Par Abdallah ABARDA
L’éducation est un enjeu du développement durable dont l’impact s’inscrit à long terme. Un des Objectifs du millénaire pour le Développement des Nations Unies (OMD), adopté par 191 pays dont le Maroc est l’accès universel à l’éducation primaire d’ici 2015.
Le Maroc a mis en place plusieurs programmes pour atteindre cet objectif dont le point de départ est la Charte Nationale de l’Education et de la Formation (2000) qui contient trois objectifs fondamentaux :
- la généralisation de l’enseignement et l’amélioration de la qualité de l’éducation et de ses performances
- l’intégration du système éducatif et son ancrage à son environnement socioéconomique
- la modernisation des méthodes et des procédures de gestion et de pilotage.
L’évaluation de l’impact de la mise en œuvre des renseignements de la charte (2009) à travers notamment le Programme d’Urgence montre une amélioration sensible des niveaux de la scolarisation et une rétention de l’alphabétisation. Selon le rapport toujours, le rythme de réalisation de certains objectifs est resté lent.
Qu’est-ce qu’un programme de transfert monétaire conditionnel ?
Les programmes de transferts monétaires conditionnels (TMC) apportent une contribution financière à des familles pauvres et vulnérables dans le but d’aider au financement du coût de la scolarisation de leurs enfants. Le but de ces transferts est d’agir contre l’abandon scolaire à travers un certain type d’investissement des familles dans le capital humain de leurs enfants. Plusieurs pays ont expérimenté ce type de programmes qui a connu beaucoup de succès, pas seulement dans le domaine de l’éducation, mais aussi dans le domaine de la santé et de la nutrition :
- le programme (Progressa) au Mexique, projet pionnier
- Au Brésil (Bolsa Familia), le programme touche 11 millions familles, ce qui correspond à 20% de la population et à un coût équivalant à 0.5% du PIB.
- La population ciblée au Chili (Opportunidades) est d’environ 215 000 familles. Le coût de ce programme ne dépasse pas 0.08% du PIB au Chili, et 0.8% en Turquie.
- Le TMC touche seulement quelques milliers de familles au Kenya et Nicaragua où il s’agit d’une opération pilote.
Le Programme Tayssir au Maroc
« Tayssir » signifie « Appui » en arabe. L’élément clé pour la réussite éducative et sociale au Maroc est l’engagement des parents et de l’Etat qui investit plus de 20% de son budget dans l’éducation. Un programme de transfert monétaire a été mise en œuvre dans un contexte générale de la lutte contre la déperdition scolaire et de la concrétisation de l’objectif de l’égalité des chances d’accès à l’enseignement obligatoire en s’intéressant aux enfants issus de familles pauvres. L’objectif est d’agir contre l’abandon scolaire en neutralisant quelques variables qui réduisent la demande pour l’éducation, tels que les couts de scolarisation et notamment dans les zones défavorisées.
Le programme Tayssir est géré par l’Association Marocaine d’appui à la scolarisation (AMAS), le Ministère de l’éducation nationale (MEN) et le Conseil Supérieur de l’Enseignement ainsi que la Poste du Maroc qui gère les opérations de transfert. La Banque Mondiale accompagne aussi cet effort par un financement et des services de conseils sur la conception et la mise en œuvre et aussi par une évaluation des résultats de ce programme en vue de faciliter et optimiser son déploiement ultérieur (réalisé par le Laboratoire d’action contre la pauvreté (MIT J-PAL : Poverty Action Lab).
Ce programme a été mis en œuvre en deux phases, la première phase (pilote) sur deux ans (2008-2010) sur un échantillon d’écoles primaires rurales de 274 écoles mères et Satellites), ces écoles sont réparties sur 132 communes dans les cinq régions suivantes : l’Oriental, Marrakech-Tensift-Al Haouz, Meknès-Tafilalet, Souss-Massa-Draa et Tadla-Azilal. Le programme Tayssir cible dans sa première phase environ 300.000 élèves inscrits au primaire issues de 160.000 ménages.
Selon la BANQUE MONDIALE, le défi de la phase pilote était de diminuer la valeur de référence pour l’abandon scolaire par district scolaire de 23% en moyenne à moins de 16% dans les districts en bénéficiant. Suite aux résultats encourageants acquis lors de la première année de la phase pilote, une phase d’extension a été lancée en 2009-2010. Cette phase cible un échantillon de 418 écoles réparties sur 110 communes rurales dans six régions : Tanger-Tétouan, Taza Hoceima Taounate, Fès Boulmane, Gharb Chrarda Bni Hssen, Doukala Abda, et Guelmim Esmara.
Le ciblage se fait par commune, les communes rurales sont ciblées en fonction de leur appartenance au programme INDH, avec un taux de pauvreté supérieure à 30% et un taux d’abandon scolaire supérieur à 5%. Toutes les écoles primaires localisées dans le territoire des communes retenues et répondant à ces critères sont éligibles. Au niveau du ciblage des ménages, l’enfant doit être inscrit à l’école bénéficiaire et âgé entre 6 et 15 ans. Un autre critère pour bénéficier de ce programme est lié à l’assiduité de l’enfant, en effet l’élève ne doit pas dépasser quatre absences par mois. Le montant alloué pour cette opération par mois s’élève à 60 DH par enfant pour les deux premières années du primaire, 80 DH pour les deux années qui suivent et 100 DH pour les deux dernières années du primaire et enfin 140 DH pour les élèves aux collèges. Les bourses sont attribuées dix mois par an et les transferts monétaires se font tous les deux mois par le biais des agences de Poste du Maroc selon deux modes : des guichets fixes et des guichets mobiles pour les Douars éloignés (selon le Ministère de l’éducation nationale). Le budget alloué à ce projet selon l’exercice 2008 est de 54 Millions de Dirhams (soit environ 49 millions d’euros) et de 70MDH selon l’exercice 2009. En 2010, ce budget a connu une augmentation significative pour atteindre une valeur de 240 MDH. Après avoir lancé la phase d’extension, le budget alloué au programme Tayssir a évolué pour atteindre 470 MDH en 2011 et 620 MDH en 2012.
Le nombre d’enfants bénéficiaire du programme Tayssir a connu une augmentation. En effet, ce nombre est passé de 88.000 bénéficiaires durant l’année scolaire 2008-2009 pour atteindre 705.000 bénéficiaires en 2011-2012. Le nombre de bénéficiaires a continué à progresser pour atteindre 757.000 bénéficiaires durant l’année scolaire 2012-2013 selon le Ministère de l’Education Nationale. Au titre de l’année scolaire 2013-2014, le nombre de bénéficiaires du programme devrait atteindre près de 476.000 familles soit 825.000 élèves bénéficiaires.
Quel est l’impact de Tayssir sur la scolarisation ?
Une évaluation de l’impact du programme Tayssir a été réalisée par J-PAL et financée par la Banque Mondiale.
Cette évaluation concerne la phase 2008-2010 du programme, 260 secteurs scolaires bénéficiaires et 80 secteurs scolaires non bénéficiaires ont été choisis d’une manière aléatoire. La population d’étude est les ménages ayant des enfants en âge de scolarité issus de 636 communes.
Le taux d’abandon scolaire a diminué significativement pour tous les niveaux du primaire d’environ 4 points. Le taux de déperdition scolaire au cours des deux années pilotes a diminué de 57% par rapport au groupe de contrôle. Les transferts monétaires ont un impact plus significatif sur les niveaux élevés que pour les premiers niveaux. En effet, on peut remarquer une réduction du taux d’abandon scolaire d’environ 8 points au niveau 4 et d’environ 6 points au niveau 3.
Le programme Tayssir a un impact positif sur la diminution de la déperdition scolaire. Le taux d’abandon scolaire est passé de 7,8% à 3,1% chez les filles, soit une diminution d’environ 5 points, alors que ce même taux a diminué de 4 points pour les garçons. Les écoles mères et satellite ont connu une diminution de taux d’abandon scolaire d’environ 3 et 5 points respectivement.
Le taux de réinscription des élèves ayant quitté l’école pendant l’année scolaire 2007-2008 a augmenté pour tous les niveaux d’environ 18 points. Le programme Tayssir a donc un impact aussi sur la réinscription des élèves ayant abandonné l’école. On notera que contrairement à d’autres enquêtes récentes, les ménages ayant des enfants jamais scolarisés, qui sont peu nombreux, n’ont pas été identifiés.
Le programme de transfert monétaire Tayssir a un impact positif sur les apprentissages des élèves, surtout sur les scores des garçons. En effet, le score de contrôle pour les garçons est de -0.017 alors qu’il est passé à 0.331 dans le groupe traité.
Le programme de transfert monétaire Tayssir a un impact plus significatif sur les apprentissages des élèves dans les écoles satellites que dans les écoles mères (passage d’un score -0.302 à 0.162).
D’après l’étude pilote réalisé par J-PAL, le programme de transfert monétaire conditionnel a un impact positif sur la scolarisation au Maroc, et plus précisément sur la réduction de l’abandon scolaire et permet aussi d’augmenter le taux de réinscription des élèves abandonnés et d’améliorer le niveau d’apprentissages des élèves.
Vers un ciblage de Tayssir au niveau des ménages
Le programme Tayssir est actuellement ciblé au niveau des communes INDH et les subventions sont octroyées à tous les ménages d’une commune, c’est un ciblage d’ordre géographique. Avec cette approche, il se peut qu’une proportion de pauvres, difficilement identifiables, ne bénéficient pas de ce programme. Ou encore qu’une proportion de riches en bénéficient même s’ils n’ont pas de problèmes de financement.
Grace à un ciblage des familles, on peut toucher la catégorie des ménages les plus pauvres ayant de grandes probabilités de ne pas scolariser leurs enfants. La difficulté qui se pose à ce niveau, c’est comment orienter le programme vers un ciblage plus fin à l’instar du programme RAMED (santé). Le ciblage du Régime d’Assistance Médicale se fait par profil des personnes économiquement démunies (chef de foyer ayants droit et enfants adoptés) avec une étude du dossier (formulaire à remplir avec pièces justificatives).
Dans le cadre de la réflexion en cours sur une plus grande efficience de l’appui social au Maroc, nous pouvons suggérer l’utilisation de méthodes statistiques pour déterminer les caractéristiques des ménages susceptibles de prédire des problèmes de scolarisation d’un enfant ou plus dans le ménage. Sur la base de la littérature internationale et propre au Maroc, nous suggérons d’utiliser des méthodes d’analyse en classe latente (ACL) sur des indicateurs comme la possession de certains biens et accès à des équipements : eau courante, électricité, toilettes, frigo, voiture, type d’habitats, niveau d’instruction de la mère, famille monoparentale, nombre d’enfants dans le ménage, présence d’un enfant à besoins spécifiques et d’exploiter les résultats des études déjà réalisées dans ce cadre pour définir sur une base empirique des critères de ciblage de l’appui social au Maroc au niveau des ménages.
Un mot sur l’auteur : Abdallah ABARDA est chargé d’études statistiques à Varlyproject.
Référence :
Najy B. et al. (2013), Turning a Shove into a Nudge? A “Labeled Cash Transfer” for Education
Ministère de l’économie et de finances, direction du budget (2009), Les programmes de transferts financiers mis en œuvre au Maroc
Banque Mondiale, Maroc : Transferts monétaires conditionnels et éducation
Haut-commissariat au plan (2009), OBJECTIFS DU MILLENAIRE POUR LE DEVELOPPEMENT
MEN, Le programme « Tayssir » des transferts monétaires conditionnels, Plan d’action 2010-2011 : lignes directrices
ABARDA Abdallah (2013), Utilisation des modèles à classes latentes pour la classification des élèves en niveau scolaire.
salut monsieur,j’ai quelques remarques concernant votre résultats de l’évaluation d’ impact des programme tayssir , dans le même sens j ai travaille sur la problématique de l éducation au niveau de la région “marrakech”et particulièrement sur l évaluation d ‘impact du programme tayssir une approche économétrique et j ai trouve des résultats un peu contradictoire de les vôtres.en effet , au niveau du taux d’ abandon dans les deux groupes, ainsi le degré d apprentissage des enfants tayssir et les enfants non tayssir qui est cause par le surcharge des classes tayssir comparé aux classes non tayssir………………………..
dans mon étude j ai trouve des variables ayant un effet plus significatif que la subvention, par exemple, les équipements des écoles( toilettes,eau,électricité, réstau,classes multi-niveau……), le niveau de vie des familles , la situation matrimoniales des parents des élevés et l’ éloignement des écoles et j ai même résultat que vous au niveau des réinscriptions.
a titre d’ information, j ai construit une base de données qui regroupe 643 ménages dont 923 enfants, le groupe témoin compte 143 ménages, traitement 500 ménages.
Bonjour, merci bien pour votre commentaire. Il s’agit de la présentation d’une évaluation d’impact du Jpal.
Un power point très complet du Jpal sur l’évaluation du programme Tayssir http://www.povertyactionlab.org/sites/default/files/5%20FLORENCIA%20CONFERENCE_v2.pdf
Le ciblage au niveau des ménages se précise, voir http://www.maghress.com/fr/leconomiste/1938171
https://telquel.ma/2020/07/13/detection-par-liris-respect-des-donnees-personnelles-consultation-des-instances-independantes-comprendre-le-debat-sur-le-registre-social-unifie_1690651