Le travail des enfants et l’éducation au Bénin

Par Aïcha SIDI

Le travail des enfants est l’un des sujets quelque peu tabou, mais qui mérite réflexion de nos jours. En effet, selon l’ONU (2012), plus de 200 millions d’enfants sont travailleurs et 115 millions parmi eux sont soumis aux pires formes de travail. Selon la même source, 5,2 millions d’enfants sont soumis à un travail forcé et asservi dans le monde. Un enfant sur six travaille dans des conditions dangereuses, selon l’UNICEF. Soit dans les mines ou dans l’agriculture avec des produits chimiques et des pesticides ou encore en manipulant des machines dangereuses. En Afrique, à peu près un enfant sur trois travaille, soit environ 69 millions d’enfants. Il est donc clair que la question du travail des enfants nécessite une grande portée d’actions, surtout actuellement où l’on aspire à une éducation primaire universelle.

  • Quelle est la densité du travail des enfants au Bénin ?

Le travail des enfants en Afrique et spécialement au Bénin semble être des plus critiques. Toutes fois, les études sur le sujets sont rares au Bénin ou du moins non accessibles. Les données sur le travail des enfants sont disponibles sur le site de la Banque Mondiale à partir de 2006, où le Bénin se trouve être le pays ayant le plus d’enfants de 7 à 14 ans qui travaillent, parmi les pays pour lesquels les données sont disponibles. Le pourcentage est de 76% pour les filles et de 72,8% pour les garçons, contre 37,43% de filles et 39,84% de garçons pour le Togo. Selon le rapport (VODOUNOU, & al (2008)) de l’Enquête Nationale sur le Travail des Enfants (ENTE), le taux d’enfants économiquement occupés serait de 34%. Comme nous pouvons le voir dans ce tableau, il y a un grand effet des départements du Nord, à savoir la Donga et les Collines.

Nombre et proportion du travail des enfants au Bénin par département

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Source : ENTE (2008)

Parmi les enfants qui travaillent, une grande proportion sont signalés comme exerçant des travaux dangereux ou à abolir. La carte ci-dessous nous montre par département, le pourcentage d’enfants exerçant un travail dangereux ou à abolir, parmi les enfants économiquement actifs.

Travail enfant Bénin2

Source : Auteur à partir des données de l’ENTE 2008

A part le département de la Donga (36,8%), plus de 50 % des enfants qui travaillent effectuent un travail dangereux. Pour ce qui est des travaux à abolir, il n’en est pas moins de 70%, des enfants qui travaillent par département.

Ici, les enfants qui sont considérés comme exerçant des travaux dangereux sont ceux qui :

  • Travaillent dans des branches d’activité désignées dangereuses,
  • Ne travaillent pas dans les branches d’activité dangereuses mais effectuent des professions  réputées dangereuses
  • Ne travaillent pas dans les branches d’activité dangereuses ni n’effectuent des professions dangereuses mais travaillent 40 heures ou plus par semaine (c’est‐à‐dire plus de 8 heures par jour pendant 5 jours ouvrables).

Les enfants effectuant des travaux à abolir englobent ceux qui effectuent des travaux dangereux, en plus des enfants économiquement actifs et qui sont soit âgés de 5 à 11 ans, soit de 12 à 13 ans et travaillant plus de 22,5 heures par semaine (soit 4h ½ ou plus par jour).

L’effet du travail des enfants selon l’ENTE est un phénomène du rural ; parmi les enfants économiquement occupés 64,5% travaillent dans l’agriculture, 6,8% dans l’industrie et 28,7% dans les services.

Selon le Paul Tossouvi (2012),  sociologue, le travail des enfants est une conséquence de la pauvreté. Cela peut se justifier par le taux de chômage élevé du pays. Le travail des enfants est aussi encouragé par des parents qui sont dans les services (menuiserie, mécanicien,  …) et qui encouragent leurs enfants à y travailler pour assurer la relève de leur atelier. Cela s’explique par le taux élevé de services au Bénin (54% en 2010, selon les données de la Banque Mondiale).

L’autre aspect du travail des enfants, comme le souligne Marcus Boni Teiga(2011) dans son article, est le phénomène de « vidomegons » c’est-à-dire d’enfants placés. Il s’agit d’une ancienne tradition qui s’est transformé en « esclavage moderne ». Les familles nanties prennent des enfants socialement défavorisés en charge pour assurer leur éducation et leur insertion professionnelle. Aujourd’hui, ce phénomène s’est complètement métamorphosé, les familles ne s’occupent plus de la vie socioprofessionnelle de ces enfants, mais ils sont plutôt employés à des fins ménagers. Les parents ‘pauvres’ reçoivent une somme dérisoire de la part de la famille d’accueil. Certains enfants ce sont vu parfois livrés en plus à des activités rémunératrices de revenu en faveur de la famille d’accueil, comme le commerce ambulant. D’autres on été le résultat de maltraitance, comme celui dénoncé par Maitre Olga Anasside (2013) dans sa plaidoirie : « esclave malgré elle ».

Dans les pires cas, les enfants sont amenés au Nigéria, venant en majorité du village Zapkota au centre du Bénin, comme le souligne The Gardian. Ces derniers sont souvent maltraités et envoyés parfois dans des mines. Outre le Nigéria, les enfants sont également déportés dans d’autres pays comme le Congo, Guinée équatoriale, le Cameroun, le Gabon.

  • Impact du travail des enfants sur la scolarisation

L’OIT conçoit le travail des enfants ‘conformes aux normes de l’OIT’ comme étant avantageux pour l’enfant. La condition est de ne pas nuire à sa santé, à son développement et à sa scolarité. Il doit être léger et autorisé à partir de 12 ans. Cette forme de travail peut avoir un impact positif sur les capacités intellectuelles des enfants. Le deuxième type de travail des enfants ‘non conforme aux normes de l’OIT’ concerne les enfants de moins de 12 ans travaillant dans n’importe quelle branche de l’économie ou des enfants âgés de 12 à 14 ans et se livrant aux pires formes de travail des enfants. Dans ce dernier cas, il s’agit des enfants réduits en esclavage, recrutés de force, assujettis à la prostitution, victimes de la traite, contraints de se livrer à des activités illicites et devant accomplir un travail dangereux (OIT).

Le graphe ci-dessous présente en 2008 la situation de scolarisation et d’occupation des enfants au Bénin.

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Source : Auteur à partir des données de l’ENTE 2008

Il est en effet alarmant de constater que 31% des enfants âgés de 6 à 11 ans travaillent déjà ; 6 ans étant l’âge officiel d’entrée à l’école. Ceci s’avère être encore plus poussé pour les enfants en milieu rural ; pour la majorité qui vont à l’école, ils concilient travail et école à la fois. Nous voyons également que le taux de scolarisation est plus bas pour les enfants qui travaillent que les enfants qui ne sont pas occupés.

Le taux d’inscription selon cette étude qui s’est faite auprès des ménages est de 76%. Il pourrait aller jusqu’à  89% si le travail des enfants était aboli. Les données du taux brut d’inscription au primaire, émanent notamment de la Banque Mondiale et du PNUD au Bénin n’atteignent pas ce seuil ; ils sont respectivement de 87,6% et de 84,6% en 2008.

Selon le ministère du travail, le travail des enfants peut avoir un impact non seulement sur la santé de l’enfant, mais peut également l’empêcher ou le contraindre à abandonner l’école, soit à la recherche de gains, ou à travers les échecs, car n’arrivant pas à cumuler scolarité et travail.

En ce qui concerne le confiage des enfants en dehors du ménage, la situation peut être différente par rapport au lieu d’habitation ; selon Marc PILON (2003). En effet, dans le milieu rural, le taux de scolarisation des enfants est plus faible pour les enfants vivant avec leurs parents que ceux qui ne vivent pas chez leurs parents. Cela peut s’expliquer par le fait qu’en milieu rural, certaines zones soient très éloignées de l’école et que donc le confiage des enfants ait vraiment pour but de scolariser ces dernier. Cette observation est contraire en ville, surtout en ce qui concerne les filles qui viennent du village et sont adoptées par des familles comme ‘bonne’ ou ‘aide familiale’. Celles-ci même si elles sont scolarisées, abandonnent pour la plupart des cas en raisons du poids des charges ménagères qui leurs sont assignées.

  • Qu’en est-il de la position de l’Etat face au travail des enfants ?

En 1961, le Bénin a été l’un des premiers pays Africains ayant adhéré à une loi contre le trafic humain. C’est la loi du 5 juillet 1961 ; elle interdisait le déplacement de toute personne (enfants ou grands) contre sa volonté (The Protection Project (2010)).

Depuis ce temps, l’Etat a plutôt été actif dans l’ajout ; la ratification de la loi que dans son application. Ce n’est que plus tard (à partir de 2005) que le Bénin a signé des conventions avec le Nigéria et a pu ramener des centaines d’enfants béninois du Nigéria comme le souligne Marcus Boni Teiga(2011). Aussi, comme cela  été le cas avec le Nigéria, le Bénin a signé en 2011 un accord avec le Congo afin de lutter contre ce phénomène, RFI(2011).

Il faut également noter que le Bénin a ratifié un certain nombre de conventions clés sur l’esclavage moderne, mais pas la convention relative à l’esclavage lui-même ou la loi complémentaire de l’esclavage qui interdit aux mineurs de se livrer à des travaux dangereux, selon Walk free (2013).

Le code du travail interdit le travail forcé, mais prévoit seulement 2 mois  à 1 an d’emprisonnement ou le paiement d’une amende.

Enfin, la politique du Bénin pour l’application du code du travail n’à carrément aucun impact, car elle n’est orientée que dans le secteur formel. En effet, 126 inspecteurs du travail sont employés au sein du ministère du travail et ont entre autres pour mission de veiller sur l’application du code du travail dans le secteur formel, alors que l’essentiel du travail forcé a lieu dans l’informel.

  • Le meilleur reste à venir !

La précarité des études sur le travail des enfants rend ce sujet tabou, et donc la société évolue dans l’ignorance de l’impact de ce phénomène. L’Etat béninois devrait investir dans ce sens, ce qui pourrait également faciliter l’intervention de l’aide internationale. Plusieurs décisions sont prises mais les actions manquent, comme le souligne une représentante de l’ONU après une mission récente de 10 jours au Bénin, Maalla M’jid (2013).

L’offre scolaire doit également être améliorée : c’est-à-dire en plus de la gratuité, améliorer les conditions d’apprentissages, les salles de classes, la taille des classes et une meilleure qualité de l’enseignement. Il faudra également faciliter l’accès à l’école surtout dans les zones rurales.

Le phénomène d’enfants placés par exemple a pris naissance par le fait que certains parents, du fait de leur aptitude économique ou intellectuelle était incapable d’assurer un avenir prometteur à leurs enfants, selon un article de Kokouvi EKLOU(2013). Les politiques éducatives doivent alors miser sur l’éducation des adultes, et l’augmentation des possibilités de travail.

Le manque de services sanitaire accessibles financièrement (bonnes) fait que les regards sont plus portés vers les enfants des proches qui n’ont pas de moyens. L’Etat devrait également investir dans ce sens.

Le travail des enfants, surtout des plus jeunes constitue une entrave à la scolarisation universelle visée par le plan décennal. Il s’avère important de lutter contre ce phénomène pour la bonne tenue de celui-ci et de sensibiliser la population sur l’importance de la scolarisation de tout enfant.

Plusieurs ONG travaillent activement dans ce sens par des actions menées sur les terrains ou les études qu’elles réalisent. L’ONG Autre vie a par exemple fait une étude très intéressante sur le confiage des enfants, et a identifié les communes d’Adjohoun, d’Agbagnizoun, des Aguégués, de Bopa, de Dogbo, d’Ifangni, de Kpomassè, de Toviklin et de Za-Kpota, dites zones à risque, comme zones pourvoyeuses d’enfants. Elle œuvre également contre les abus envers les enfants et pour leur éducation. Nous pouvons également citer les ONG Plan Bénin, Mewy-Yovo… Ces structures sont la preuve que l’espoir est permis et qu’un meilleur avenir peut se dessiner pour les enfants béninois.

Les ONG sont généralement subventionnées par les organismes internationaux comme l’UNICEF, l’OIT, l’IPEC pour des projets spécifiques de lutte contre la traite des enfants.

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                      Infographie de synthèse :

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*Travail des enfants de 5 à 17 ans

Chiffres : ENTE (2008)

Références :

VODOUNOU, & al (2008), l’enquête nationale sur le travail des enfants (ENTE), Organisation internationale du travail(OIT) & Institut national de statistique et de l’analyse économique (INSAE), Rapport d’étude, Bénin.

Marc PILON (2003), CONFIAGE ET SCOLARISATION EN AFRIQUE DE L’OUEST : UN ETAT DES CONNAISSANCES, Institut de recherche pour le développement (IRD) & Unité d’enseignement et de recherche en démographie (UERD), Rapport d’étude, Paris.

The Protection Project (2010), A 5 July 1961 Act: prohibited the displacement of men, women and children without their consent, cited in “A Human Rights Report on Trafficking in Persons, Especially Women and Children – Benin” (n.d.), Benin.

Maitre Olga Anasside (2013), Esclave malgré elle, Le mémorial de Caen : Recueil des plaidoiries 2013 pp241-248, Bénin.

 Un mot sur l’auteure :  Aïcha SIDI, de nationalité béninoise, est chargée d’études statistiques à Varlyproject.

This Post Has 5 Comments

  1. KOTOUNNOU Prudence Mahougnon

    j’ai fait mon mémoire de fin du 1er cycle en statistique sur le thème et j’ai utilisé les données de l’enquête nationale sur le travail des enfants au Bénin, j’ai eu les mêmes résultats. Il ns reste encore à faire, je m’interroge sur la probabilité d’éradiquer complètement ce phénomène en Afrique et en particulier au Bénin. A mon avis il serait difficile compte tenu de la pauvreté et du poids de la tradition, car ce phénomène est à la limite culturel. mais l’espoir est permis

    1. aichasidi

      Oui l’espoir est permis, comme nous l’avons ajouté à la fin de l’article. La preuve est la présence de ces différents organismes qui luttent pour cela. Il s’agit d’enfants qui souffrent et nous devons tous agir contre cela. Il est vrai que cela est devenu culturel, et donc normal au Bénin, à cause de différentes raisons dont la pauvreté, mais cela ne justifie pas que l’on gâche l’avenir de ces enfants. De plus, la pauvreté ne fera que s’agrandir si on n’éduque pas les enfants qui sont l’avenir de demain.
      Bien à toi..

  2. Habib SIDI

    Très bonne analyse sur le travail des enfants. C’est un sujet très sensible et même tabou comme souligné dans l’article. Même si des lois existent pour réprimer ce phénomène, c’est dans leurs applications que la tâche est beaucoup plus ardue, le phénomène étant profondément ancré dans nos habitudes et partie intégrante de l’environnement socio-culturel. Mais une fois encore c’est à l’état de jouer son rôle. En effet concevoir qu’un enfant puisse résider dans une maison, au sein d’une famille à laquelle il n’appartient pas, c’est laisser un large boulevard au développement du travail forcé des enfants voire l’encourager. Et si une famille a vraiment besoin de s’agrandir ou désire soustraire un enfant de sa “misère”, l’adoption reste un recours possible et légale, les responsabilités liées allant avec. Je pense que si les foyers étaient ne serait-ce que fortement taxés pour tout enfant non scolarisé, non-membre de la famille et mis au travail de gré ou de force, on ferait déjà un grand pas vers une situation plus saine. C’est dommage que des personnes préfèrent sacrifier l’avenir d’un enfant, ne fût-il pas le leurs, pour effectuer leurs travaux domestiques que de payer un adulte ayant lui choisit d’en faire un métier.

    1. aichasidi

      Effectivement, le taux de chômage elevé pourrait être aussi lié au fait que les enfants prennent la place des jeunes dans des métiers; puisqu’ils sont moins coûteux que les jeunes.

  3. aichasidi

    La carte du respect des droits de l’enfant faite par l’association Humanium montre que la plupart des pays de l’Afrique centrale et aussi de l’Afrique de l’ouest sont dans une situation très grave. Le Bénin présente une situation difficile, dans le cadre du respect du droit des enfants.
    http://www.humanium.org/fr/carte-respect-droits-enfant-monde/

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