Dans cette série consacrée aux personnes en situation de handicap (PSH), Alain Mante se plonge dans son histoire, sa classification et la situation actuelle en France.
Par Alain Mante, avec l’aide de Ben Wandivinit
Introduction
Dans les formations de personnels des Ministères de l’Éducation et d’autres, on fait encore éprouver par des simulations la situation de handicap. Elles ont pour but que les personnels réalisent et éprouvent l’effort nécessaire et permanent pour surmonter le handicap.
Motrice, sensorielle, auditive, visuelle, ou intellectuelle, ces simulations démontrent l’ignorance de la condition de handicap est toujours présente. D’autres exemples illustrant cette ignorance abondent :
- L’école inclusive n’est pas toujours bien comprise par les parents, ni par tous les enseignants. C’est un lieu de rencontre, qui devrait conduire chacun à sortir de soi-même. Mais cet entendu n’implique pas toujours la réciprocité nécessaire de tous les acteurs.
- Les refus purs et simples et les reculs. Il ne se passe pas un mois sans que soit rapporté le refus d’un transport en commun (bus, taxi, avion, ou autres), d’accès à un lieu public, etc. D’autres exemples sont la Loi ELAN qui revient en 2018 sur le quota des logements neufs accessibles aux PSH[1], ou la récente polémique liée à la déconjugalisation du minima social de l’AAH.
Relever le défi, ou pas – la formation de compétences exceptionnelles
Ainsi, la représentation de soi est dépréciée chaque jour. Certain trouvent la force de de s’adapter plus ou moins à cet environnement pas toujours très favorable.
Par conséquent, certains développent même des compétences étonnantes ou compensatoires. Bien que, parfois, il s’agisse d’un mélange de prédispositions artistiques ou intellectuelles ou autres bien supérieures au commun des mortels et de cette force acquise par la résistance quotidienne. On pense à Ray Charles, ou à Stephen Hawkings que nous avons évoqué dans un article précédent.
On n’hésite pas à mettre médiatiquement en évidence et à raison:
- la performance de l’athlète équipé d’une jambe artificielle,
- l’obtention d’un doctorat de 3° cycle chez l’étudiant malvoyant,
- les compositions géniales et la dextérité du pianiste nain aux avant-bras difformes.
Le revers de la médaille
Ces compétences ne sont pas toujours reconnues comme telles. L’être est perçu inférieur, de seconde classe.
Bien qu’il faille certes laisser s’éclairer ces lueurs d’espoir, des milliers de situations de handicap restent confinées dans la solitude. Seuls à faire face à leurs incapacités à vivre et participer comme les gens ordinaires. Ainsi, demeure le silence résigné d’une estime de soi froissée. Une estime de soi qui souffre de propos comme ceux qui suivent, souvent prononcés de manière indélicate et sans intention malveillante[1] :
<<j’ai donné 50 euros pour cette association qui élève des chiens d’aveugles, … et puis c’est déductible des impôts, …[2]>>
<<laisse …, je vais le faire (à ta place), laisse-moi faire, …>>
<<tu as des copines de temps en temps, comment tu fais ?>>
On n’écoute pas suffisamment la parole des PSH. On décide souvent de manière bien intentionnée de ce qui est bon pour eux, bien pour eux. Mais cela sans trop les impliquer dans les prises de décision.
L’exclusion – bien vivante en France
En plus de et malgré ces initiatives et conseils bien intentionnés, la société française rappelle encore régulièrement aux PSH qu’ils sont différents.
A l’école
Il y a peu, certains Chefs d’Établissements refusaient encore l’inscription d’élèves en situation de handicap. Leurs prétextes ? Le manque de formation des personnels, d’outils didactiques adaptés, ou les parents d’élèves qui ne comprendraient pas, etc. Ceci pour masquer fréquemment d’autres raisons de mise à l’écart.
En plus de cela, il a y a évidemment le harcèlement scolaire. Insultes verbales et physiques qui touchent cruellement les élèves en situation de handicap, particulièrement les petites et jeunes filles.
Dans l’emploi
Tout employeur occupant au moins 20 salariés est tenu d’employer des PSH[1] dans une proportion de 6 % de l’effectif total de son entreprise. Les établissements ne remplissant pas ou que partiellement cette obligation doivent s’acquitter d’une contribution à l’AGEFIPH[2]. Certains employeurs préfèrent s’en acquitter plutôt que d’embaucher une PSH. Ils ont tout un arsenal d’excuses sans rapport avec la philosophie de l’inclusion.
Le 8 janvier 2018 la Cours des comptes a épinglé ces dispositifs en faveur de l’emploi des PSH :
<<Alors qu’il est en vigueur depuis maintenant 30 ans, l’objectif de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés n’est donc atteint, ni par les employeurs du secteur public, ni par ceux du secteur privé. Cette situation invite à s’interroger sur les performances de l’AGEFIPH et du FIPHFP[1].>> Ces deux respectivement évalués à 3.7 et 5.7 % au lieu des 6 % fixés par la loi.
En réaction à cette publication, l’un d’entre eux a écrit : La cour des comptes officialise ce que les handicapés savent depuis longtemps : ils ne sont pas les bienvenus dans le monde de l’emploi.
Dans l’accessibilité aux participations sociales
En France les textes officiels prévoient toujours l’accessibilité. Mais aucune attention ne semble être accordée à la faisabilité. Parfois, il est impossible de réaliser toutes les accessibilités aux participations sociales.
Par la suite, des reculs apparaissent. Un processus qui remet ces accessibilités en cause. Ou qui les reporte de manières qui sont difficilement acceptées par les Association de PSH.
Cas d’étude – Les Établissements Recevant du Public (ERP)
Les ERP avaient par exemple jusqu’au 1° janvier 2015[2] pour se rendre accessibles à tous les usagers. Puis, un délai supplémentaire de 3 à 9 ans pour réaliser les travaux d’accessibilité a été accordé.
Un décret et un arrêté de mars et avril 2017 instaurent un Registre Public d’Accessibilité (RPA). Il s’agit d’un document unique qui liste les dispositions prises pour permettre à tous de bénéficier des prestations délivrées dans un ERP.
Le RPA – un document symbolique ?
Le document est obligatoire. Mais il est également peu contraignant, avec des sanctions au conditionnel. Ne pas en disposer risquerait de compromettre l’ouverture d’un bâtiment ou de provoquer sa fermeture de celui-ci en plus des sanctions financières.
Des voix solidaires que peu semblent écouter
Il y a ceux qui donnent une voix à leur indignation. Ces dénonciations de l’exclusion se font entendre, mais avec peu d’échos.
Au Niveau UE
Helga Stevens, rapporteuse du parlement européen écrit clairement en 2017 :
<<Les personnes handicapées ont droit à une égalité de traitement, à une vie indépendante et à jouer un rôle dans la société, mais malgré la présence de nombreux instruments et de nombreux textes de loi, elles ne peuvent toujours pas jouir pleinement de tous leurs droits.>>
Le handicap est lié à la pauvreté aux couches socio économiquement défavorisées, cependant:
<<L’UE est bien l’une des régions les plus avancées et les plus riches au monde, mais elle n’est pas assez inclusive. Nous excluons toujours de façon régulière 80 millions de citoyens en situation de handicap. Nous passons ainsi à côté de compétences précieuses et d’une force de travail potentielle, tout en perdant de l’argent à cause d’infrastructures, de biens et de services non accessibles.>>
Au niveau de la France
En 2021, l’ONU confronte sévèrement la France, à l’ensemble des articles de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH).[1]
Et en aout 2022, juste avant la rentrée de l‘année scolaire, la Défenseure des droits, Claire Hédon, alerte une fois de plus sur l‘accès insuffisant des ESH à l’éducation[2].
<<Les comportements discriminatoires puisqu’il faut bien les appeler par leur nom, sont des traitements défavorables infligés à un individu sur la base d’un critère illégal et sanctionnés par la loi. Nous en sommes, dans notre pays parmi les plus évolués de la planète, à cet éloignement permanent d’une réalité insistante, se dissimulant derrière des excuses trouvées sans problème, ou encore des peurs ancestrales de la différence, … ou celles d’y ressembler un jour. Le handicap est présent autour de nous, car la fragilité est commune à l’espèce humaine [3] de manière latente, et le handicap en est une manifestation extrême. L’OMS l’estime à 15% de la population mondiale, tous degrés de sévérités confondus, partiellement lié au vieillissement des populations[4].>>
Que faire ?
L’aveuglement et la passivité des institutions à plusieurs niveaux nous condamnent à vivre avec les choses telles qu’elles sont. Parfois, le gouvernement propose des solutions bien intentionnées, mais leur efficacité est loin d’être optimale en raison de la bureaucratie française.
Ce que nous pouvons en retenir, c’est que les perceptions ne peuvent être modifiées du jour au lendemain. Les vieilles conceptions du handicap fondées sur des considérations ancestrales d’exclusion ne seront pas facilement éradiquées. Mais elles peuvent être ravivées à la moindre occasion !
Nous devons donc continuer à nous assurer de faire entendre nos voix. Étape après étape, jour après jour, vers un avenir plus inclusif.
Cas d’étude – Les Cafés Joyeux
En conclusion, un exemple qui vaut bien la peine d’être mentionné et qui va dans la bonne direction est le concept du café joyeux. Café Joyeux est une initiative unique en France qui offre des opportunités d’emploi aux PSH. Ils reçoivent un soutien et une formation pour les aider à remplir efficacement leurs fonctions. Le café encourage les clients à interagir et à communiquer avec les employés, créant ainsi un environnement inclusif et accueillant.
Le succès de Café Joyeux a été remarquable, ce qui a conduit à des plans d’expansion. L’objectif ultime de cette initiative est de briser les stigmates et les préjugés sociétaux envers les PSH sur le lieu de travail.
Notes de bas de page
[2] L’accompagnement humain des élèves en situation de handicap, Claire Hédon Face au droit, nous sommes tous égaux, République Française, Rapport, Défenseur des droits, 2022.
[3] Cette notion de fragilité a été largement développée par Charles GARDOU depuis le début des années 2000 sous un éclairage anthropologique. La personne handicapée : d’objet à sujet, de l’intention à l’acte. Colloque à Lyon II des 17, 18 et 19 septembre 1998).
[4] Les populations vieillissent, les personnes âgées ont un risque plus élevé de handicap. Rapport mondial sur le handicap, OMS-BM, 2011.
[1] Le fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.
[2] 10 ans après la loi de 2005 !
[1] Tant qu’ils sont porteurs d’une Reconnaissance de Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH), ou d’une carte de mobilité, ou d’une Allocation d’Adulte Handicapé (AAH),
[2] Instituée par loi n° 87-517 du 10 juillet 1987, l’AGEFIPH est l’Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées.
[1] <<Non seulement il sera spectateur passif et impuissant de sa différence, mais les autres lui feront ressentir, quelque fois douloureusement qu’il ne peut pas faire comme eux.>> Les traumatismes de l’enfance. Marc Belhassen, Le Pommier, 2011.
[2] Il ne se passe pas une semaine sans que l’on soit sollicité par une Association qui renforce mais se substitue aussi aux pouvoirs publics dans l’esprit de loi de 2005 d’égalité des droits : La Chrysalide, Les Papillons Blancs, l’Association pour les chiens d’aveugles, pour les cartables électroniques, pour les enfants mal voyants, l’Association des Paralytiques de France, etc.
[1] Ce texte prévoit de passer du « 100% de logements neufs accessibles », prévu par la loi Handicap du 11 février 2005, à la notion de « 100% de logements évolutifs ». Ceci veut dire ils sont susceptibles d’être adaptés pour accueillir une personne handicapée, en abattant, par exemple, des cloisons amovibles. Le texte prévoit toutefois le maintien d’un quota de 10% de logements neufs accessibles d’emblée.
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