L’enseignement multilingue : les réalités d’un environnement pédagogique dynamique

Présenté le 22 février 2016 à Yaoundé à l’occasion de la célébration de la 17ème journée internationale de la langue maternelle par :

Intervenants :

  • Didier MBOUDA

Professeur d’Ecoles Normales d’Instituteurs, Point Focal ELAN-AFRIQUE-CAMEROUN, Expert de la Francophonie en lecture écriture, Sous-directeur de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales au MINEDUB.

  • Michel ABASSA

Professeur d’Ecoles Normales d’Instituteurs, Expert de la Francophonie, formateur en lecture/écriture, et en didactique du bi plurilinguisme, membre de l’équipe technique ELAN-AFRIQUE-Cameroun, Inspecteur National de Pédagogie au MINEDUB.

Modérateur :

  • ONGUENE ESSONO Louis Martin

Linguiste, membre de l’équipe Technique ELAN-AFRIQUE Cameroun, Doyen de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines à l’Université de Yaoundé I.  

La communauté internationale a célébré ce jour, la 17e édition de la journée internationale de la langue maternelle. La communauté éducative nationale du Cameroun s’est joint à elle pour mener la réflexion sur le thème « L’enseignement multilingue : les réalités d’un environnement pédagogique dynamique ». Il s’agissait en effet, d’un échange, d’une démonstration, d’une proposition concrète ici et maintenant après trois ans d’expérimentation de l’implémentation des langues nationales dans les écoles primaires pilotes publiques de Yaoundé (éwondo), d’Edéa (bassa), de Bafoussam (ho’melah), et de Maroua (fulfuldé) de sensibiliser la communauté de pratique des enseignants sur la nécessité de s’investir dans l’enseignement des langues nationales pour améliorer la qualité de l’éducation surtout pour résoudre l’épineux problème de la lecture / écriture dans les systèmes éducatifs africains.

L’intervention de Michel ABASSA, Professeur d’Ecoles Normales d’Instituteurs, Expert de la Francophonie, formateur en lecture/écriture, et en didactique du bi plurilinguisme, membre de l’équipe technique ELAN-AFRIQUE-Cameroun, Inspecteur National de Pédagogie au ministère de l’Education de Base à cette occasion, permet de découvrir les dessous, les arcanes, les enjeux et les défis du projet pédagogique qui soutiennent les efforts de mise en œuvre d’une politique nationale multilingue au Cameroun. Nous pensons que l’apport majeur de l’enseignement multilingue est non seulement de réhabiliter l’apprenant dans sa culture originelle, en lui permettant de découvrir les mécanismes de la lecture dans sa langue maternelle d’abord, mais aussi et surtout d’opérer des transferts pour faciliter l’acquisition des mécanismes de lecture/écriture dans les langues d’enseignement que sont l’anglais et le français. Cette dynamique pourrait contribuer davantage à la promotion d’une éducation de qualité en parvenant à résoudre le problème de la lecture/écriture qui appauvrit la qualité de l’éducation (SOFRECO 2011, PASSEC 2015).

Mais d’abord après la définition des concepts clés liés au multilinguisme,  quelles sont les facettes et les caractéristiques de cet environnement pédagogique qualifié de dynamique tel qu’il se présente dans une classe multilingue ? Comment cette pédagogie se déploie et s’applique-t- elle dans les salles de classe ?(les principes généraux de l’approche équilibrée de la lecture écriture) et quel type d’apprenant envisage-t-elle de produire ?

I-DEFINITION DE CONCEPTS :

  1. L’enseignement multilingue ou bi-plurilinguisme : dans l’adjectifplurilingue, le préfixe bi désigne le fait que l’élève est exposé à deux langues dans le système éducatif ; le préfixe pluri indique que le système gère plus de deux langues. Il peut arriver que dans certains pays les élèves soient exposés à plus de deux langues, on parlera aussi de multilinguisme.
  2. Langue maternelle: Pour enraciner la définition de langue maternelle dans la réalité linguistique africaine, l’UNESCO donne à ce terme une signification plus large : il s’agirait de la ou des langues de l’environnement immédiat et des interactions quotidiennes qui « construisent » l’enfant durant les quatre premières années de sa vie. Ainsi, la langue maternelle correspond à une ou plusieurs langues avec lesquelles l’enfant grandit et apprend avant l’école. Dans les contextes multilingues comme le sont de nombreuses sociétés africaines, les enfants grandissent naturellement avec plus d’une langue maternelle, car plusieurs langues sont parlées dans leur famille ou dans leur voisinage immédiat.
  3. Lecture-écriture: dans l’approche ELAN-AFRIQUE, ce mot composé désigne en contexte d’apprentissage ou de scolarisation le fait de rendre les apprenants conscients des structures du langage oral, et les possibilités de le transcrire, de le codifier en respectant les règles et conventions d’écriture d’une langue donnée. Lire et écrire sont comme les deux facettes d’une même pièce de monnaie, lire et écrire sont des activités liées.
  4. Approche : est à considérer comme une démarche intellectuelle qui n’implique ni étapes, ni cheminement systématique, ni rigueur particulière. C’est un état d’esprit, une sorte de disposition générale. Ce qui caractérise l’approche c’est sa flexibilité, son ouverture et les possibilités intégratrices.
  5. Langue officielle : ce sont les langues internationales de grande diffusion que les pays ayant subi la colonisation ont adopté comme langue d’enseignement et de communication.
  6. Langue d’enseignement : représente toute langue déclarée officiellement comme étant capable d’être utilisée comme médium pour l’enseignement-apprentissage.
  7. La pédagogie dynamique : la pédagogie dynamique, à l’opposé des pédagogies actives nées en ce début du XXe siècle et dont Décroly, Montessori et Freinet, Ferrière sont des fervents représentants à la base du courant d’éducation nouvelle, n’est pas du tout un courant pédagogique nouveau, ou une stratégie pédagogique dans le sens stricte du terme.

C’est plutôt une approche pédagogique, c’est-à-dire un regroupement d’un grand éventail de stratégies, de techniques, de pratiques et d’outils pédagogiques facilitant l’enseignement-apprentissage chez l’apprenant et favorisant l’efficacité, l’excellence, l’autonomie, la créativité. Dans l’approche ELAN, l’environnement lettré, l’apport des neurosciences, de la linguistique etc sont autant d’éléments pris en compte pour rendre efficace l’enseignement -apprentissage de la lecture-écriture.

II- QUELLES SONT LES REALITES QUE L’ENVIRONNEMENT PEDAGOGIQUE DYNAMIQUE DE L’ENSEIGNEMENT MULTILINGUE CONVOQUE ?

Cinquante-six ans après l’indépendance du Cameroun, d’année en année, malgré les efforts du Gouvernement pour améliorer la qualité des services éducatifs, les résultats des différentes évaluations des acquis scolaires (SOFRECO 2011 et PASSEC 2015) de 2000 à 2016 sont unanimes : une dépréciation du rendement scolaire des élèves en général malgré de nombreux efforts accomplis par le Gouvernement dans d’autres domaines avec un bémol sur les difficultés d’apprentissage de la lecture.

Dans le rapport EPT 2015, les recommandations convergent vers l’élaboration d’un plan national d’enseignement-apprentissage de la lecture pour améliorer les acquis des élèves.

II-Quel est le sens de l’expression environnement pédagogique dynamique ? Ne pourrait-on pas envisager d’abord de la décliner clairement sur les plans théorique et pratique ?

L’expression environnement pédagogique convient d’être perçue au sens large, incluant les aspects théoriques de la pédagogie associés aux aspects pratiques de celles-ci. L’adjectif dynamique adjoint à cette expression signifie un environnement qui manifeste une force, une puissance, un environnement qui engendre un mouvement, un changement, de l’espoir.

II-1 Sur le plan théorique, quels sont les inputs de l’environnement pédagogique dynamique qui sous-tendent l’éducation multilingue fondée sur la langue maternelle ?

L’environnement pédagogique qui sous-tend l’éducation multilingue fondée sur la langue maternelle s’appuie sur des principes anthropologiques, sociologiques, psychologiques, linguistiques, pédagogiques et didactiques énergétiques   qui sont parfois tronqués dans les classes ordinaires : voici énoncés, quelques-uns parmi les plus importants qui peuvent avoir un impact positif sur le quotidien des enfants en situation d’apprentissage à savoir :

« En apprenant d’abord dans une langue qu’il connaît bien, l’enfant se sent valorisé ».

  • On fabriquerait des apprenants équilibrés car « enracinés dans leur culture et ouverts au monde ».

« En apprenant d’abord dans une langue qu’il connaît bien, ceci facilite son apprentissage, mais ne règle pas tous les problèmes d’apprentissage comme par miracle ».

  • On ne résout pas le problème des sons (écoute, discrimination, prononciation, répétition) à l’oral, de lecture (décodage et de fluidité, compréhension), d’écriture (rapport lettre/son, règles de la langue, conventions de textes et d’écriture, encodage). Rapport oral-lecture-écriture.

Il faut rendre l’enseignement intéressant :

  • Favoriser le jeu pour apprendre et apprendre en jouant (Montessori)
  • Construire des outils de référence avec les élèves et les afficher dans la salle de classe pour pouvoir les utiliser comme supports d’apprentissage. (Freinet)
  • Savoir motiver les élèves et respecter leur personnalité et leur rythme d’apprentissage. (Bentham)
  • Tenir compte des façons d’apprendre et des rythmes de chaque apprenant (Howard Garden)

Etablir une communication relationnelle avec les élèves (Jacques Salomé)

  • Respect des élèves
  • Ecoute attentive
  • Discussion
  • Liberté

Faire comprendre aux élèves et leur permettre d’établir la liaison entre lecture et écriture et vice versa

Trouver des passerelles et la nécessaire complémentarité entre oral-lecture-écriture

  • Décloisonner et utiliser les compétences entre les 3 domaines pour montrer l’importance de la lecture-écriture.
  • Favoriser le passage par les différentes étapes d’acquisition et d’installation des mécanismes de la lecture ;
  • apprendre à lire
  • lire pour apprendre avec
  • lire pour produire, imaginer, créer.

Pouvoir utiliser les activités d’évaluation pour mesurer le degré d’acquisition des compétences des élèves et y remédier en différenciant l’enseignement selon les besoins des élèves.

  • La dictée n’est plus là pour exclure, rejeter, humilier les élèves mais pour visiter le niveau des acquis.
  • L’écriture inventée devient un outil pour détecter les difficultés des élèves en écriture et y remédier.
  • L’illustration, la variation des textes et types de texte permettent d’apprécier les fonctionnalités de la lecture dans la société.

II-2 Sur le plan pratique, quelles attitudes, quelles pratiques sont encouragées dans l’environnement pédagogique d’une classe, d’une école qui met en œuvre l’éducation multilingue fondée sur la langue maternelle ?

L’environnement pédagogique d’une classe multilingue diffère quelque peu d’une classe ordinaire, à cause de trois aspects interdépendants qui apparaissent comme des exigences sans lesquelles les résultats escomptés ne peuvent être atteints sur le plan pratique. Il s’agit de :

  • De comportements nouveaux exigés aux enseignants et aux apprenants ;
  • De la production et de l’utilisation des supports et ressources pédagogiques adéquats ;
  • Un suivi et des activités de supervision pédagogique régulières, ainsi que des évaluations et une formation initiale et continue des enseignants subséquents.
  • Des comportements nouveaux exigés aux enseignants et aux apprenants ;

Aux enseignants ;

  • Créer une classe riche ; chacun un manuel, des différents supports supplémentaires, les figurines, les cartes, etc.
  • Rendre sa classe vivante et animée ; atmosphère détendue et conviviale, où règnent la confiance, le respect mutuel et un sain leadership.
  • Mettre l’enfant au centre des apprentissages.

Aux apprenants ;

  • Susciter le désir et l’envie d’améliorer ses capacités orales et écrites dans une ou plusieurs langues ;
  • Désirer et comprendre le bien fondé d’apprendre à lire et à écrire dans une ou plusieurs langues ;
  • Etre capable de se servir de la lecture-écriture dans toutes les disciplines.

De la production et de l’utilisation des supports et ressources pédagogiques adéquats ;

Une classe multilingue nécessite des outils et supports variés pour garantir la vitalité des activités et leur cohérence interne. Au nombre de ceux-ci on veillera à travailler avec ;

  • Un emploi du temps et des répartitions séquentielles (planification) ;
  • Différents livres et supports ;
  • Différents cahiers de L1, L2, L3 ;
  • Les dictionnaires et autres documents facilitant le transfert d’une langue vers une autre.

Un suivi et des activités de supervision pédagogique régulières, ainsi que des évaluations et une formation initiale et continue des enseignants subséquents.

Il sera toujours important de mettre en place une équipe de supervision pédagogique pour assurer le suivi, les évaluations régulières pour permettre des formations initiales et continues pour tous ceux qui doivent porter ce projet pédagogique.

Que revêt en définitive, le sens profond de l’expression l’« environnement pédagogique dynamique » dans l’enseignement multilingue ?

L’expression « l’environnement pédagogique dynamique » traduit une réalité conceptuelle et opérationnelle nouvelle. Il s’agit de résoudre les difficultés d’apprentissage des élèves en utilisant d’abord les langues camerounaises puis en opérant des transferts dans les langues officielles français/anglais qui sont aussi les langues d’enseignement. Cette opération ne peut être effective sans un changement de mentalité, une vision nouvelle et des comportements nouveaux tant pour les parents, les enseignants et les apprenants que si elle trouve un écho favorable dans un paradigme nouveau qui exige des différents acteurs une prise de conscience sur la responsabilité de l’école et de la classe « comme lieux décisifs d’investissement et d’action pour les changements ».

L’enseignement multilingue tel que nous venons de le démonter n’exclut aucun courant parmi ceux qui l’ont précédé. Au contraire, il induit une prise de conscience et une investissement supplémentaires qui nécessitent des interventions éducatives bien appropriées pour résoudre le problème de la lecture à l’école primaire et l’amélioration de la qualité de l’éducation par l’introduction de l’enseignement multilingue fondé sur la langue nationale. La réalité de l’environnement pédagogique multilingue promeut une pédagogie active, une pédagogie de participation centrée sur l’élève, une pédagogie de l’excellence, de la créativité, une pédagogie de l’efficacité.

 

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