Les rendements de l’investissement en éducation en Roumanie

Par Pierre VARLY, Amal HMIMOU et M’barek IAOUSSE

A travers la traduction et l’adaptation du résumé exécutif, ce billet présente le travail réalisé par la société Varlyproject pour le compte de l’UNICEF en 2014. Un rapport en anglais fournit des éléments sur les rendements de l’éducation au niveau macro et microéconomique et analyse les disparités en termes de scolarisation (notamment des Roms) et de répartition des dépenses publiques. Le rapport montre que la Roumanie, avec l’aide de l’UE, aurait tout à gagner sur le plan social et économique à investir davantage dans l’éducation.

Un article a été publié sur cette question.

Capture

Un faible investissement dans le secteur de l’éducation

La Roumanie est le second Etat membre le plus pauvre de l’Union Européenne (UE) après la Bulgarie. Selon Eurostat, le PIB par habitant en 2013 était de 14130 Euros contre 26640 Euros en moyenne dans l’UE. La Roumanie ne dépense que 4,1% de son Produit Intérieur Brut (PIB) dans l’éducation d’après Eurostat 2012, comparé à 4,7% en moyenne dans les pays d’Europe de l’Est ou à 5,4% dans l’UE. Depuis 2005, la priorité des financements a été donnée à l’enseignement secondaire et supérieur au détriment de l’enseignement pré-primaire et primaire. Le système éducatif dépend fortement des fonds publics puisque la contribution du secteur privé (y compris les ménages et les autres contributions) ne valait que 0,12% du PIB en 2010, contre 0,82% en moyenne pour l’UE. Ce manque d’investissement dans l’éducation a des conséquences sur le niveau de formation de la population roumaine. La crise financière a eu un impact global sur les budgets consacrés à l’éducation en Europe mais certains pays ont réussi à maintenir un certain niveau de dépenses dites sociales. Cette question est bien documentée dans un rapport du réseau Eurydice.

Des défis importants en matière d’éducation et de formation

Le système éducatif roumain demeure face à des défis. Selon les statistiques officielles de l’Institut National de Statistiques, en 2011 plus de 6% de la population en âge de scolarisation primaire et secondaire inférieur (collège) est non scolarisée et 17,5% de la population âgée de 18 à 24 ans a quitté l’école avant de terminer l’enseignement secondaire (décrochages scolaires). 21,8% de la population âgée de 30 à 34 ans en Roumanie a atteint l’enseignement supérieur, contre une moyenne de 34,6% dans l’UE. Un autre défi avec un impact direct sur toute la performance de l’économie est le fait que la participation à la formation professionnelle continue (FPC) est considérablement sous-développée en Roumanie. Selon les données de l’INS, en 2011 moins de 2% des adultes ont participé à des activités de formation contre une moyenne de 9% dans l’UE.

De larges disparités

Les scores des épreuves des évaluations des acquis scolaires en Roumanie continuent à être significativement inférieurs à la moyenne des toutes les évaluations internationales. Les données montrent des grandes disparités entre les groupes socio-économiques en terme des résultats d’apprentissage (PISA). On note cependant une augmentation de ces scores dans le temps. Les enfants et les jeunes issus des ménages les plus pauvres, notamment de la Communauté Rom, la population rurale et les enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux (handicaps) sont les groupes les plus vulnérables en termes d’accès à l’éducation, de rétention et de progression à des niveaux d’instruction supérieurs. Parmi la population la plus pauvre (dernier quintile de richesse), 14% des Roms n’ont jamais été à l’école contre 1,6% pour les non-Roms. Voir ce rapport complet de l’UNICEF sur la question de la scolarisation des populations Roms.

Roma children

Les estimations de la Banque Mondiale (2013) de l’impact du manque d’investissement dans l’enseignement des populations Roms sont exprimées en termes de perte de productivité annuelle et de contribution fiscale qui varie entre 202 et 288 millions d’Euros en Roumanie.

Sur la base de nos analyses, à niveaux d’éducation et autres caractéristiques égales, un Rom a 3,4 plus de chance d’être sans emploi qu’un non-Rom.

Les deux quintiles les plus riches s’accaparent de 65,7% des dépenses sur l’éducation publique, alors que le quintile le plus pauvre n’utilise que 9,9% des ces mêmes dépenses. Jusqu’à 61,2% des ressources publiques relatives à l’éducation sont exploitées par la population urbaine. Le mécanisme de financement par capita introduit au niveau des écoles depuis 2010 n’a pas pu réduire ces disparités.

Les rendements individuels de l’éducation en Roumanie

Investir davantage dans les premiers niveaux de l’éducation serait bénéfique à une proportion de la population qui ne peut supporter les coûts de l’enseignement supérieur. Corroborant les résultats d’autres études, l’effet d’une année supplémentaire de scolarisation sur les salaires est de 8,05% d’après l’enquête sur les revenus et le niveau de vie de 2012 (SILC) et de 9,07% d’après l’enquête des budgets des ménages de la même année. Selon nos analyses, chaque année additionnelle d’instruction réduit la probabilité d’être sans emploi de 8 points et celle d’être en mauvaise santé ou d’avoir une maladie chronique de longue durée de 8,2 points. Les rendements individuels de l’éducation sont plus élevés chez les Roms que les non-Roms. Par exemple, atteindre un niveau scolaire de plus augmente la probabilité de trouver un emploi de 5,6 points pour les non-Roms et de 16 points pour les Roms.

Les rendements au niveau macroéconomique

La littérature fournit des modèles macroéconomiques de calcul des rendements de l’éducation basés sur le nombre d’années de scolarisation et également sur les résultats aux tests PISA. Un rapport récent de l’UNICEF aborde ces questions au niveau mondial. L’UE a fixé pour les Etats membres et pour la Roumanie des cibles spécifiques en matière d’éducation (Cadre stratégique UE 2020).

Ces objectifs sont de réduire la proportion des décrochages scolaires en Roumanie jusqu’à 11,3% d’ici 2020 et d’augmenter la proportion des diplômés de l’enseignement supérieur à 26,7%. Sur la base de ces objectifs et en prenant comme référence la Lettonie et la Hongrie qui investissent plus dans l’éducation (environ 6% du PIB), on peut anticiper une augmentation de la durée moyenne de scolarisation d’un an à l’horizon 2025, pour peu que la Roumanie amène son budget pour l’éducation à hauteur de 6% du PIB. Nos prévisions macroéconomiques sur la base de ce scénario fournissent des taux de croissance du PIB de l’ordre de 2,7% à 2,95% sur la période 2015 à 2025, contre un taux d’accroissement de 2% prévu par le gouvernement de la Roumanie (2014).

Le coût du non investissement dans l’éducation

Sur la base de nos calculs, le coût du non investissement en éducation varie de 12 à 17 milliards d’Euros sur dix ans ce qui est équivaut à 7 jusqu’au 9% du PIB de 2015. Ces résultats sont cohérents avec les taux des rendements individuels calculés par les données micro (8%) et avec les estimations macro pour les pays de l’Europe Orientale.

En termes plus simples, nous devons changer le point de vue qui consiste à penser l’éducation comme une dépense et non comme un investissement, d’après les mots du Ministre. Allouer plus de ressources pour l’éducation va créer des conditions favorables pour le développement économique, la croissance et garantir en retour un budget public plus important qui supportera toutes les politiques sociales menées en Roumanie. On notera un niveau très important de dépenses de prestations sociales liées au vieillissement de la population qui limite les marges de maneuvre budgétaire.

Domaines d’investissement

Investir dans l’enseignement primaire et secondaire réduirait les disparités à la fois en matière de la participation de l’école et de résultats d’apprentissage. Les investissements dans l’enseignement secondaire pourraient cibler le développement des nouvelles techniques de l’éducation et de la formation professionnelle (TEFP), notamment dans le secteur de l’industrie où un meilleur niveau d’éducation est associé à de plus grands rendements individuels en termes de salaires.

Selon les rendements économiques que nous avons estimé, basés sur les données micro-économiques et sur d’autres recherches menées dans des pays avec un développement économique similaire, l’enseignement supérieur semble le niveau où le rendement d’investissement est le plus haut. Cependant, la situation particulière de la Roumanie, avec des niveaux des enfants non scolarisés et des décrochages scolaires élevés, doit être prise en compte lors de la priorisation de l’investissement par niveau d’enseignement.

Nos données montrent que les rendements individuels de l’éducation sont plus élevés pour les communautés minoritaires que pour le reste de la population en considérant à la fois l’emploi et les revenus. L’éducation des adultes doit aussi recevoir une dotation budgétaire plus élevée pour rattraper la situation de référence de l’UE.

Finalement, l’accroissement du capital humain entraîne plusieurs résultats positifs tels qu’une meilleure santé, une réduction de la criminalité ainsi qu’une moindre dépendance aux régimes de protection sociale, comme indiquée par la recherche internationale.

Les solutions envisagées

Malgré la reprise lente de l’économie roumaine après plusieurs années de crise, il est possible aujourd’hui d’accroitre le budget de l’éducation. A cette fin, diverses recommandations d’ordre politique ont été envisagées et présentées lors d’une conférence de presse en présence du Ministre de l’Education, puis à la Commission Education du Parlement roumain :

  • Accroître la part du budget public de l’éducation.
  • Favoriser la contribution du secteur privé à l’éducation aussi dans certains domaines, notamment la formation des adultes.
  • Prioriser le préscolaire et l’enseignement obligatoire, notamment dans l’allocation des financements de l’UE (fonds structurels).
  • Investir dans les jeunes en décrochages scolaires pour améliorer à la fois les objectifs de la croissance économique et l’équité.
  • Ajuster le système d’éducation et de formation avec les besoins du marché du travail.
  • Collecter et rapporter les données sur le budget exécuté et le niveau des réalisations physiques de manière plus précise et plus transparente pour les organisations de l’UE et pour le public aussi.
  • Evaluer plus à fond les programmes mis en oeuvre pour augmenter la participation scolaire et la qualité de l’éducation.
  • Encourager financièrement les populations défavorisées en révisant le mécanisme de financement par capita mis en place au niveau des établissements.

Les recommandations d’ordre technique

  • Considérer les aptitudes non cognitives dans le suivi et l’évaluation des politiques actuelles de l’éducation et de la formation.
  • Promouvoir les analyses secondaires sur les rendements de l’éducation sur la santé et d’autres enquêtes pour comprendre l’impact spécifique et positif de l’éducation sur les résultats sociaux.
  • Mieux collecter des données sur les groupes avec des risques d’exclusion (c.-à-d. les communautés minoritaires, les personnes à besoins spécifiques, les ménages à faible revenu, etc.) soit en les surreprésentant dans des enquêtes nationales, soit par l’organisation des enquêtes spécifiques ciblant ces populations.
  • Développer un cadre roumain pour la coopération des économistes de l’éducation.

Note : Amal et M’barek travaillent actuellement sur des analyses secondaires des données microéconomiques de la Roumanie, dans le cadre de leur projet de fin d’études INSEA.

Crédits photo : UNICEF

Leave a Reply