Pierre Varly
Préambule
Ce ne sont pas les travailleurs et travailleuses du Partenariat Mondial pour l’Education qui sont en cause, mais l’institution. S’ils sont généralement moins diplômés que leurs homologues de la Banque Mondiale, ceux avec qui j’ai travaillé, comme consultant, sont compétents, motivés et ne ménagent pas leurs efforts. Par contre, l’institution qui avait déjà largement critiquée par l’UNESCO, DFID et la société civile vers 2008-2009 est devenue une machine infernale complètement délirante.
Mais pourquoi Rihanna, pourquoi ?
L’ambassadrice du Partenariat Mondial pour l’Education est Rihanna. Cette chanteuse, qui chante faux dans ses concerts, est une pur produit marketing qui n’a aucune légitimité à représenter une quelconque organisation internationale. Ces clips ne véhiculent aucune valeur positive entre torture, meurtre (I shoot a men down) et limite apologie de la prostitution (Pour It up), on ne voit pas en quoi elle représente un modèle pour les jeunes filles.
Malala, Prix Nobel de la Paix, qui aurait rempli cette fonction à merveille a tout simplement disparu des écrans radars. Shakira, qui a un QI de 140 et finance dans des projets en Colombie est quant à elle membre de la haute commissions sur l’éducation. Comme je l’ai montré dans ce post, l’éducation dans le monde souffre d’un problème de leadership. Nous avons davantage des cheerleaders que des leaders.
Lors de la réunion sur le financement du PME en 2018, les organisations islamistes ont dénoncé la venue de Rihanna et je cite : « les organisations satanistes qui promeuvent l’éducation occidentale », Boko Haram light. C’est une réaction extrême que bien sûr on ne cautionne pas. Mais le premier délire du PME est d’avoir choisi Rihanna pour la représenter, mais ce n’est pas le plus grave.
Des financements largement insuffisants et opaques
Les estimations des besoins annuels pour le financement de l’éducation de base varient mais on retiendra le chiffre de 16 milliards de dollars, soit 10% de la fortune de Jeff Bezos. La conférence de financement du PME avait tablé sur des annonces de 3 milliards de dollars, alors que 2 milliards ont été finalement obtenus. C’est donc un échec. Mais le PME a largement communiqué cela comme étant une réussite. Quant à la France, elle s’est gargarisée d’avoir décuplé son aide au PME de 20 millions d’euros à 200 millions. Ce sont là des gouttes d’eau dans l’océan des besoins. Le PME a eu l’audace d’incorporer dans ses estimations les financements intérieurs des pays présentés comme des promesses de dons.
Les financements du PME par pays tournent en moyenne autour de 50 millions d’euros. Certes, ils couvrent souvent des activités pour lesquelles il n’existe aucune ligne budgétaire dans les ministères et viennent combler un gap et s’accompagnent d’assistance technique. Mais ils sont largement insuffisants.
De plus, depuis les débuts du PME, l’allocation des fonds aux différents pays est déterminée à priori, sans tenir de l’estimation du gap de financement. Les critères d’attribution de ces fonds sont éminemment politiques et opaques. Des pays qui luttent par exemple comme le terrorisme en Afrique de l’Est comme le Kenya et l’Ethiopie sont bien sûr privilégiés. Voir les données sur le financement du GPE par pays ici.
La propagande soviétique du PME
Le PME est doté d’un blog et de nombreux canaux de communication. Mais la communication du PME n’a absolument rien à envier à la Pravda sous l’ère soviétique, c’est de la propagande pure et simple, sans aucun esprit de recul.
Des micro success stories y sont mises en avant et le blog du PME glorifie ses propres résultats de manière incessante. C’est une insulte à notre intelligence. Il n’y a aucune autocritique ni présentation des leçons que l’on pourrait retenir des échecs.
Un fait m’a particulièrement marqué. Alors que j’étais engagé par la Banque Mondiale pour aider à l’élaboration d’un plan sectoriel pour l’éducation au Kenya, j’avais inscrit un appui au dispositif citoyen de mesure des acquis UWEZO. Mais la Banque et le PME ne voulaient pas en entendre parler car cela « froissait le gouvernement ». Plus tard, je découvre la directrice du PME poser fièrement avec les responsables d’UWEZO au Kenya. Quelle hypocrisie !
Des résultats plus que modestes
Le PME a essayé de définir des indicateurs de résultats, mais ceux-ci changent constamment ce qui nuit à la crédibilité de l’ensemble. En 2012, j’avais participé au rapport sur les résultats du PME, et il est vrai que les pays participant au PME avait des résultats légèrement meilleurs que les autres. Mais ils sont aussi généralement mieux gérés, plus présents sur la scène internationale, et on peut difficilement estimer l’effet net du PME.
Le graphique qui suit montre que le nombre d’enfants non scolarisés ne baisse plus, au contraire. Ces résultats plus qu’alarmants montre que le PME a atteint ses limites, cela ne marche pas !
Une annexe de la Banque Mondiale
Il faut savoir que les bureaux du PME sont prêtés par la Banque Mondiale, que les contrats de consultants sont signés avec la Banque Mondiale et que l’infrastructure informatique, tout comme les processus d’élaboration de projets sont basés sur les modèles de la Banque Mondiale. Mais on peut y voir un bon moyen de faire des économies.
Le délire ici est qu’on a bien du mal à distinguer les projets du PME de ceux de la Banque Mondiale. C’est la même manière de raisonner, le même thinking. Ainsi, instruisant un projet Banque Mondiale sur l’évaluation des acquis au Cap Vert, on a eu bien du mal à l’articuler avec le projet Banque Mondiale, qui finançait à peu près les mêmes activités.
Ces projets ont le même esprit que ceux de la Banque Mondiale, c’est le néolibéralisme et des théories du changement tout simplement délirantes, lorsque l’on considère l’extrême conservatisme des responsables ministériels dans le monde. En dehors du fait que le PME propose des dons, contrairement à la Banque Mondiale qui fournit des prêts, il n’y aucune valeur ajoutée du PME par rapport à la Banque Mondiale. Cela avait été déjà souligné en 2008 et 2009 mais absolument rien de nouveau a été fait.
Le « modèle » de politique éducative est basée sur une escroquerie
Surtout ces « modèles » de politique éducative sont basés sur une escroquerie intellectuelle. En effet, le PME a défini au début des années 2000, une série de paramètres à suivre, à l’époque le cadre indicatif Fast Track : une taille des classes limitée à 40 élèves, 20% de dépenses d’éducation, une taux de redoublement limité à 10%, une contribution du secteur privé à hauteur de 10%, une salaire enseignant moyen au primaire équivalent à 3,5 le revenu par habitant… Or pour déterminer ces paramètres, on a observé les trajectoires des pays ayant réussi à scolariser tous les enfants. Mais voilà, tous les pays de l’ex bloc soviétique ont été purement exclus des analyses a priori.
« “Four of the eight countries in the sample that met the criterion were countries in Eastern Europe and Central Asia. Given the unique institutional legacy of these countries, it would bias the analysis of success factors if these countries retained this weight in the successful group.” A Chance For Every Child(2003) written by Barbara Bruns, Alain Mingat and Ramahatra Rakotomalala, on behalf of the World Bank
Lorsque j’ai reconduit ces analyses avec l’aide d’une statisticienne on a trouvé bien au contraire que les pays pauvres qui étaient performants à la fois sur le plan des taux d’achèvement et des dépenses d’éducation, c’était justement les pays de l’ex bloc soviétique. Voir les données de la Banque Mondiale sur la qualité de l’éducation qui donnent les mêmes résultats.
Il s’agit tout simplement de la part du PME d’une escroquerie intellectuelle.
Les plans sectoriels et projets du PME : un business lucratif
Pour pouvoir décrocher la timbale des financements du PME, il y a tout un processus à suivre. Les pays doivent présenter un plan sectoriel qui doit être entériné par la coordination locale des bailleurs de fonds, et qui sert de base à l’élaboration d’un projet qui serait financé par le PME.
Cela trouve racine dans une déclaration de la Banque Mondiale lors du forum de Dakar en 2010 : « aucun pays ayant un plan crédible ne se verra refuser un financement ».
Tous ces documents de plans sectoriels et de requête auprès du PME sont formalisés et standardisés et le processus est en fait bureaucratique. En 2012, j’ai revu l’ensemble des plans sectoriels et j’en ai tiré des redondances dans les mesures éducatives. De nos jours, c’est encore vrai, ces plans se ressemblent tous les uns, les autres, notamment en Afrique francophone. Pourquoi ? Bien qu’ils ne soient généralement pas crédités au générique, ces plans sont réalisés par des consultants et presque toujours la même équipe en Afrique Francophone, d’où le risque de copier-coller des idées. De plus, leur évaluation est réalisée également par des consultants, avec une forte pression du PME pour que le plan soit validé quoi qu’il arrive. Car s’il n’y a pas de plan, il n’y a pas de financement du PME qui n’a plus de raison d’être. Donc on élabore des plans qui n’ont aucune forme d’appropriation par les acteurs éducatifs et ne sont que très rarement mis en œuvre, à l’exception des mesures financées par le PME.
De plus, lorsque l’UNICEF se charge d’administrer les projets, ce qu’elle fait de plus en plus souvent, elle prend 7% de frais de gestion (13% par le passé mais réduit à 7% sur pression de la Banque Mondiale). Ces projets font la part belle aux études, aux évaluations qui nécessitent là encore des consultants, c’est devenu un business comme un autre.
Business as usual
L’équipe UNESCO de suivi de l’EPT est particulièrement critique vis-à-vis du PME. Elle propose :
«La manière dont le GPE mesure la part du budget consacrée à l’éducation doit être réévaluée, en considérant l’ensemble des dépenses de l’État, avant le service de la dette plutôt qu’après le paiement de celle-ci.
Les détails de toutes les promesses de financement nationales doivent être immédiatement partagés de manière transparente, afin que les acteurs de la société civile nationale puissent demander des comptes à leurs gouvernements en matière de financement, en sachant exactement ce qu’ils ont promis.
Il est urgent que le GPE explore de nouvelles manières pour les gouvernements des pays en développement de prendre des engagements de financement en faveur de l’éducation.
Le GPE doit être exemplaire dans la manière dont il s’engage avec le secteur privé dans les années à venir.
Enfin, nous devons tous aider le GPE à demander des comptes à la communauté des donateurs. Les pays donateurs ont versé un peu plus de 2 milliards de dollars (avec d’importants engagements de l’UE, du Royaume-Uni, de la Norvège, de la France, du Danemark, de la Suède, du Canada et des Émirats arabes unis – et même une petite subvention du Sénégal lui-même!), Mais le GPE espérait récolter plus de 3,1 milliards de dollars. »
Mais le PME ne rend compte à personne, quoi qu’on fasse il poursuivra ses activités délirantes. Il faut tout simplement passer à la vitesse supérieure et créer un véritable Fonds mondial pour l’éducation.
You are right GPE should have ended in 2015 together with the MDGs. It has furthermore been wracked by political, ethical, and performance problems. Its 2016 evaluation made it clear that it is just a machinery to employ 90+ people, many of whom are personal friends of management. So it has no value added for the poor countries; to the contrary, its bureaucracy combined with that of the Bank subtracts value.
But GPE has what other agencies don’t: a world-class public relations machine! So despite their faults, they convinced donor agencies to keep giving them money. Vive le PR!
Le GPE reste à la Banque Mondiale : https://www.globalpartnership.org/news-and-media/news/statement-chair-board-directors-new-institutional-arrangements-gpe?utm_source=gpe_social_en&utm_medium=twitter_en&utm_campaign=announcement
D’abord l’éducation est la base de vie.
Je demande à Madame la directrice du GPE de travailler non seulement avec les Etats mais aussi avec les sociétés civiles car l’éducation concerne tout le monde.
Le PME a renouvellé un fonds pour la société civile : https://www.globalpartnership.org/fr/financement/fonds-societe-civile-education
An excellent article with data on funds channel https://www.cgdev.org/publication/global-partnership-education-redundant
Un autre problème est la durée des programmes liés à une requête : la limite est en général de 4 ou 5 ans… trop peu pour faire évoluer des mentalités sur l’éducation ou la place du privé. En outre, la part variable doit s’appuyer sur des indicateurs dont seul le PME est maître pour les accepter ou les refuser. Il n’y a pas de “dialogue constructif” tant les responsables pays du PME sont pressuré sur leurs résultats (comme pour la BM). Enfin, les consultants ont pour rôle d’aller dans le sens du Board, même si ce n’est pas forcément la ligne du pays : il faut obtenir le don mais surtout la part variable dans les délais impartis !
merci Pierre-Yves, ce que je vois c’est plutôt des durées de 3 ans pour les projets du GPE, mais pour les autres bailleurs c’est pareil, alors qu’on dit qu’une vraie réforme profonde de l’éducation prend dix ans, on parle alors de plan décennal mais la durée des plans sectoriels s’est aussi réduite avec le temps , plan de relance etc sur 5-7 ans au lieu de dix, au Bénin on voulait faire un plan quinquennal mais la Banque Mondiale n’en a pas voulue ah ah