et de l’absentéisme des enseignants et des élèves. Le grand architecte de l’Univers Educatif a bien fait les choses !
Coïncidence statistique ou intervention divine, 25 est également le chiffre moyen du ratio élèves enseignant dans le monde, selon les données de l’UNESCO, mais il est hors de portée de bourse de nombreux pays en développement et surtout d’Afrique. Sur ce continent, le nombre d’élèves par classe (ou ratio élèves par enseignant pour être précis) est de 44 en moyenne.
Le graphique ci-dessous présente la diversité des situations, les cas les plus graves étant toujours situés en Afrique.
En 2000, un rapport de l’OCDE citant la Banque Mondiale nous dit qu’on peut « « préserver l’output éducatif sans faire descendre au dessous de 45 élèves par classe » et que «la taille de classe n’a pas diminué après l’intervention politique de la Banque Mondiale dans des pays comme l’ancienne Afrique occidentale française ».Accès ici sur Google Books.
Depuis, la situation n’a pas évolué et entre 2001 et 2008, le ratio élèves par enseignant s’est maintenu à 44 en moyenne en Afrique selon le Pôle de Dakar, avec le record absolu pour la Centrafrique (entre 83 et 100 élèves par classe), champion également du redoublement. Le chiffre de 40 élèves par classe a été fixé comme un objectif raisonnable dans le cadre de l’initiative Fast Track. En Asie, 40 élèves par classe ne posent pas de problème, comme en Corée du Sud, car les méthodes d’enseignement sont adaptées et la discipline règne dans les écoles. Ce choix stratégique a sans doute permis à la Corée du Sud d’investir dans les supports numériques à tel point d’envisager la suppression des manuels scolaires papier dans un proche avenir. Voir le potentiel de développement des Ebook.
L’argument souvent invoqué est que les pays qui ont de forts effectifs en classe peuvent très bien réussir, abstraction souvent faite des méthodes d’enseignement qui se prêtent mal aux moulinages statistiques et aux comparaisons…
Dans la pratique, peu d’enseignants du Sud sont préparés à affronter des effectifs pléthoriques que ce soit par leur formation initiale ou continue. Un papier de Margo C. O’Sullivan (Teaching large classes..) résumé ici nous donne quelques pistes, à partir du cas Ougandais.
Selon le récent rapport d’Aide et Action sur l’impact de la crise sur l’éducation, la situation n’est pas prête de s’améliorer. Ne vaut-il pas mieux : «tirer les leçons de la crise actuelle, pour mieux préparer le futur et répondre aux enjeux qui apparaissent déjà » que d’ergoter sans cesse sur la question de la taille des classes ?
Les travaux de Mikaelowa à partir des données du PASEC ont permis de définir un seuil de 62 élèves par classe à ne pas dépasser. Voir ici un document très bien fait de l’USAID sur les grandes classes. On retiendra les seuils magiques de 25 (pour les riches), 45 (pour les pays à moyen revenu) et 62 pour les pays pauvres qui ne seraient pas encore tombés sur un gisement d’efficience des dépenses publiques.
La relation entre taille de classe et acquis scolaire en Afrique
Le graphique ci-dessus nous montre clairement comment est défini le seuil de 62 élèves par enseignant. Avec des données PASEC plus récentes, le seuil de 25-30 élèves ressort également comme un point d’inflexion. Le seuil de 28 élèves permet de se caler avec le cycle de la lune.
En dehors des ratios moyens, le problème se situe davantage au niveau de la variété des situations et de l’équité. La Banque Mondiale a donc parfois inclus dans les indicateurs déclencheurs de crédit (DSRP), le nombre d’écoles avec moins de 40 élèves ou avec plus de 70 élèves et a fait de la résorption des inégalités éducatives, une condition de financement. Cette mesure, directement dérivée des travaux de recherche de Michaelowa, du PASEC et d’Alain Mingat prouve que les études scientifiques ne doivent pas être systématiquement jetées aux orties, au profit de la boule de cristal. De tels travaux ont par exemple permis de faire baisser la pratique du double flux, quand c’est possible, qui nuit aux apprentissages ou ont concouru à maintenir le redoublement dans des proportions plus raisonnables, notamment en début de cycle. Ce qui permet de faire baisser la taille des classes….
Un tel raisonnement pourrait être appliqué à l’échelle mondiale, où les pays riches pourraient envisager d’augmenter leur taille de classe d’un seul élève afin de dégager des budgets permettant d’atteindre l’objectif de 0,7% du PIB en faveur de l’aide au développement.
Ne rêvons pas. Les enseignants africains auront toujours à gérer de grandes classes et toutes les réformes pédagogiques sont souvent déformées par la fameuse boule de cristal ethnocentrique.
L’exemple suivant de l’organisation des académies talmudiques de Babylone montre qu’en des temps anciens, on s’accommodait fort bien de taille de « classes » élevées -71 pour être précis- car les pratiques étaient bien codifiées.
« L’examen procède de la sorte : ceux qui sont assis au premier rang récitent à voix haute le sujet, tandis que les membres des autres rangées écoutent en silence. Lorsqu’ils arrivent à un passage qui requiert discussion ils en débattent parmi eux, le directeur prenant silencieusement note du sujet de la discussion. Le directeur donne ensuite lui-même un cours sur le traité en question, mettant en exergue les passages qui ont donné matière à discussion. Parfois, il adresse une question à l’assemblée concernant la manière selon laquelle une certaine halakha [stipulation légale] doit être expliquée : ceci ne doit être répondu que par le sage nommé par le directeur. Le directeur ajoute sa propre interprétation, et lorsque tout a été clarifié, l’une des personnes du premier rang se lève et fait un discours, destiné à toute l’assemblée, résumant les arguments sur le thème qu’on a considéré. […] La quatrième semaine du mois de la kallah, les membres du Sanhédrin, ainsi que les autres disciples, sont examinés individuellement par le directeur, afin de prouver leur connaissance et capacité. Quiconque se montre insuffisamment préparé, est révoqué par le directeur, et menacé de se voir supprimer la bourse allouée pour sa subsistance. […] Les questions qui ont été reçues de différents quartiers sont également discutées lors de ces assemblées de kallah en vue d’y apporter une réponse définitive. Le directeur écoute les opinions de l’assistance, et formule la décision, qui est immédiatement consignée par écrit. À la fin de ce mois, ces réponses collectives sont lues publiquement à l’assemblée, et signées par le directeur. »
L’archéologie des « gisements d’efficience » pédagogique est-elle la science du futur?
Crédit photos : Wikipédia, (Vestiges de Ctesiphon), Allo Ciné pour l’affiche du film Le nombre 23.
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Pierre Varly
Beau, amusant, juste, mais on pourrait aller plus à fond. Par exemple dans une perspective diachronique et comparative rappeler qu’ à la sortie de la deuxième guerre mondiale en Europe la taille des classes dans le primaire était au-dessus de 40 en moyenne. Les enseignants maitrisaient la didactique appropriée et peut-être il y avait une autre culture populaire, l’école avait un sens et les élèves marchaient au pas. On a baissé la taille moyenne petit à petit en augmentant le nombre des prof sans rapport avec l’évolution démographique. Dans la phase d’expansion des systèmes d’enseignement ceux qui ont gagné ont été les prof et leurs syndicats. Pas les élèves. L’inégalité sociale devant l’instruction n’a pas changé beaucoup et le niveau d’instruction…..on ne sait pas s’il a baissé ou non.
Norberto
Voir cet article du Monde
La qualité et la taille des classes (maternelles NB) ainsi que l’expérience des enseignants contribuent à forger des capacités (effort, initiative, participation, etc.), dont l’influence sur les tests est limitée, mais qui ont des effets considérables à long terme.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/05/30/attention-ecole-en-perte-de-moyens_1529229_3232.html
et les travaux du projet Star http://obs.rc.fas.harvard.edu/chetty/STAR_slides.pdf
Voici un mémoire très intéressant sur la pédagogie des grands groupes au Cameroun.
http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/56/40/05/PDF/TOUA_LA_onie_M2R.pdf
Un article scientifique (donc en anglais..) sur la taille de classe, parmi d’autres.
http://www.csae.ox.ac.uk/workingpapers/pdfs/2009-16text.pdf
Exactement le style d’idee dont je me fesait sur le sujet, merci bien pour cette excellent billet.
voir : http://www.liberation.fr/direct/element/une-etude-affirme-que-la-reduction-des-tailles-des-classes-ameliore-les-resultats-scolaires_70180/?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1504685198