Par Helen Abadzi, Traduction de Pierre Varly
Original : http://inprogressreflections.ibe-unesco.org/reflection-to-ipr15-helen-abadzi/
Le rapport complet (en anglais) : http://unesdoc.unesco.org/images/0025/002596/259685E.pdf
Des cadres différents, des compétences non comparables?
Le suivi de l’objectif 4.1 des objectifs de développement durable (ODD) exige des tests qui mesurent des compétences comparables dans les curricula (programmes scolaires NdT) du monde entier. Qui peut le faire? Ne cherchez pas plus loin que le Bureau international d’éducation (BIE). Cette institution presque centenaire était l’UNESCO avant l’UNESCO. Sa bibliothèque caverneuse contient des manuels et des documents scolaires datant du début du XIXème siècle. Pendant des décennies, le personnel du BIE a étudié les cursus du monde entier dans plusieurs langues avec passion et empressement.
En 2017, le BIE a collaboré avec l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU) pour comparer les programmes des États membres en mathématiques et en langues. Ils ont obtenu 115 cadres nationaux d’évaluation (National Assessment Frameworks) et d’autres informations sur les tests de 125 États membres en mathématiques (années scolaires 1 à 8), élaboré un système de codage et classé les objectifs et sous-objectifs de divers cadres. Le travail se poursuit avec la lecture, et ce fut une tâche monumentale, où le BIE a toujours excellé.
L’analyse du BIE a montré des tendances qui présagent des différences de performance. Les pays à revenu élevé ont des documents plus détaillés; les pays plus pauvres ont des documents plus modestes et plus de la moitié des États membres à faible revenu n’avaient pas de documents ou ne les ont pas envoyé. Les cadres couvraient plus souvent les sujets de connaissance des nombres, l’algèbre et la géométrie. Ils ont couvert moins bien les sujets qui sont nécessaires dans la vie quotidienne, tels que les statistiques et les probabilités. Et seulement environ 17% des cadres ont couvert des sujets liés à la compétence en mathématiques.
Le personnel du BIE a codé la «compétence» en termes de résolution de problèmes, de raisonnement, d’argumentation et de communication. Le terme signifie également un rappel facile et fluide des procédures. Les élèves ont besoin de calculs mathématiques précis et fluides afin d’en conserver une chaîne dans la mémoire de travail et de résoudre les problèmes. Une négligence des objectifs de compétence explique dans une certaine mesure la piètre performance de certains pays et de certaines populations (voir figure). Les cadres d’évaluation avaient tendance à mettre l’accent sur les connaissances nécessaires pour les études supérieures, mais pas sur les compétences de base qui permettent aux gens de mieux appréhender leur vie financière et leurs décisions.
Pourcentage de cadres couvrant chaque domaine (BIE-UNESCO et ISU, 2017)
Les mathématiques sont une fonction innée du cerveau qui est commune à tous les humains, mais les distributions des curricula diffèrent. Par exemple, les États arabes et certains pays asiatiques ont accordé moins d’importance aux objectifs de mesure que les autres régions réunies. De plus, peu de pays d’Amérique latine, des Caraïbes et des États arabes avaient des objectifs d’algèbre. On peut regretter l’agrégation de l’Afrique Subsaharienne en une seule région, alors qu’il subsiste des différences significatives quant au poids des domaines fractions et statistiques entre Afrique Francophone et Anglophone (NdT).
Les variations ne sont pas systématiques et ne sont pas facilement réconciliées. En outre, les écoles à faible revenu ne peuvent couvrir que des parties des programmes, en raison des faiblesses des élèves et des enseignants. Ainsi, les élèves peuvent être évalués sur des ensembles d’objectifs très différents.
La variabilité des systèmes et des politiques d’évaluation nationaux peut compliquer le suivi des progrès des États membres vers les objectifs nationaux et internationaux, y compris les ODD. L’étude du BIE a des implications importantes pour la complexité et le réalisme. Certains pays enseignent et évaluent clairement mieux que d’autres, mais ils distribuent également les objectifs différemment selon les années. Il est donc difficile de comparer les objectifs. Quoi qu’il en soit, que signifient les objectifs spécifiques pour les ODD? Si un enfant connaît des loms de formes géométriques, mais calcule lentement ou ne peut pas expliquer le raisonnement d’une opération, l’enfant peut avoir une mauvaise éducation financière à l’âge adulte.
Peut-être que l’évaluation devrait se concentrer sur quelques variables évaluables qui ont une validité prédictive élevée de la performance future. La recherche montre que ceux-ci incluent la vitesse d’opération, telle que les chiffres opérés correctement par minute; la précision dans les estimations et dans les ratios, la capacité de faire correspondre un sens de grandeur avec des symboles numériques et de se déplacer couramment le long de la ligne des nombres. Les États membres peuvent ainsi recevoir des informations reflétant les performances futures de leurs citoyens et leurs compétences financières de survie. Ils peuvent ainsi envisager comment améliorer leurs compétences en vue d’une performance fonctionnelle à long terme.
Une autre question concerne la responsabilité des décisions et leur mise en œuvre. Le rapport du BIE contient un trésor de résultats, mais il nécessite une étude approfondie des implications et des décisions difficiles. Les groupes de travail prennent des décisions, mais ce sont des réseaux de fonctionnaires qui s’occupent de leur propre travail. La responsabilité de réfléchir aux conclusions du BIE, de les traduire en actions, d’obtenir des budgets et d’établir des échéances exécutoires peut être laissée à la charge de quelqu’un d’autre. On ne sait pas non plus quand et comment les États membres seront convaincus d’adapter les programmes d’études et de les aligner sur ceux des autres États membres en matière de comparabilité. Et quels États membres seront considérés comme la norme? Les autres États accepteront-ils de se conformer à ces normes?
Ainsi, le diable est dans les détails. L’étude du BIE souligne la gravité des problèmes et les difficultés à venir.
Plus de lecture:
Une étude similaire de l’UNESCO en 2009 : http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002154/215467e.pdf
Analyse des curricula en Afrique Francophone : https://varlyproject.blog/2010/03/24/une-analyse-des-curricula-en-afrique-francophone/