L’axe du mal : une définition statistique

Garde à vous !

En 2002, le Président G. W. Bush identifiait un axe du mal constitué de :«Irak, Corée du Nord et Iran ». Sur le fond, il n’avait sans doute pas tort vu la mauvaise gouvernance et la malveillance de ces pays. La Corée n’est même pas membre des Nations Unies, tandis que l’Iran développe un arsenal nucléaire. Quand à l’Irak, on connait le sort qui lui a été réservé, sans que l’on sache si ce pays a depuis retrouvé le camp des gentils. Condoleezza Rice y ajoute la Birmanie, le Zimbabwe, Cuba et la Biélorussie, comme étant l’“avant-poste de la tyrannie”. On aurait pu inclure également la Syrie, la Libye, la Tunisie, mais aussi pourquoi pas quelques paradis fiscaux : Monaco, Luxembourg et les Iles Caïman. Bref à chacun sa black list.

N’est-il pas possible d’identifier un axe du mal par une méthode qui séparerait objectivement les gentils des méchants?

Par exemple, on peut comparer les dépenses militaires avec les dépenses d’éducation et identifier les pays ayant franchi la ligne rouge représentant le moment où le budget de l’armée dépasse celui des écoles, en disant « C’est pas bien ! ».

Le principe moral théorique des dépenses pour l’éducation

Pourquoi une telle définition du « mal »? La plupart des pays du monde ont signé la déclaration fondatrice de l’Unesco qui nous dit : « Parce que les guerres naissent dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’elles doivent être combattues » par l’éducation bien entendu… Un pays bienfaisant devrait donc plus dépenser pour l’éducation de ces enfants et celles des autres que pour son armée. La période août-septembre étant souvent propice à l’élaboration des budgets dans de nombreux pays, un examen des dépenses publiques s’impose, d’où que l’on vienne.

Le rapport Unesco de suivi de l’EPT 2011 propose une telle analyse en comparant les dépenses militaires avec les dépenses d’éducation primaire des pays pauvres.

Le principe pragmatique des dépenses militaires

 D’emblée, le rapport nous dit que les analyses sont conduites sur 39 pays. Sur quelle base, ces pays ont été sélectionnés ? Le rapport, très détaillé, nous dit que dans 21 pays, les dépenses militaires (ou d’armement) dépassent les budgets alloués à l’éducation primaire et identifie quatre pays très méchants : le Pakistan, l’Angola, le Tchad et la Guinée Bissau.

Pour l’anedocte, on rappellera que Pierre Falcone, un trafiquant d’armes recherché par Interpol, fut un temps ambassadeur de l’Angola auprès de l’Unesco, ce qui avait valu une convocation de l’ambassadeur de France auprès du directeur général….S’agissant du ratio entre dépenses militaires et dépenses d’éducation primaire, le point à ne pas franchir est symbolisée par un ratio égal à 1 (position de la Côte d’Ivoire).

Nos trois amis : Irak, Iran et Corée du Nord n’y figurent pas. Les pays pauvres n’ayant pas scolarisé toute la population, leurs dépenses d’éducation sont moindres que celles des pays riches, ce qui a tendance à distorde l’axe. De plus, les données sont présentées « circa 2007 », soit aux alentours de 2007, et fournissent donc une information ponctuelle sur le niveau de dépenses. Les dépenses militaires fluctuent comme l’illustre l’exemple du Tchad, en proie à une guerre civile en 2006 et qui a du en urgence acheter des hélicoptères. Les dépenses militaires du Tchad sont donc passées de 0,9 à 6,2% du PIB entre 2005 et 2009 (Source Sipri), une telle performance ayant été rendue possible par l’exploitation du pétrole.

Source : Banque Mondiale

Dépenses d’éducation et militaires en % du budget national (Moyenne 2000-2009)
Une autre solution est de raisonner sur une période plus large, en commençant l’année de déclaration des objectifs de l’Education pour Tous, soit l’an 2000, et en comptabilisant les dépenses d’éducation totales (primaire, secondaire et supérieur…). De plus, il n’y a aucune raison de restreindre l’analyse aux pays pauvres. En effet, le rapport de l’Unesco nous dit que 6 jours de dépenses militaires des pays riches suffiraient à dégager les 16 milliards de dollars nécessaires à l’Education pour Tous. On peut donc se demander légitimement si les pays riches sont bienveillants. On rappellera que les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU sont les cinq plus gros vendeurs d’armes. Au niveau mondial et en moyenne sur dix ans, le gâteau budgétaire se présente généralement ainsi : 10,6% pour l’armée, 14,2% pour l’éducation et 15% pour la santé d’après les données de la Banque Mondiale.

Les dépenses de défense et de sécurité sont dites « régaliennes », c’est-à-dire qu’elles ne vous concernent pas et qu’on ne vous demande pas votre avis.

Mention spéciale du jury au Costa Rica qui n’a tout simplement pas d’armée ! Redoublement pour Oman qui dépense en moyenne sur dix ans 42% de son budget pour la défense ! Nous ne présenterons pas Oman sur le graphique, le pays étant hors catégorie.

L’axe du mal est symbolisé par la ligne rouge, les pays situés au dessus dépensent plus pour l’armée que pour l’éducation.

Près de la moitié des pays ne fournissent pas les données nécessaires au graphique. On peut donc les ranger définitivement dans la catégorie de l’axe du mal, par manque de transparence de la dépense publique ou aller chercher les données sur le site de Stockholm International Peace Research Institute. En effet, ces données sont présentées non pas en ratio du budget national mais en ratio du PIB, qui peut être estimé par les économistes, contrairement au budget qui est lui voté chaque année.

Encouragements au Maroc, au Lesotho, à la Thaïlande. Félicitations à l’Islande, au Cap vert, à la Moldavie et à la Jamaïque bien sûr, Ja Rastafarai. Nous voyons apparaître au dessus de l’axe du mal (Move away Babylone !) : Pakistan, Singapour, l’Azerbaidjan, l’Ethiopie, la Géorgie mais également les Etats Unis ! tandis que le Mali et la Centrafrique s’en rapproche dangereusement.

Feu sur le Pakistan et l’Inde

On notera toutefois que le Pakistan a réduit sa dépense militaire « interne » depuis quelques années, sans que l’on sache bien quantifier l’aide que lui apporte les Etats Unis, d’après les spécialistes du Stockholm International Peace Research Institute. “Looking for data on US military aid? SIPRI does not collect this data, but the Federation of American Scientists does.”

On encouragera donc les statisticiens à établir le bilan comptable des missiles américains malencontreusement tombés au Pakistan. Voici donc la liste des pays constituant un axe du mal.

Le niveau de dépenses militaires du couple indo-pakistanais, qui comptent en valeur absolue le plus grand nombre d’enfants non scolarisés, a été un élément de blocage à leur adhésion à l’Initiative Fast Track et à l’accès aux financements internationaux.

Silence radio des bailleurs de fond

Certains pays qui figurent sur cette liste ont été néanmoins élus à l’Initiative Fast Track. Doivent-ils bénéficier de l’aide internationale ?mais bien sûr, sinon comment pourraient-ils acheter des armes. Le FMI a toutes les peines du monde à aborder ces questions avec le Pakistan, voir cet article sur le blog.

Sous couvert du sacro-saint principe de souveraineté nationale ou du droit à massacrer tranquille, la part alloué aux dépenses dites de sécurité n’est que très peu débattue entre pays et bailleurs de fond. Il est clair que l’Unesco malgré ses bonnes intentions n’a absolument pas le pouvoir de négociation de la Banque Mondiale, des USA, de la France et du Royaume Uni.

Que font-ils ? A quoi servent les armées dans la plupart des pays ? A opprimer, racketer, tuer et violer (comme en Guinée), parfois à organiser des secours, trop rarement. Pour l’anedocte, Hachette est des éditeurs leader du livre scolaire en Afrique, qui appartient à Arnaud Lagardère, patron du dealer d’armes Matra.

Pour l’anedocte, dans ses Mémoires, Chirac nous confie avoir toujours été proche de Dassault, qui le « soutenait », Sarkozy étant réputé proche de Lagardère

Sur le plan strictement européen, en pleine période de crise de la dette, regardons donc quelle est la situation des dépenses d’armement? La Grèce dépense autant pour l’éducation que pour sa défense.

La Grèce dépense plus en proportion que la France et le Royaume Uni dans les dépenses militaires, 3% du PIB, soit exactement la valeur cible du traité de Maastricht pour le déficit public. Le faible niveau de dépense de l’Irlande dans le domaine militaire n’est sans doute pas étranger à la réussite économique de ce pays il y a quelques années.

Selon la Banque Natixis : Si on part du principe simple qu’il faudrait réduire les dépenses publiques élevées (supérieures à la moyenne des pays) qui ne sont pas strictement indispensables (R&D, éducation, dépenses actives du marché du travail, investissements publics),

on doit réduire les dépenses militaires en France, en Grèce, au Portugal

.La Grèce n’ayant pas une industrie d’armement développée, elle importe des armes à crédit sur les fonds européens! Comme menace invoquée, bien sûr la Turquie (2,7% du PIB en dépenses militaires), Chypre, peut être aussi une invasion extra-terrestre (évoquée par Ronald Reagan aux Nations Unies en 1986…).

Jusqu’au milieu des années 70, la Grèce était sous la coupe d’une dictature militaire.De plus, la Grèce occupe en Europe une situation stratégique, un nombre important de pays d’Asie Centrale et du Moyen Orient étant à portée de chasseur F16 ou de Mirage 2000, soit.
D’ailleurs, le seul cas connu de F16 abattu en combat aérien est celui d’un appareil turc abattu par un Mirage 2000 grec en 1996…suivi d’un autre incident en 2006 qui a opposé chasseurs turcs et grecs. Ce site propose même un tableau des incidents aériens greco-turques.

En France, pour le prix d’un char d’assaut (Leclerc bien sûr comme les supermarchés), on pourrait construire 252 classes, soit l’accès à l’éducation pour 7560 élèves, selon ce blog.

La programmation militaire est expliquée dans le livre blanc de la défense, mais qui l’a lu ? A l’heure où vous parcourez ces lignes, une dizaine de personnes réunies en Commission parlementaire étudie en votre nom la manière de maintenir les budgets alloués aux marchands de canons, une dizaine d’autres planchent sur la manière d’aller trouver des financements innovants pour le développement et la Chine vient de mettre à l’eau un porte avion.

Les Etats Unis leur ont demandé de justifier ce geste. C’est comique.  Faut-il rappeler les justifications invoquées pour la guerre en Irak et les powerpoint foireux de Colin Powell? La Chine ne dépense que 2,2% de son PIB pour les dépenses militaires, une proportion quasi invariante depuis dix ans. Pour combien de temps ? Faut-il pour autant escalader l’axe du mal ? Ne serait-il pas temps de déployer les armes d’instruction massives ?

Repos.

Pierre Varly

This Post Has 7 Comments

  1. Profitant de l’aubaine libyenne, la question de la réduction des dépenses militaires n’a pas été abordé par le Premier Ministre français dans le cadre du projet de budget 2012, ni par aucun média français, qui sont pour la plupart propriété des marchands de canon …

  2. education_south

    Un article très intéressant sur les tractations budgétaires aux Etats Unis.
    “The Center for Budget and Policy Priorities, a research organization in Washington, is predicting an across-the-board cut of 9 percent for affected programs in nondefense agencies—including the U.S. Department of Education—if the committee doesn’t come up with a viable alternative.”
    http://www.edweek.org/ew/articles/2011/09/06/03congress.h31.html?tkn=TLNFrOzb0ohyJr1oD56QlOKAS599tBXPwM7V&cmp=ENL-EU-NEWS1

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