Au Cameroun et dans la plupart des pays africains, la fermeture des écoles a été une des mesures contre la propagation de la COVID-19. En juin, seules les classes d’examen ont été autorisées à reprendre les cours jusqu’aux examens de juillet. Devant cette situation particulière, nous nous demandons si les élèves seront au rendez-vous de la rentrée ce mois d’octobre et quelles mesures sont envisageables.
Priso E. Ernest, conseiller d’orientation-planificateur
Août 2020
Contexte
Avec la COVID-19, les mesures barrières prises pour un retour à l’école afin de terminer le 3ème trimestre pour les classes d’examen ont été saluées. Au Cameroun, par exemple, les élèves étant à 25 par classe contre 60 – la norme – à 100 et plus en temps normal. Mais comment va-t-on garantir la qualité de l’éducation avec des effectifs pléthoriques au primaire et au secondaire où une classe a besoin d’être divisée en deux ou trois pour avoir des effectifs raisonnables de 50 par classe ?
Qui va assurer l’apprentissage des élèves si d’aventure il est instauré le mi-temps pour assurer la distanciation quand on sait qu’il y a un déficit d’enseignant, de salles de classes et manque de finances ? La crise sanitaire a forcé une révision budgétaire qui a fait perdre neuf milliards au MINEDUB et 12 au MINESEC.
Comment va-t-on assurer les mesures de distanciation pérenne entre élèves dans un contexte de promiscuité accentuée par les espaces exigus où sont bâtis les écoles chez nous comme dans la plupart des pays subsahariens, où les écoles manquent d’eau courante, de latrines, de cantine et d’infirmerie ?
Comment dans ces conditions va-t-on assurer l’inclusion ? Pendant le confinement, l’usage des Technologies de l’information et de la communication (TIC) a réduit les déplacements et favorisés les cours en ligne. Mais il nous a été donné de constater que même en France ou en Italie on a noté la fracture numérique avec des familles qui avaient à peine une radio et pas de télé pour suivre les cours. Chez nous en plus se poserait le problème d’énergie !
En réponse à ses questions je suggère des mesures opérationnelles dans ce qui suit.
Possibles mesures à prendre
Au Sud du Sahara, l’école en Afrique souffre, depuis de longues années, des maux notamment liés aux déficits d’infrastructures, d’instituteurs et de manuels scolaires. Pour ses millions d’élèves évoluant souvent dans des classes aux affectifs pléthoriques et qui souffrent de ces maux, pendant cette rentrée scolaire il va falloir s’occuper de leur santé en raison de la COVID-19.
Au Cameroun, sauf exagération de notre part, et dans la majorité des pays d’Afrique centrale, ils seront de nombreux élèves – environ 8 millions ou 10 –, étudiants et apprentis à prendre d’assaut l’école en octobre prochain pour la rentrée 2020/21. Ils remettront sur table, dans nos écoles, collèges, lycées, facultés et centre de formation, les maux un instant oubliés, avec la reprise partielle des cours en format réduit aux classes d’examens, au premier rang desquels les effectifs pléthoriques et partant la qualité de l’encadrement.
Dans cette perspective, comment imposer les mesures barrières à tous et motiver davantage les enseignants pour préserver la qualité des enseignements malgré la pandémie ? Toutes les mesures annoncées dans le plan de riposte des gouvernements en général et du Cameroun en particulier – validé par le GPE avec 11millions de dollars – seront-elles efficaces et de nature à préserver la sérénité des acteurs pour opérer un retour à l’Ecole en toute sérénité et sécurité ? Rien n’est moins sûr !
Comme conseillers d’orientation, nous pensons que pour une meilleure efficacité, il serait urgent que certaines dispositions soient prises pour notamment assurer la pérennité des mesures barrières, l’encadrement raisonnable, la disponibilité et la motivation des acteurs. Ainsi :
1. Pérenniser les mesures barrières dans les écoles en modifiant leur règlement intérieur :
- inscrire le port obligatoire du masque dans nos classes, campus et ateliers – cette inscription doit être assortie de sanction – elle rend opposable le règlement à l’Elève.
- rendre le dépistage systématique dans les établissements de l’enseignement secondaire et universités.
- relever le niveau de la prise en charge santé : la CSU – au Cameroon, la couverture Santé Universelle gratuite irait jusqu’à 5 ans ; or le primaire va jusqu’à 11 ans et l’enseignent fondamental prescrit par l’ODD4 devrait aller jusqu’à 15 ans. Ainsi accompagner ces enfants et assurer leur santé obligerait à réviser et/ou instituer la gratuité jusqu’à la fin du fondamental, ce d’autant que le vaccin contre le paludisme qui tue beaucoup d’enfants, est lointain.
2 – Assurer l’accès et la distanciation avec un meilleur usage de la carte scolaire comme outil d’analyse et d’aide à la décision:
- les Ecoles de manière différenciée modifieraient les rythmes scolaires et la journée du Samedi matin sera réhabilitée pour certains afin de pallier aux problèmes d’effectifs pléthoriques surtout dans nos grandes villes ; si une classe a un effectif de 105 élèves ou 120 au-delà de l’enseignement à distance (EAD) et TIC, il faudra diviser la classe en deux : un groupe viendrait de 7h à 12h et l’autre de 13h à 18h, jusqu’au samedi matin. L’heure creuse serait destinée à désinfecter les salles.
3-Relever le quota hebdomadaire de cours des enseignants à 25 h/semaine pour tous contre la moyenne de 20h/semaine actuelle.
L’opportunité de dispenser officiellement 15h/semaine supplémentaires par chaque enseignant dans son établissement ou celui attaché à son bassin pédagogique préalablement créé sera acté, il suffit de lier ces bassins aux arrondissements, avant la rentrée. Au primaire, il faudra tripler le recrutement des titulaires du CAPIEMP (Certificat d’Aptitude Pédagogique des Instituteurs Maternels et Primaires) et les payer par l’Etat. Ce paiement d’urgence permettra de préserver l’encadrement, motiver les enseignants et aussi assurer la qualité.
4- Mettre en place des « bons–chèques » pour amener l’Etat à payer les vacations des enseignants et épargner les parents via les Associations des Parents d’Elèves et d’Enseignants (APEE).
Ce « bon-chèque » serait une sorte de bon d’achats que les pouvoirs publics institueraient avec l’appui solidaire des mécènes ou grands magasins commerciaux qui accepteraient les bons émis : si un vacataire est payé 10€ de l’heure en 15 h/semaine, il aura un max de 600€ qu’il pourra utiliser dans les magasins citoyens qui auraient adhérés au projet et l’Etat par un jeu de taxe différée pourra compenser ces magasins ou les rembourser plus tard. Ne perdons pas de vue que les crises engendrées par la pandémie ont fait perdre aux économies africaines d’importantes recettes fiscales et partant au eecteur de l’éducation : au Cameroun, le budget 2020 de l’éducation a été amputé de plus de 42 millions de dollars, dont 19 à l’enseignement de base et 23 à l’enseignement secondaire.
5- Mettre à contribution les facultés de Sciences de l’Education pour former les enseignants du premier cycle des collèges.
Cette disposition permet d’épargner les ENS et de multiplier par 10 le nombre de postulants qui seront recrutés sur concours à la fin de leur formation comme cela se fait avec les titulaires des diplômes des Instituteurs CAPIEMP. Ce sera une opportunité de recycler les vacataires qui inondent les lycées et collèges souvent sans socle pédagogique solide : ils sont nombreux dans nos pays qui enseignent sans niveau requis !
Conclusions
Dans un contexte d’incertitudes, il ne faut pas baisser la garde ! L’Ecole n’est pas un sanctuaire clos épargné des problèmes sanitaires, économiques, sociaux ou sécuritaires ! Elle devra vivre avec la pandémie pendant un bon temps en raison des incertitudes qui vont de la controverse des thérapies efficaces jusqu’à la production hypothétique des vaccins. L’éducation est un secteur pseudo-non marchand qui coûte cher et qui le sera davantage si nos enfants tombent malades ou contaminent leurs parents. Malgré les promesses d’un vaccin en 2021, le Dr. M. YAO de l’OMS préconise la plus grande vigilance aux Africains en raison du nombre sans cesse croissant des contaminations communautaires : à ce jour, 20 millions de cas dans le Monde dont 1million en Afrique avec l’Afrique du Sud en tête, malgré un système sanitaire plus performant.
L’OMS, l’INEE, le groupe local des partenaires techniques et financiers et forcément le GPE devraient davantage sensibiliser nos décideurs pour des solutions opportunes d’urgence afin de faire face efficacement à la COVID-19. Nous avons la preuve qu’ils sont mieux écoutés si l’alarme vient de l’OMS, des partenariats techniques et financiers (PTF) ou de l’UNICEF.
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