Le projet OPERA au Burkina Faso : la mesure des pratiques en classe

Introduction

De nombreuses évaluations des acquis scolaires ont montré la faiblesse des résultats des élèves en Afrique Francophone dans l’enseignement public. Depuis 1991, le programme PASEC s’est évertué à identifier les facteurs de progrès des élèves au rang desquels les pratiques pédagogiques, mais sans nécessairement les mesurer de manière scientifique.

L’analyse des pratiques des classe est de plus en utilisée dans ce sens, à travers par exemple la méthode des clichés dites de Stalling utilisées dans les évaluations EGRA/EGMA. En décembre 2018, la Banque Mondiale a lancé son nouvel outil de mesure des pratiques en classe, le projet TEACH.

Dans cet article, Afsata Paré Kaboré nous parle des méthodes et résultats du projet OPERA d’analyse des pratiques en classe.

Un mot sur Afsata Paré Kaboré

Afsata est professeur titulaire CAMES en Sciences de l’éducation à l’Université Norbert Zongo (UNZ) à Koudougou au Burkina Faso, directrice du Laboratoire de psychopédagogie, andragogie, mesure et évaluation et de politiques éducatives (LAPAME) à l’UNZ et vice-Présidente de l’UNZ chargée de la professionnalisation et des relations université-entreprises. Elle a obtenu un Ph.D. en Sciences de l’éducation à l’Université de Montréal. Elle a été aussi membre du comité scientifique du PASEC.

Qu’est-ce que le projet OPERA ?

OPERA pour Observation des Pratiques Enseignantes en Rapport avec les Apprentissages des élèves est un programme de recherche et de développement d’outils de formation qui s’est déroulé de 2012 à 2015. Ce programme a été abrité è l’Université Norbert Zongo à Koudougou, notamment par ses laboratoires de sciences de l’éducation, le LAPAME (Laboratoire de psychopédagogie, andragogie, mesure et évaluation et de politiques éducatives). Il a mobilisé une importante équipe de d’enseignants-chercheurs, d’encadreurs pédagogiques de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire, d’étudiants de Master et Doctorat en sciences de l’éducation, de responsables pédagogiques du ministère de l’éducation nationale ainsi que de spécialistes internationaux. 

On a ainsi pu compter sur :

·     Un comité de coordination scientifique composé de trois spécialistes du Burkina Faso (Pr Afsata Paré Kaboré), de la France (Pr Marguerite Altet) et du Sénégal (Pr Hamidou Nacuzon Sall), coordonnateurs donc de l’étude de bout en bout ;

·     Un comité de suivi-évaluation de trois experts aussi : deux Français (Prs Michel Develay et Jacques Wallet) et un Ivoirien (Pr Aka Adou) ;

·     Un comité de gestion opérationnel sous la houlette de l’AUF (Paris et Ouaga) et comprenant la direction générale compétente du MENA et un chef de projet Burkinabè (Pr Félix Tindaogo Valléan du LAPAME, Université Norbert Zongo) ;

·     Une structure de suivi pour le compte des partenaires techniques et financiers (SPTF) : l’Agence Française de Développement (AFD) et le Partenariat Mondial pour l’Éducation (PME)

·     Et un grand nombre d’acteurs de la recherche du Burkina Faso, de la France et du Sénégal, de l’administration de l’éducation nationale et du terrain au Burkina Faso.

Il s’est agi de faire le diagnostic des pratiques des enseignantes dans leurs classes au triple plan relationnel, pédagogique et didactique en triangulant des données de plusieurs sources dont les plus importantes sont les observations directes de leçons données par les enseignants en contexte réel et habituel de classe. 

Par ces observations, il s’agissait de saisir le déroulement précis des activités, des prises de paroles des enseignants et des élèves, des interactions entre les acteurs de la classe, des conditions d’enseignement-apprentissage. Pour ce faire, un guide d’observation ouverta été utilisé et dont les données ont été codées a posteriori sur la base d’une maquette de codage comprenant les trois domaines précités (relationnel, pédagogique-organisationnel et didactique-épistémique) comprenant chacun des dimensions et des indicateurs.

Outre les observations directes systématiquement précédées et suivies d’entretiens brefs avec l’enseignant et avec des élèves après l’observation, des questionnaires ont été administrés aux enseignants observés avant le début des observations ainsi qu’aux directeurs des écoles. 

Les observations ont concerné dans une première phase 90 enseignants de CP2 et CM2 de 45 écoles à travers le pays, sous-échantillon de l’échantillon de l’évaluation PASEC qui était également en cours. Chaque enseignant a été observé dans trois disciplines : maths, français et éveil. Quatre mois plus tard, une seconde phase d’observations a concerné la moitié de l’effectif enseignant pour les mêmes niveaux-classes et les mêmes matières avec en plus des enregistrements vidéo. 

OPERA a également collecté les moyennes aux compositions trimestrielles des élèves concernés par les observations de classe, leurs scores PASEC ainsi que les résultats aux CEP des élèves du CM2. Il s’agissait d’opérer un rapprochement entre les pratiques de l’enseignant et le niveau moyen de performance de ses élèves.OPERA a ainsi généré une masse importante de données qui restent encore disponibles pour exploitation. 

Le financement d’OPERA a été assuré par le PME et l’AFD avec une gestion confiée à l’AUF.

Quel a été votre rôle dans le projet ?

En tant que membre du comité scientifique du programme et directrice du laboratoire d’accueil, j’ai participé à la coordination de l’ensemble des activités du programme (construction théorique, élaboration des outils, formation et encadrement des enquêteurs, analyses des données, …), à la rédaction des rapports provisoire et final, aux activités de communications avec le ministère (présentations régulières au groupe qualité, ateliers de validation des résultats de la recherche et des outils de formation), les communications dans des rencontres scientifiques, la rédaction d’articles, l’encadrement de la conception des outils, la finalisation de ces outils, la formation des formateurs de formateurs à ces outils, le suivi de l’expérimentation des outils, l’élaboration de la stratégie de dissémination et de pérennisation de la démarche de recherche et des outils OPERA au ministère et dans les différentes structures de formation, y compris à l’UNZ et dans d’autres pays (Sénégal, Côte d’Ivoire, Niger, …)

Pourquoi il est intéressant de mesurer les pratiques en classe ?

Les pratiques enseignantes relèvent de ce que l’on a souvent appelé l’effet enseignant dans l’apprentissage des élèves. Une fois épuisé le rôle des facteurs quantitatifs généralement observées (niveaux socio-culturels des parents, dotation de l’école, possession d’un manuel, niveau d’absentéisme, niveau académique, formation, statut des enseignants, ….) on se rend compte qu’une part importante de la qualité des apprentissages des élèves reste inexpliquée. Cette part importante revient à l’enseignant, à sa façon d’amener les élèves à apprendre. La connaissance des pratiques enseignante permet de percer un peu le mystère de l’effet maître par l’appréhension de la manière dont il s’y prend vraiment en classe. L’enseignant a ainsi été mis au centre du processus d’amélioration de la qualité de l’enseignement, et conséquemment des apprentissages, tant par les chercheurs que par les Etats ou les organisations internationales. 

La mesure des pratiques permet de mieux cibler la formation des enseignants en repérant les aspects sur lesquels il convient de mettre l’accent. Non seulement les programmes et modalités de formation initiale des enseignants et des encadreurs peuvent être mieux organisées et la formation continue mieux gérée pour plus d’efficacité. 

Quels sont les principaux résultats et produits de l’étude ?

Au plan de la recherche :

·     Un éclairage des pratiques des enseignants au Burkina Faso selon les différentes dimensions du contexte d’enseignement -apprentissage, permettant un repérage des forces de ces pratiques et de leurs faiblesses.

·     L’identification des facteurs qui peuvent influencer la nature des pratiques (les modalités de formation des enseignants, les conceptions de l’enseignement-apprentissage, la durée de l’expérience professionnelle, …), ce qui permet de s’orienter vers des solutions adaptées. 

·     C’est aussi une grande masse de données encore exploitables par les formateurs, les chercheurs et les étudiants.

Au plan du renforcement des capacités des encadreurs pédagogiques et des enseignants

·     Une démarche plus efficace de formation et d’accompagnement pédagogique fondée sur le principe de l’analyse et de l’auto-analyse des pratiques est en cours d’adoption ;

·     Des outils de formation : 20 fiches de formation sur des thématiques diverses regroupées en 3 livrets, des fiches d’observations de classes, des vidéos brutes de leçons pouvant servir à des analyses de pratiques, des vidéos « scénarisées » présentant des mises en œuvre de méthodes ou d’activités spécifiques, une fiche d’accompagnement des enseignants à l’usage des encadreurs, …..

Au plan du renforcement des capacités institutionnelles

·     L’UNZ, le MENA et les différents acteurs ayant participé au processus OPERA ont été renforcés au plan des capacités des enseignants-chercheurs, chercheurs, encadreurs et étudiants à conduire des recherches sur les pratiques des enseignants.

·     Un renforcement au plan matériel est aussi à noter : l’UNZ a été dotée en ouvrages, ordinateurs, photocopieuses, caméras, logiciels de traitements de données pour faciliter des recherches similaires, rapports de recherche OPERA, livrets OPERA ; les écoles observées ont été dotées de dictionnaires ; et le ministère a été doté en rapports de recherche OPERA, livrets OPERA dispatchés à travers le territoire dans les directions régionales, les inspections, les écoles de formation des enseignants et encadreurs tant du primaire que du post-primaire.

Quelle a été la réaction du MENA à ce projet et des autres pays et bailleurs ?

Les autorités ministérielles ont été impliquées dès le début du processus, depuis la phase de négociation pour l’implantation du programme au Burkina Faso. Elles ont été représentées dans les instances du programme (notamment le comité de suivi opérationnel), dans l’équipe de recherche et enfin dans celle de conception des fiches de formation. On ne peut donc pas parler de réaction du MENA a posteriori car il a toujours là. De telle sorte que l’appropriation du MENA (Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation) des retombées du programme coulait de source, l’insertion dans les programmes de formation initiale et continue des acteurs et la prise en compte de ce volet dans le plan d’action du ministère.

De la même manière, les autres PTF ont été sensibilisés en amont et informés régulièrement sur le processus. En effet, le Groupe qualité du MENA regroupe des directions centrales du ministère, de celui de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, les PTF intervenant dans le domaine de l’éducation, notamment dans son volet qualité, ainsi que des représentants des partenaires sociaux (syndicats, APE). Ce groupe était régulièrement réuni aux grandes articulations du programme pour un partage de l’avancement de celui-ci et pour un recueil d’amendements et de propositions.

C’est dire que tout avait été mis en œuvre pour une appropriation par le MENA et un engagement des PTF, ce qui a été favorable au bon déroulement du processus et à l’implication des PTF dans le soutien au MEN pour la mise en œuvre de leur plan d’actions en faveur du renforcement des capacités des enseignants et d leurs encadreurs.

Quels sont les changements intervenus depuis le projet (impact) ?

Sur le plan de la formation continue et de l’encadrement des enseignants, c’est un autre regard qui s’impose, un changement de paradigme qui fait évoluer d’une logique d’inspection ou de contrôle vers une logique d’accompagnement dont le fondement demeure l’analyse conjointe et l’auto-analyse des pratiques de l’enseignant. C’est selon cette modalité que des pratiques mieux adaptées in situ peuvent être développées dans le but d’améliorer les apprentissages des élèves. 

Les fiches de formation, la fiche d’observation, les vidéos brutes ou en version avancée sont autant d’outils disponibles pour  servir de support à a formation initiale ou continue en se fondant sur la démarche d’analyse des pratiques en trois étapes : clarification des représentations et début de dépassement,  analyse de pratiques réelles (observation de classe, vidéos, fiches d’observation des enquêtes OPERA, …) ou fictives, conception de nouvelles pratiques plus pertinentes.

Ce projet n’est-il pas appelé à faire des petits ?

La dissémination des résultats de la recherche et outils au niveau national et dans toute l’Afrique au Sud du Sahara faisait partie des objectifs d’OPERA. 10 pays étaient présents à l’atelier de restitution de février 2015, cinq lors de la formation des superviseurs (formateurs de formateurs) aux outils OPERA. 

Ainsi, certains pays, à travers leur ministère en charge de l’éducation, ont très vite exprimé leur intérêt à s’engager dans un processus du type OPERA. Leur demande a été prise en compte à travers un certains nombre d’ateliers de formation et de réflexion sur l’adaptation des outils OPERA dans le contexte de leur pays. Ce fut le cas au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Niger. 

Dans le cas du Sénégal des tablettes ont été utilisées pour filmer les leçons et pour un usage plus tard en situation de formation.

Le Niger vient de s’engager avec le soutien de l’UNICEF pour une démarche complète de type OPERA qui est en cours, en comptant au finish sur la constitution d’une importante banque de ressources pédagogiques adaptées pour la formation des enseignants.

Il faut aussi souligner que le site de OPERA contient beaucoup d’informations à accès ouvert et une importante base de données à accès autorisées, consultables à travers le monde. Un nombre important de personnes de diverses origines aussi bien en Afrique, en Europe qu’en Amérique ont sollicité et obtenu l’accès à la base de données et y sont actifs.

Il est donc permis de penser qu’outre ce dont nous sommes informés, OPERA produit dans doute déjà des petits sans que la mère qu’elle est en soit toujours informée.

Propos recueillis par Pierre Varly

This Post Has 3 Comments

  1. Mankota Noubara Constance

    J’apprecie cette methode d’enseignement qui me parait propre aux pays d’Afrique Subsaharienne ou la gestion des classes plétoriques est recurente. on doit adopter ce système pour mieux améliorer nos pratiques d’enseignement.

    1. Bonjour, il s’agit plus d’un appui à la formation continue, qu’une véritable méthode d’enseignement en soi.