Les ultras de l’éducation

Tout club de foot a ses ultras, des supporteurs extrémistes souvent violents, bien organisés et qui ne font jamais gagner leur équipe. La plupart des supporteurs préfère sagement bouffer des hot dog et se lever quand il y a un but, vu de loin. Les écologistes se sont dès le départ illustrés par des approches révolutionnaires et ultras, la figure de proue étant les Sea Shepperd (les bergers ou gardiens de la mer), qui n’hésitent pas à éperonner et couler les baleiniers, plutôt japonais d’ailleurs.  Ils font passer Greenpeace pour des marins d’eau douce. Voir une vidéo.

Lire le Parfum d’Adam de Jean-Christophe Ruffin sur l’écologie radicale. Sinon vous pouvez aussi écouter Rage against the machine en dégustant un sandre au beurre (marin d’eau douce oblige) et regarder une vidéo des Sea Shepperd. Tous les liens sont dans le post.

Mais les écologistes ne sont au pouvoir dans aucun pays (?), il n’y a pas d’organisation mondiale de l’environnement et le sommet de Copenhague s’est fracassé sur les rochers économiques et diplomatiques. La taxe ou les crédits carbone sont ceux de la bonne conscience. Au départ, les écologistes ont choisi d’agir contre les institutions et gouvernements plutôt qu’avec. Ce parti pris idéologique a-t-il permis d’éviter que le thon rouge finisse au fond des filets, pour reprendre la métaphore footbalistique ?

En réalité, les cétacés sont autant victimes de la pollution chimique et sonore (notamment les orques) que de la pêche. Cette pollution est le résultat de politiques anti-environnementales qui n’ont pas pu être infléchies par les actions spectaculaires de nos « bergers-loups de mer ». Les baleines sont donc victimes d’actions plus globales, à un effet plus … maquereau.

Peu de sphères de la vie publique et politique échappent aux ultras, que ce soit la lutte contre l’avortement, la défense des animaux, les féministes…

En éducation qu’en est-il ? Trouve-t-on des gens qui luttent pour un moratoire des réformes en éducation en s’écriant c’est assez! comme pour la pêche à la baleine, ou au contraire la conduite du changement ou change making peut-il être à l’origine de certaines déviances à force de vouloir en faire trop ? Qui sont les ultras en éducation ?

En France, les enseignants et parents d’élèves sont très bien rodés aux manifestations et acting en tous genres, cadennassage des établissements, et autres modes d’action quasi institutionnalisés au niveau des syndicats. Mais globalement, il y a peu de débordements et les discussions sur les réformes éducatives prennent souvent la forme de gentilles lettres ouvertes dans le journal Le Monde en France ou de posts enflammés sur de nombreux blogs et a l’odeur de merguez de manifs.

Peut être suis-je trop jeune pour me souvenir des manifestations pour le maintien de l’école privée en 1983… mais je me souviens de Malick Oussekine (1986). Ce sont plutôt des manifestations de masse que des actions de petits groupes, il n’y a généralement pas d’ultras. Ah si en 1986, mais c’était les brigades motorisées de la police…

Par contre, les discussions sur les réformes des curricula (approche par les compétences, APC par exemple) prennent dans les pays du Sud et en Afrique notamment une tournure assez radicale. En quoi cette tournure est-elle reliée au peu de recherche endogène en éducation dans les pays du Sud ? De plus les mouvements sociaux des enseignants sont longs et rudes et parfois ultra-politisés, les enseignants exprimant un ras le bol social. Les querelles d’experts pédagogiques sont fréquentse.

Au cours de mes missions, j’ai déjà entendu dire qu’il fallait « faire un autodafé des manuels », que les pays qui refusaient de mettre en l’oeuvre l’APC étaient « rétrogrades politiquement » ou que des enseignants étaient prêts à s’immoler par le feu pour revenir sur une réforme pédagogique…. Fort heureusement, personne n’a encore une telle rage against the machine.

La France via le CIEP a pris l’initiative de commanditer des études scientifiques sur la question, qui ont pu apaiser le débat, du moins entre experts, les actes n’étant pas encore disponibles pour le public. Encore une fois, la recherche en éducation forme une espèce de zone tampon ou les idées s’affrontent, plutôt que les personnes.

Cette situation est d’autant plus paradoxale que les politiques éducatives suivent en fait rarement les recommandations de la recherche et obéissent à d’autres schémas. Les syndicalistes non plus ne sont pas forcément de grands lecteurs ou dégustateurs d’articles scientifiques. Il y a un décalage entre les séminaires de recherche et les débats journalistiques et des quidams sur l’éducation. En quoi la recherche en éducation permet d’éviter les positions extrémistes et la violence comme mode d’action politique ? Ces travaux scientifiques forment une cuisine élaborée et raffinée qui abouti rarement dans l’assiette des décideurs, qui leur préfère encore les plats de cantine et les recettes surgelées, les poissons Findus éducatifs (nouveaux manuels, formation des enseignants, cours d’instruction civique, …). A titre anedoctique, lors d’un entretien avec un ministre, qui s’était fort mal passé, celui-ci me dit : « Si vos études servent à quelque chose, pourquoi le taux de réussite aux examens est-il toujours de 60 % ?». Il n’avait pas tort. Les Etats Unis sont la source d’une masse gigantesque de travaux scientifiques sur l’éducation proprement ahurissante. L’American Educational Research Assocation rassemble 25000 membres ! Les évaluations sont servies à toutes les sauces, ce qui provoque un certain effet de saturation et les Etats Unis occupent une position moyenne dans les enquêtes internationales. Si la recherche est la panacée, pourquoi on est-on arrivé là ? Ces investissements sont-ils justifiés ?

Aux USA, il y a semble-t-il peu de culture de grève dans l’éducation, peu d’actions d’enseignants ou parents d’élèves violentes et la communauté éducative incluant les enseignants a accès à de nombreux travaux scientifiques, via Edweek par exemple. Le dialogue politique y est plus nourri, est-ce la un effet de la masse de recherches et de leur accès ? Dans l’espace francophone, il y a peu de revues spécialisées et la recherche est réduite à la portion congrue même si elle a eu ses heures de gloire, avec Piaget ou Binet. Voir ici pour un bref état des lieux pour la France.

En Suisse, selon un site canadien :

« sont laissés de côté, autant dans les départements des sciences de l’éducation que dans les hautes écoles pédagogiques, des sujets d’intérêt politique et social marqué tels que l’éducation des jeunes enfants, la formation des adultes et l’enseignement axé sur les besoins de la communauté. »

La Belgique a pu mieux s’organiser et a crée des cabinets de conseil influents (le BIEF). Est tenu à  jour un blog de l’association des chercheurs belges en éducation.

Dans l’espace francophone, plusieurs groupes ou tribus d’experts et d’éducateurs se sont créés et organisés : les économistes, les psychopédagogues, les tenants de l’évaluation, les gourous de l’approche par les compétences, les fans des nouvelles technologies (TICE)… Les lignes de partage des eaux étant souvent davantage situées au niveau des outils (quantitatifs ou qualitatifs, science dure contre science molle) que sur le fond. Ces clivages se répercutent dans les pays du Sud, sur lesquels ruissellent les eaux de la recherche du Nord, bon gré mal gré.

En effet, on n’a pas encore inventé le médicament contre l’ignorance et on peut considérer que la recherche en éducation et les sciences cognitives en sont à leur balbutiement. En France et en Angleterre entre 15 et 20% des élèves ont de graves difficultés de lecture en fin de cycle primaire, on est loin du compte. Si ces deux pays ont éliminé le choléra au milieu du XIXème siècle, la disparition de l’échec scolaire est prévue pour 2147…

Les chercheurs réfutent l’idée de preuve en éducation, il n’y a pas de recette miracle. Leurs travaux ne conduisent pas potentiellement à mort d’homme et on ne soucie guère de l’innocuité des réformes éducatives. Alors que les méthodes de recherche en éducation posent le problème de l’expérimentation, dans le domaine de la santé, les protocoles de tests médicamenteux par exemple sont très normalisés. Pour accéder au fonds mondial santé, il y a un ensemble de règles à suivre. En éducation, on est loin de cette situation même si les évaluations d’impact tendent à se généraliser et à devenir une conditionnalité aux financements internationaux de projets.

C’est un autre paradoxe, si les parents d’élèves et enseignants discutent de manière systématique toute réforme éducative, ils sont prêts à avaler un médicament sans se poser la question de savoir si benzetriclo_machin est mieux que le diethylacide_truc. Etes-vous capable de dire quel est le principe actif de l’aspirine et comment cela agit?

Tout médicament est une drogue et une forme de poison, dans le domaine de l’éducation on préfèrerait voir tester la pilule plutôt chez le voisin, même si les conséquences sont potentiellement moins désastreuses ou moins visibles que dans la santé. Cette peur peut s’expliquer par le rebus que l’on éprouve encore à sonder l’esprit humain, jugé sacré, comme au Moyen Age on ne permettait pas de disséquer les cadavres, pour des motifs religieux.

Malgré cela, les mouvements éducatifs restent bon enfant et on observe peu d’activistes fanatiques, personne n’ayant encore la prétention de détenir l’élixir miracle. Mais la situation évolue…

Au niveau mondial, la répartition des diplômés (niveau Master ou Dea ou plus si affinités) par discipline nous permet de voir si le rapport de force change et si certains pays investissent plus que d’autres la recherche en éducation et comment. Pour cela, on va mobiliser les données de l’OCDE sur les diplômés par discipline ou champ (field of study). Les données sont assez parcellaires et je n’ai pas pris soin de lire toutes les footnote. Parmi les champs, on trouve les maths et statistiques, les sciences de l’éducation et Sciences sociales ou du comportement entre autres disciplines mères. Est-ce qu’un changement des forces en présence peut être susceptible de rendre minoritaires une école de pensée, un camp plutôt qu’un autre et générer des générer des comportements de guérilleros éducatifs ?


Malgré les discours de l’OCDE sur les compétences du XXIème siècle, l’adéquation emploi-formation, la flexibilité du marché du travail et l’économie de la connaissance, on constate globalement très peu de changements relatifs dans les effectifs des différentes disciplines concernées ! Ci-dessous la part des diplômés en sciences de l’éducation, les données sur les USA ne sont pas malheureusement pas désagrégées, et sont intégrées dans Education, au sens large. C’est une indication…

Globalement la situation évolue peu mais les pays du Nord de l’Europe semblent davantage investir ce champ de la recherche.

Les matheux forment 3% des effectifs des diplômes avancés contre 9% pour les scienceux de l’éducation et tous les statisticiens ne travaillent pas l’éducation. Il faudrait creuser davantage pour savoir à quel degré sont enseignées les statistiques dans les sciences de l’éducation entre pays et combien de statisticiens s’occupent d’éducation plutôt que du CAC 40, pour juger des forces en présence. La régression linéaire va-t-elle pourfendre le blob psychopédagogique ou celui-ci va-t-il avaler les méchants statisticiens?

En termes d’effectifs de chercheurs en éducation, ceux-ci ont doublé en Allemagne, les mauvaises langues diront que c’est la conséquence des mauvais résultats PISA, dirigé d’ailleurs par un allemand… La encore la proportion importante des diplômés en sciences de l’éducation en Allemagne n’est pas un gage de performance dans les enquêtes internationales… mais les chercheurs allemands ne seraient-ils pas moins écoutés que leurs collègues danois ?

En dehors du nombre des soldats, il faut juger des armes et de leur portée, que sont pour le chercheur, malgré tout, la proximité ou la capacité à infléchir la politique, la vie de la cité. Pour en revenir à nos métaphores à deux francs six sous, sa capacité à changer le menu des politiques éducatives, du poisson Findus au sandre au beurre. Si La Belgique investit dans la recherche en éducation, c’est aussi car parce que c’est un enjeu de coopération internationale et que cela permet l’exportation de services d’ingénierie éducative. Ces arguments pèsent auprès du pouvoir politique davantage que la beauté du geste scientifique. Voir ici une recette belge de sandre au beurre…pour détendre l’atmosphère.

Si la recherche en éducation n’est pas prise au sérieux par les pouvoirs publics, des attitudes plus radicales peuvent en découler, voire des comportements messianiques de la part de personnes réputées cartésiennes. Tous les chercheurs n’ont pas la patience de Pasteur qui a dit : « je ne publiai pas ces expériences; les conséquences qu’il fallait en déduire étaient trop graves pour que je n’eusse pas la crainte de quelque cause d’erreur cachée, malgré le soin que j’avais mis à les rendre irréprochables»

C’est dans des termes extrêmes qu’est dépeint Nicholas Negroponte, le père de l’initiative OLPC, on parle même de Negropontisme…. pour décrire notre loup de mer numérique. C’est au niveau de la communauté OLPC que l’on trouve actuellement le discours le plus radical qui fait écho à une certaine frustration de ne pas avoir vu pris en compte la thèse socioconstructiviste dans la pédagogie. Voir ici le blog OLPC News très fourni.

Le gap entre la diffusion des informations, la masse des ressources libres et les équipements en nouvelles technologies dans les écoles du Sud est criant et le fossé numérique se creuse, ce qui contribue à l’exaspération. Voici un article sur l’épidémiologie des logiciels libres.

Le virus des Technologies de l’Information et de la Communication en Education n’a pas pris partout, il est parfois rejeté par le système éducatif qui n’a pas pris le tic. Est-ce là un problème des ONGS ou des gouvernements ? Les ONGS ou les projets volontaires sont-ils là pour amortir la crise numérique en cours de gestation ? N’y a-t-il pas lieu de rejeter la balle numérique de l’autre côté du fossé ? Les gouvernements peuvent-ils être vraiment solidaires ? En quoi un certain silence rend possible, sans les justifier, les coups d’éclats ?

Au sein de la communauté OLPC, qui fonctionne en réseau, sans hiérarchie, à partir d’objectifs initiaux, on parle de volontaires de l’OLPC Corps comme des marines, de déploiement XOs, soit d’armes d’instruction massive. Le leadership initial est remis en question, ainsi que le point d’entrée du projet qui est de travailler avec les gouvernements. Ce sont des opérations commando de dotation d’ordinateurs gratuits dans les écoles. Des ultras comme on aimerait en voir plus souvent.

Voici une photo du premier homme a avoir complètement assimilé les nouvelles technologies en éducation après avoir avalé un ordinateur XO. Quand je vous dis qu’il y a des ultras…

Vous pouvez aussi cliquer à droite sur la bannière OLPC et faire don d’un ordinateur a un enfant ou cliquer ici

This Post Has 3 Comments

  1. Pierre

    Rien à dire sur le fond, alors je vais t’emmerder sur la typo…

    “qui ne font jamais gagné leur équipe” – remplace gagner par peindre…

    “dans aucun pays ( ?)” – pas d’espace après une ouverture de parenthèse

    “ce parti pris idéologique a-t-il permis” – très bien, pas comme:
    “Trouve t’on des gens” “Aux USA, il y a semble t’il” aïe aïe aïe! le ‘t’ est rajouté pour faire la liaison entre deux voyelles, ce n’est pas une abréviation, donc pas d’apostrophe, un franc ‘-t-‘…

    Je me permets d’être chiant parce que j’ai d’abord gagné 53 heures d’accès à la connaissance… Ha ha!
    Voilà. Sinon bon courage pour les prochaines missions

  2. Merci maître Capello, c’est la première fois que j’utilise vraiment le “-t-” non sans une certaine émotion 🙂
    Bravo pour les 53 heures de connaissance !

    1. DE Bastien Guerry : Concernant l’expression “armes d’instruction massives”, même si ellevient facilement sous la langue, elle est très dangereuse : elle laisse penser que le projet OLPC a pour but de faire du XO un cheval de Troie du modèle instructioniste — et c’est tout le contraire. Le XO est une occasion pour les pays d’expérimenter autre chose que ce modèle à l’aide des nouvelles technologies (notamment le modèle constructioniste).

      D’autre part, le leadership initial n’est *pas* remis en question, non plus que le point d’entrée des gouvernements. Le modèle est multiple, grâce notamment aux actions des associations grassroots, et c’est tout à l’honneur d’OLPC que de permettre cette multiplicité ; mais le point d’entrée dominant (en nombre, et de loin) reste les gouvernements. Et je ne suis pas fan de la comparaison avec les commandos, même si elle
      se veut flatteuse…