Les enfants non scolarisés au Cameroun

Pierre Varly

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L’UNICEF et l’Institut de Statistique de l’UNESCO ont lancé en 2010 une initiative mondiale sur les Enfants et Adolescents en Dehors de l’Ecole (OOSCI), en vue d’améliorer le système d’information statistique et d’analyse sur les EADE et examiner les facteurs d’exclusion de l’école.

Selon les données récentes de l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU), en 2016, environ 263 millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes à travers le monde ne sont pas scolarisés, soit un sur cinq en âge de l’être.

Quelques faits et données sur le Cameroun

Au Cameroun les dépenses d’éducation représentent 13,8 %des dépenses du gouvernement en 2013 soit 3% du PIB, un chiffre bien inférieur aux standards du Partenariat Mondial pour l’Education (6% du PIB ou 20% des dépenses courantes). Les ménages assument une part croissante de la dépense d’éducation (2% du PIB en 2012) quand la part des administrations tend à décroitre, du moins entre 2004 et 2012.

Le taux de croissance démographique est de 2,6% en 2016, un chiffre que l’on retrouve dans de nombreux pays d’Afrique. Le système éducatif camerounais est subdivisé en deux sous-systèmes hérités de la colonisation franco-anglaise : le sous-système anglophone et le sous-système francophone.

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Méthodologie

L’équipe a mobilisé des techniques quantitatives, sur la base de la méthodologie standard OOSCI et une enquête qualitative couvrant les dix régions du Cameroun. L’équipe a procédé à une revue de l’ensemble des données disponibles selon la démarche proposée par le cadre méthodologique de l’initiative OOSCI tant en ce qui concerne les données administratives que celles des enquêtes réalisées auprès des ménages (MICS et ECAM en 2014).

Concernant l’enquête qualitative, l’enquête de terrain s’est déroulée sur deux semaines, du 27 novembre au 9 décembre 2017. Un total de 157 entretiens (90 entretiens individuels, 64 entretiens collectifs et 3 récits d’enfants) a pu être réalisé sur l’ensemble des Régions auprès de 376 répondants sur un objectif initial de 150 entretiens (70 individuels et 80 collectifs).

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Combien sont-les enfants non scolarisés ?

Pour l’ensemble des enfants concernés par l’enseignement maternel (au sens officiel, c’est-à-dire la tranche d’âge des 4-5 ans), sur un total de 1,4 million, environ 60% sont scolarisés, soit un nombre de 556 000 non scolarisés correspondant à un taux de non scolarisation de 40%. En 2006, la proportion d’enfants accédant au primaire et ayant suivi un enseignement pré-primaire l’année précédente était de 18,5%. Cette proportion a presque doublé en moins de 10 ans en atteignant 33% en 2014.

Les résultats montrent que le taux net ajusté de scolarisation des enfants en âge du primaire a atteint 83,1% (dimension 2) selon les données administratives, soit 637 437 enfants en dehors de l’école. Cela correspond à un taux d’exclusion de 16,9% pour les enfants âgés de 6 à 11 ans. Les taux sont plus élevés pour les filles (19,5%) que pour les garçons (14,5%). Au niveau national, le taux net ajusté de scolarisation des enfants en âge du primaire est passé de 79,6% en 2006 à 85,4% en 2014. La progression a aussi plus profité aux filles, aux enfants âgés de 6 ans, aux ménages les plus pauvres et ceux dont la mère n’a aucun niveau d’instruction.

Les résultats montrent que le taux global net ajusté de scolarisationau premier cycle du secondaire (ou Secondaire 1) a atteint 81,7%. Cela correspond à un taux d’exclusion scolaire de 18,3% pour les enfants âgés de 12 à 15 ans. Les taux d’exclusion scolaire sont nettement plus élevés pour les filles (27,6%) que pour les garçons (9,6%). La Dimension 3 concerne ainsi une population de l’ordre de 392 000 enfants (293 000 filles et 99 000 garçons) âgés de 12 à 15 ans et qui se trouvent non scolarisés. La comparaison de la situation actuelle (2014) avec celle prévalant en 2006, montre une certaine baisse apparente de la scolarisation des enfants âgés de 12 à 15 ans dont le taux global net ajusté de scolarisation est passé 82,7% à 81,1%.

Le calcul des trois dimensions D1, D2 et D3 à partir des données administratives aboutit à un taux d’exclusion scolaire de 19% pour l’ensemble des enfants âgés de 5-15 ans (estimée à 6,6 millions), soit une population totale de 1,251 millions d’enfants non scolarisés composées de 745 000 filles (taux de non scolarisation de 22,8%) et de 506 000 garçons (taux de non scolarisation de 15,2%).

Quels sont les risques de décrochage ?

Le risque d’abandonner le cycle primaire avant d’atteindre la sixième année d’études (dimension 4) est estimé selon les résultats de l’année scolaire 2014 à un taux de 24%, il est légèrement plus élevé chez les garçons (25,0%) que pour les filles (23,6%). Ramené aux conditions de 2016, ce risque concerne une population composée de plus de 935 000 élèves (509 000 garçons et 426 000 filles) inscrits dans les cinq premières années d’études et qui risquent d’abandonner le système scolaire avant de parvenir en dernière année d’études du cursus primaire.

Les enfants qui risquent de quitter le premier cycle de l’enseignement secondaire sans atteindre la quatrième année d’études (dimension 5) sont ainsi estimés à plus de 65 000 élèves sur un effectif total de 1,086 million inscrits dans les trois premières années du Secondaire 1.

Où sont-ils ?

S’agissant de la dimension 1 (enseignement maternel), la répartition par milieu et par région montre des disparités significatives (le TNSA des 5 ans est de 55,8% en milieu rural contre 87% en milieu urbain) et les régions à prédominance urbaine présentent des taux de scolarisation dépassant largement ceux des régions rurales.

Au niveau de la dimension 2 (primaire), le pourcentage d’enfants non scolarisés est important dans 4 régions : le Nord (25,6%) , l’Extrême Nord (35%), l’Adamaoua (19,1%) et l’Est (13,3%) et plus prononcé en milieu rural (21%) qu’en milieu urbain (6,2%). Dans les autres régions, plus de 95% des enfants de 6-11 ans sont scolarisés. Les enfants non scolarisés au moyen (12-15 ans) se concentrent dans les mêmes régions.

Les filles des ménages les plus pauvres ont 59,4% de chance d’être scolarisées au primaire selon l’enquête MICS et 67,4% selon l’enquête ECAM tandis que les filles de ménages les plus riches ont 99,1% de chance de l’être selon MICS et 96,9% selon ECAM. Le problème de la scolarisation des filles est avant tout celui des jeunes filles pauvres et en milieu rural. En effet, 81,6% des filles pauvres en milieu urbain sont scolarisées contre seulement 57,8% en milieu rural selon MICS.

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Le fait d’être une fille, handicapé, orphelin, de vivre en milieu rural, d’avoir un chef de ménage musulman sont des facteurs associés à une plus grande probabilité d’être déscolarisé. Le niveau d’éducation de la mère est un des facteurs les plus discriminants. Les populations autochtones, les enfants confiés ou travailleurs domestiques, les réfugiés et dans une moindre mesure les déplacés internes sont aussi plus susceptibles de ne pas fréquenter l’école.

Pourquoi sont-ils en dehors de l’école ?

Les risques de décrochage scolaire relèvent de multiples combinaisons de facteurs sociaux, économiques, institutionnels dans lesquels la qualité des environnements d’enseignement apprentissage et des infrastructures, notamment sanitaires, joue un rôle non négligeable. Les statistiques disponibles montrent empiriquement que les interruptions volontaires et non volontaires de scolarité sont courantes et résultent largement d’une construction sociale et politique du champ scolaire, dans lequel le recours systématique aux frais d’APEE pour financer l’enseignement primaire, joue une part importante.

Sur le plan socioéconomique, le coût de la scolarité n’est pas toujours accessible à tous les ménages, en dépit de la suppression des frais exigibles dans le primaire public, car les frais d’APEE, les frais d’examens (certificat d’étude primaire et concours d’entrée en 6ème), l’achat des manuels et fournitures scolaires et en milieu urbain les uniformes scolaires qui sont dans la pratique quasi obligatoires, restent à la charge de familles.

Sur le plan socioculturel, les pesanteurs/pratiques socioculturelles et les normes de genre doivent être considérées si l’on veut comprendre les discriminations dont sont particulièrement victimes les filles (mariages précoces). Pour certaines catégories, des difficultés d’apprentissage, le manque de motivation, les problèmes sociaux, la mauvaise orientation ou l’absence de soutien scolaire, ne sont pas toujours favorables à la scolarisation.

Au niveau de l’école, les faiblesses organisationnelles et les capacités à répondre aux attentes sociales ainsi qu’aux besoins spécifiques de catégories vulnérables pourraient permettre de comprendre le phénomène, quel que soit le cycle considéré.

Quelles politiques et stratégies ?

La réponse aux différentes difficultés rencontrées repose sur une meilleure adéquation des mesures mises en œuvre aux besoins identifiés au niveau local. Elle suppose de renforcer la coordination intersectorielle pour améliorer la synergie entre les différents types d’intervention et clarifier le rôle des différents acteurs présents sur le terrain. L’élaboration d’un cadre partenarial clair entre les CTD, les services déconcentrés des différents ministères et les OSC constitue un préalable à un transfert de compétence accru permettant une gestion au plus près des besoins. La mise en place de systèmes de reddition de comptes, associant les autorités traditionnelles et religieuse et les OSC apparaît essentielle pour identifier et assurer le suivi des différentes interventions comme l’adhésion des familles aux mesures mises en œuvre.

L’allègement de la pression financière sur les familles et les enfants les plus vulnérables peut s’envisager en couplant à la fois des mesures d’exemption ciblées (par établissement et par catégorie d’enfant) et des mesures d’appui au développement d’AGR ou d’accès au micro-crédit.

L’amélioration de la qualité de l’offre éducative et de sa pertinence constitue un axe fort pour lutter contre le décrochage en cours de cycle. Elle appelle également un développement de l’offre de formation technique et professionnelle, formelle et non formelle.

Témoignage de Nyangon, malvoyante, 11 ans

Dans le centre spécialisé qui l’accueille à Yaoundé, la jeune fille rêve d’aller loin. Gagner sa vie. Et aider des enfants en difficulté.

« Mon papa me dit de me mettre à l’école ; que si je ne fréquente pas, je n’aurai pas un lieu de service. Donc je ne vais pas gagner ma vie… Il me donne les conseils de fréquenter afin de finir mes études ».

Classique, ce conseil d’un père, prend une connotation particulière pour Nyangon (appelons-la ainsi). A onze ans, cette malvoyante-née essaie, autant que faire se peut, de surmonter son handicap et de faire un long parcours scolaire : «J’ai fréquenté dans le département du Mbam-et-Kim. Là-bas, je ne lisais pas ; je n’écrivais pas, je répondais seulement aux questions. J’ai fait la Sil et j’ai réussi. C’est au Cours préparatoire que je ne m’en sortais plus… »

Les parents de l’enfant, le père maçon, la mère cultivatrice, n’ont d’autre solution que la faire partir de leur village, situé dans la vallée de la Sanaga, dans la haute savane qui ceinture le Cameroun, aux confins des régions du Centre et de l’Adamaoua. Destination : Yaoundé, vers un centre spécialisé. L’itinéraire est bien connu du couple. Pour y avoir cheminé avec l’aînée de leurs filles qui, la première dans une famille de quatre enfants, est née avec le même le handicap.

Promhandicam est la structure qui accueille Nyangon. « Quand les congés arrivent chaque parent vient chercher son enfant là-bas au foyer et quand le temps de l’école arrive, Maman m’accompagne ici au foyer, elle vient payer une fois mon école ».

Créée en 1977, comme association d’encadrement de handicapés des régions du Centre et du Sud du Cameroun, Promhandicam va rapidement gagner une auréole internationale. Des sollicitations viennent en effet de l’ensemble du pays. Mais aussi d’autres Etats de la Sous-région centrale. L’établissement grandit et compte aujourd’hui : une école primaire pour enfants aveugles, un centre de formation professionnelle, un projet de réhabilitation à base communautaire, un atelier de production de braille, un atelier d’Aides techniques roulantes et plusieurs foyers hébergeant les pensionnaires du Centre.

« Ma nouvelle vie au foyer »

C’est au foyer Don Bocchi, sis au cœur du quartier Anguissa à Yaoundé qu’est logée Nyangon, depuis 5 ans. Elle partage ce havre de solidarité avec 24 autres pensionnaires. Parmi lesquels des non-voyants, des malvoyants, des retardés ou des orphelins, confie Emilienne Dobi Mintsa, la responsable du foyer. La jeune fille affirme s’y plaire : « Je me sens bien, je me sens comme si je n’avais pas un handicap, je suis contente. Ici, tout le monde m’accepte ». Tout le contraire de ce qu’elle avait vécu dans son village où certains élèves se moquaient de son handicap. Heureusement que le soutien de ses parents, celui de son frère et de sa sœur, ne lui ont jamais manqué.