Les collèges de proximité en Côte d’Ivoire

Par Laurent Cortese, responsable éducation AFD Côte d’Ivoire

En 2009, le gouvernement ivoirien a décidé de lancer une réforme des collèges consistant notamment à la construction d’un grand nombre de petits collèges en milieu rural. Cette réforme vise plusieurs objectifs :

  • Répondre à une demande croissante d’éducation dans le 1er cycle de l’enseignement secondaire : la hausse attendue des élèves diplômés du primaire, du fait d’une pression démographique croissante et de l’amélioration du taux d’achèvement du primaire va conduire à une forte demande des ménages pour un enseignement secondaire notamment dans le premier cycle. Ainsi, il est prévu que les effectifs de ce cycle passent d’environ 1,2 millions d’élèves en 2015 à 2,1 millions en 2025. Ceci est d’autant plus vrai que le gouvernement a approuvé en 2015 une loi rendant la scolarisation obligatoire pour les enfants de 6 à 16 ans ;
  • Adapter son offre au milieu rural et aux filles: en effet, il apparait que les enfants issus de ménages ruraux rencontrent le plus de difficultés pour accéder au collège et pour y rester ; c’est encore plus critique pour les jeunes filles. Ainsi, seulement 2 % des filles rurales pauvres peuvent espérer achever le secondaire. “La mise en perspective des données de 2012 avec celles de 2006 montre que la situation s’est dégradée pour les ruraux sur la période, ayant peu ou pas bénéficié de l’expansion du système aux niveaux post primaires, comme l’attestent les rapports de chances relatives en faveur des enfants urbains, en hausse de 2,0 à 4,3 au collège et de 4,3 à 11,4 au lycée. Ces résultats reflètent, en partie, l’état de la couverture des établissements scolaires sur le territoire : si celle-ci semble relativement homogène pour ce qui est des écoles primaires, ceci est loin d’être le cas des collèges, lycées et établissements supérieurs, pour l’essentiel localisés en milieu urbain. La construction des collèges de proximité et des lycées en milieu rural est une nécessité absolue et impérieuse pour réduire la fracture sociale qui existe actuellement entre les urbains et les ruraux dans l’accès aux services éducatifs” (RESEN, 2016) ;
  • S’assurer que la qualité de la formation et le niveau des acquisitions des élèves s’améliorent : Les collèges ruraux ne doivent pas être des établissements de second choix, ils doivent permettre aux élèves de suivre le même programme qu’en milieu urbain dans un environnement de qualité qui facilitera l’adhésion des communautés ;
  • Respecter les contraintes budgétaires publiques : cette stratégie va être coûteuse dans la mesure où les besoins de construction seront très importants avec des coûts unitaires élevés compte tenu du fait que le développement des collèges se fera dans des zones potentiellement éloignées. Malheureusement, les fonds disponibles dans le secteur de l’éducation et de la formation sont limités et doivent être partagés entre les différentes composantes du secteur. Dans ces conditions, il convient d’identifier des mesures qui permettront de réduire considérablement les coûts de mise en œuvre du programme des collèges de proximité, notamment en procédant au recrutement d’enseignants bivalents.
  • Assurer le développement équilibré du système d’éducation et de formation ; c’est-à-dire d’un système d’éducation et de formation soutenable financièrement et qui répond aux besoins socio-économiques du pays. La mise en œuvre de la réforme des collèges doit constituer un élément essentiel du mécanisme de gestion des flux ; en effet, si tous les diplômés du collège entraient dans l’enseignement secondaire général ou technique, une grande partie irait ensuite dans l’enseignement supérieur, augmentant encore le nombre d’étudiants alors même que les débouchés dans le secteur formel n’auront pas suivi. Le collège doit donc à la fois assurer un socle de compétences fondamentales pour tous les enfants et préparer l’orientation.

tof collège 1

 Le collège de proximité (C2D)

  Une nouvelle organisation des enseignements

Cinq blocs disciplinaires et un service d’enseignement de 21 heures hebdomadaires par enseignant ont été définis et adoptés, après des échanges constructifs entre toutes les parties prenantes.

Les blocs de discipline identifiés sont les suivants : bloc 1 (Français, Histoire et Géographie), bloc 2 (Français, Éducation aux droits de l’homme et à la citoyenneté), bloc 3 (Anglais, épreuves physiques et sportives), bloc 4 (Mathématiques, Technologies de l’information et de la communication) et bloc 5 (Physiques, Chimie et Sciences de la vie et de la terre).

Pour leur fonctionnement, le nombre d’enseignants bivalents et de personnel administratif par collège est défini à 10 enseignants, 1 chef d’établissement, 1 économe, 2 éducateurs et 1 secrétaire.

 Améliorer significativement l’efficacité interne à travers la réduction des redoublements et des abandons du niveau collège.

L’organisation du collège favorise de meilleures conditions d’apprentissage : temps d’enseignement amélioré, ensemble des disciplines couvertes par des enseignants bivalents, réduction de l’éloignement vis-à-vis des familles. La réduction de l’absentéisme des élèves et des enseignants favorise une plus grande réussite des apprentissages.

L’amélioration des résultats d’apprentissage semble possible : Les premiers résultats sur la 1ère année des collèges de proximité sont positifs puisque le taux de passage vers la 5ème est de 95 % et de 91 % pour les filles. Les taux de redoublement sont inférieurs de moitié par rapport à la moyenne nationale. Toutefois ces résultats ne sont pas suffisants pour apprécier le niveau d’apprentissage des élèves dans ces établissements. Des études complémentaires sont prévues notamment sur les acquis scolaires.

Construire des infrastructures au plus près des populations à un coût maitrisé

Plusieurs Partenaires Techniques et Financiers appuient cette réforme. Une première étape a permis la construction de 49 collèges (7 sur financement du Partenariat Mondial pour l’Education avec une mise en œuvre de la Banque Mondiale, 2 par l’USAID et 40 par la France à travers le projet Education du Contrat de Désendettement et de Développement (C2D). Une deuxième phase du projet Education-C2D prévoit le financement de près de 200 collèges.

Des plans types communs ont été validés par le Ministère, les PTF et la Société Civile. Ces plans visaient à permettre la construction d’un collège à très bas coût en tenant compte des contraintes en milieu rural, notamment l’absence d’eau courante et d’électricité. Ces plans correspondent à des collèges à base 2 (2 classes par niveau) qui disposent de huit salles de classe, une salle informatique et un bureau des professeurs et des bureaux pour les personnels administratifs.

L’identification des sites des collèges répond aux critères suivants : les collèges doivent être proches des communautés pour s’assurer que les élèves parcourent moins de 5 km pour atteindre l’établissement. Ce qui permet aux enfants des rester dans leurs familles, contribuant fortement à l’amélioration de leur sécurité, notamment pour les filles dont un nombre non négligeable est victime de grossesses précoces conduisant souvent à l’abandon. Un collège devra couvrir un nombre d’écoles primaires suffisant pour justifier un collège de type 2 avec 320 élèves.

D’importantes difficultés ont été rencontrées avec les entreprises de constructions qui peinent à intervenir dans des zones reculées. Les retards sont importants et les communautés ont trouvé des locaux transitoires pour ouvrir des classes de 6ème et de 5ème.

Tof collège 2

Locaux provisoire pour les classes de 6ème et 5ème dans la localité de Kouassi-Ndawa

La bivalence pour une meilleure gestion des enseignants

« Si de façon réglementaire, les enseignants sont tenus de faire 21 heures par semaine dans le 1er cycle et 18 heures hebdomadaires dans le 2nd cycle, dans la pratique, le système est très loin de cette réalité. En effet, les enseignants du collège font une moyenne de 14 heures d’enseignement par semaine et ceux du lycée moins de 12 heures, en moyenne. Ce résultat traduit un taux de sous-utilisation assez élevé des enseignants du secondaire (32 % au collège et 36 % au lycée) et appelle à la mise en place de mesures de rationalisation de leur utilisation » (RESEN, 2016). C’est pourquoi, le Ministère de l’Education fait reposer la réforme des collèges sur la bivalence des enseignants (ils enseignent deux disciplines) et à la réorganisation des curricula autour de cinq pôles de discipline d’égale importance.

Les enseignants sont recrutés sur concours externes ou parmi les enseignants ordinaires du primaire ayant un niveau universitaire, à savoir au moins le Bac+2. Une fois admis, ils suivent un an de formation théorique à l’ENS et font un an de pratique sur le terrain.

Ces collèges dispensent un enseignement identique à celui des collèges classiques, l’ensemble des matières étant enseignées par des professeurs bivalents, recrutés sur concours et formés spécialement à cet effet à l’École Normale Supérieure (selon décision du Conseil des ministres).

Médiation sociale pour l’implantation des collèges avec l’appui des ONG

Pour faciliter l’implantation des collèges, le Ministère a fait appel dans le cas des collèges financés par le C2D à des ONG qui mettent en œuvre des activités de mobilisation des communautés pour s’assurer que les différentes communautés bénéficiant du collège vont y scolariser leurs enfants notamment les filles. L’intervention de ces ONG doit permettre également une appropriation forte du collège par les communautés à travers la création de Comité de gestion des établissements scolaires (COGES) qui doivent assurer notamment la maintenance du collège. De plus, les ONG sensibilisent les communautés à la nécessité de construction de logements pour le personnel du collège et à la création d’une cantine. L’intervention des ONG a été très appréciée dans la gestion de conflits entre plusieurs villages qui refusaient de partager un même collège. Le personnel des ONG travaillent en collaboration étroite avec les autorités locales et les chefs de villages pour s’assurer que les enfants du bassin de scolarisation ont accès aux collèges.

Des défis restent à relever

Le problème de la qualité est d’autant plus critique que de nombreuses contraintes pèsent sur le système :

  • Les manuels scolaires ne sont pas fournis par le Ministère et les familles en milieu rural n’ont pas les moyens pour les acheter. Le Ministère, avec l’appui du C2D étudie la possibilité de mettre en place un système de prêt ;
  • L’Ecole Normale Supérieure pourrait ne pas être en mesure de former suffisamment d’enseignants compte tenu des besoins importants (environ 8 000 pour les 10 prochaines années). Par ailleurs, la formation fournie par l’ENS se fait sans aucune intervention du Ministère de l’Education Nationale ; ce qui risque de conduire à une formation trop théorique. L’accompagnement sur le terrain semble inexistant, les nouveaux enseignants étant livrés à eux-mêmes. Le Ministère souhaite donc développer un système de formation continue ;
  • Le développement de l’enseignement des sciences nécessite l’acquisition d’équipements trop chers. Le Ministère doit mettre en place une nouvelle stratégie pour enseigner les sciences à un coût abordable ;
  • L’augmentation des effectifs semble plus importante que prévue et l’insuffisance de construction de collèges par le gouvernement dans les villes accentue la pression sur les collèges de proximité qui constituent souvent la seule offre scolaire.

Finalement, cette réforme s’inscrit directement dans l’agenda international qui fixe comme objectif que « d’ici à 2030, toutes les filles et tous les garçons suivent jusqu’à son terme un cycle d’éducation de base de qualité, gratuit et obligatoire, de 9 années au moins, et obtiennent des résultats d’apprentissage pertinents ». L’installation de cette réforme est un long processus, qui appelle à repenser un certain nombre d’éléments de la politique scolaire nationale : infrastructures, formation et gestion du personnel éducatif, articulation avec les autres niveaux d’études, etc. Pour aller plus loin dans la réflexion, plusieurs études sont prévues, notamment :

  • un projet de recherche pour analyser le processus de construction de cette réforme et les perceptions des différents acteurs et bénéficiaires ;
  • une étude de suivi et d’évaluation de mise en œuvre de la réforme pour permettre au gouvernement de faire les ajustements nécessaires ;
  • des études sur les acquis des élèves.

Il convient, enfin, de rappeler que la réforme des collèges aura un impact considérable en matière d’aménagement du territoire et de lutte contre la pauvreté en milieu rural :

  • en renforçant la présence de services publiques dans des zones éloignées ;
  • en augmentant la productivité de la main d’œuvre et ainsi en favorisant le développement économique local ;
  • en accroissant la scolarisation des filles dans le secondaire premier cycle, la recherche a montré que ces dernières font une meilleure utilisation des méthodes de planning familial, accélérant accélérant la transition démographique.

Les effets de cette réforme seront donc plus importants si elle accompagnée par une amélioration de l’offre de santé en milieu rural et un développement des mécanismes de soutien à l’emploi des jeunes, des secteurs appuyés fortement par le C2D.

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  1. Anonymous

    ⚙️ [MENETFP-SE_ETFP] PROJET C2D EDUCATION-FORMATION
    M. Bacary Kamara, Coordonnateur du Projet C2D Education Formation : « Nous nous sommes réorganisés pour la continuité de nos activités dans le respect des mesures barrières »
    ⚙️1) Fin février 2020, le Premier Ministre ivoirien et l’Ambassadeur de France lançaient les marchés de construction de 60 collèges de proximité dans le cadre du C2D 2. En tant que structure de mise en œuvre, comment avance le processus ?
    Bacary Kamara : Les 4 marchés de construction des 60 premiers collèges de proximité du C2D 2 ont été effectivement signés avec 3 entreprises. La prochaine phase après celle de la signature des marchés concernera l’exécution des travaux sur chaque site. A cet effet, une organisation est en cours de finalisation pour assurer le suivi et le contrôle des travaux avec le Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) comme Maître d’œuvre principal appuyé par les Ingénieurs et Techniciens de l’Unité de Coordination du Projet (UCP) C2D Education Formation.

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    ⚙️1) Fin février 2020, le Premier Ministre ivoirien et l’Ambassadeur de France lançaient les marchés de construction de 60 collèges de proximité dans le cadre du C2D 2. En tant que structure de mise en œuvre, comment avance le processus ?
    Bacary Kamara : Les 4 marchés de construction des 60 premiers collèges de proximité du C2D 2 ont été effectivement signés avec 3 entreprises. La prochaine phase après celle de la signature des marchés concernera l’exécution des travaux sur chaque site. A cet effet, une organisation est en cours de finalisation pour assurer le suivi et le contrôle des travaux avec le Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) comme Maître d’œuvre principal appuyé par les Ingénieurs et Techniciens de l’Unité de Coordination du Projet (UCP) C2D Education Formation.