Par Anaël Yahi, août 2021
Remerciements à Jacques Taty
Introduction
Une des méthodes les plus efficaces pour développer un pays est d’en assurer la formation des citoyens. Dans cette optique, la République Démocratique du Congo (RDC) s’est engagée trois fois sur son budget de l’éducation de 2007 à 2018.
Voyons les objectifs qui ont été atteints, et à quoi le futur éducatif de la RDC peut ressembler, sur la base du rapport d’étude : « Suivi des engagements de financement domestique de l’éducation. Analyse et suivi budgétaire » de mars 2021 réalisé par la Coalition Nationale de l’Education Pour Tous en RDC (CONEPT/RDC).
Le rapport complet est disponible ici : Etude-Fusionnée.
Un bel exemple de suivi citoyen du secteur de l’éducation.
Quels engagements le gouvernement a-t-il pris ?
Le gouvernement de la République Démocratique du Congo a pris des engagements en ratifiant plusieurs instruments légaux nationaux, régionaux et internationaux pour se conformer aux normes standards en cette matière. Dans cette perspective, des promesses autour de l’éducation furent énoncées par la RDC ces dernières années :
- au cours de la Conférence de reconstitution du Partenariat Mondial Pour l’Education de 2014 à Bruxelles (https://www.globalpartnership.org/fr/funding/replenishment/2014-pledges)
- et durant la Conférence de reconstitution des fonds du PME de février 2018 à Dakar (https://www.globalpartnership.org/fr/funding/replenishment/2018-pledges).
Ceci s’inscrit dans le cadre des ODD4 (Objectifs de Développement Durable #4 – 6), portant sur l’éducation : « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». Son horizon est 2030.
Le tableau ci-dessous en fournit une synthèse :
On pourra noter que si les ambitions sur les deux derniers types d’engagements ont augmenté entre 2014 et 2018, elles ont dû être revues à la baisse pour le premier type.
Détaillons ce qu’ils signifient.
- Le PIB (Produit Intérieur Brut) représente la richesse qu’un pays génère sur une période donnée.
- Le budget national est déterminé par les recettes et les dépenses dont l’Etat dispose sur une période. La ressource la plus classique est celle des impôts, mais d’autres ressources peuvent provenir des amendes ou du patrimoine que l’Etat possède (). Il s’agit donc bien d’une mesure différente de celle du PIB, d’où les proportions très différentes dans le tableau.
- Enfin, au sein des dépenses allouées à l’Education, il peut y avoir plusieurs cibles. En particulier, l’Education de base regroupe les dépenses pour l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire général.
Par ailleurs, une distinction peut être faite entre deux types de dépenses :
- Les dépenses de fonctionnement (ou courantes) sont le plus souvent des dépenses répétitives correspondant à une consommation immédiate et sans incidence sur le patrimoine. C’est le type de dépenses qui fait l’objet du troisième objectif.
- Les dépenses d’investissement procurent un bien durable qui entre dans le patrimoine, avec pour effet de le conserver, de le renouveler ou de l’accroître.
Les objectifs ont-ils été atteints ?
Les données concernant les deux premiers types d’engagement pris par le gouvernement de la RDC sont disponibles avec une précision à l’ordre de l’année, de 2014 à 2020. Tout d’abord, le PIB :
L’engagement de 2014 à 4.5% est encore loin. Cependant, l’engagement pris en 2018 à Dakar (2.5%) a été atteint en 2020. C’est donc une première étape vers les 4.5%. Notons que cet objectif a dû être revu à la baisse en 2018 pour les raisons suivantes :
- La division par 3 du taux de croissance de 2014 à 2016
- L’économie fragilisée par les variations du coût des matières premières (chute des exports et hausse des imports)
- Des conflits armés localisés
- L’organisation des élections nationales de 2018
Le nouvel objectif de 2018 semble donc avoir été fixer pour compenser cette baisse, et dorénavant l’objectif initial de 2014 est de nouveau envisageable, mais nécessitera plusieurs années avant d’être atteint si la progression continue à cette allure.
Ensuite, les données du budget national :
L’engagement 2007 a commencé par fixer la barre assez haut à 25%. Cet objectif a été revu fortement à la baisse en 2014, se fixant au même montant que le budget de cette même année, objectif immédiatement atteint donc. Après une stagnation à ce niveau, le gouvernement s’est montré plus optimiste en 2018, fixant un nouvel objectif à 23.5%, dépassé dès 2020. La part actuelle de l’éducation dans le budget national, à 24.5%, est très proche des 25% de l’engagement de 2007, on peut donc espérer que cet engagement soit également tenu dès 2021.
De plus, cette part est aussi supérieure aux 20% préconisés par l’ODD4 pour 2030.
Hélas, pour le troisième axe des promesses, la part des dépenses liées à l’éducation dans l’éducation de base, les données semblent incomplètes d’après le rapport. Pourtant, l’éducation de base est supposée être définie en tant que « fruit de l’addition des dépenses de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire général » dans ce rapport, et par la suite des valeurs sont fournies sur l’EPST (Enseignement Primaire, Secondaire et Technique). En particulier, un graphe montre que le Ministère de l’EPST occupe de 64.1 à 76% des dépenses de l’éducation entre 2014 et 2020, avec tendance décroissante (nous verrons pourquoi cela est nécessaire plus bas). Si on peut faire correspondre ceci aux dépenses courantes, et pas seulement à toutes les dépenses, alors on peut considérer que cet engagement est largement rempli.
Cependant, si plusieurs engagements sont respectés (pas tous, certes, mais déjà plus de la moitié), tout l’argent alloué est-il correctement utilisé ? Et si ces chiffres en valeurs relatives (les pourcentages) sont satisfaisants, qu’en est-il des valeurs absolues (les valeurs exactes) ?
Les parts de budget augmentent, mais le budget lui-même augmente-t-il ?
Nous avons vu que jusqu’à 24.5% du budget national de la RDC était alloué en 2020 à l’éducation, proche ou au-dessus des attentes, part qui globalement a augmenté ces dernières années. Toutefois, en valeur absolue, ce budget est loin d’avoir augmenté autant qu’on pourrait s’y attendre. En effet, si le budget global et les recettes des impôts ont augmenté ces dernières années, cette augmentation est très faible par rapport à celle du PIB, comme le montre le tableau ci-dessous (en francs congolais – FC), le rapport impôt/PIB étant fortement décroissant :
Il semblerait donc que l’Etat n’ait pas réussi à récupérer autant de recettes d’impôts qu’il aurait pu avec sa croissance des dernières années, ce qui impacte son budget global négativement, et donc également le budget éducatif. Il est recommandé que ce rapport impôt/PIB soit à 20% selon les normes internationales, la RDC s’en est donc fortement éloignée. Des explications sont fournies par le rapport d’étude que nous synthétisons :
« 1. Les arrangements fiscaux de nombreuses entreprises nationales et des multinationales associées aux généreuses incitations fiscales qui leur sont offertes parfois inutilement ;
- Les déficits organisationnels des administrations fiscales qui ont du mal à élargir l’assiette fiscale et toucher tous les contribuables concernés tant au niveau national, provincial que des entités décentralisées ;
- La propension au développement de l’économie informelle, non encadrée pour canaliser des ressources fiscales et non fiscales ».
Globalement, la corruption et le détournement de fonds grèvent le budget national.
Par ailleurs, l’indexation du franc congolais sur le dollar américain s’est écroulée. Ainsi, entre 2015 et 2020 le budget global exécuté de la RDC est passé de 7586,2 à 9788,5 milliards de FC, mais de 4,7 à 4 milliards de $, comme on le voit sur le graphique ci-dessous :
On voit donc que la valeur en FC du budget suit une tendance croissante, tandis que par rapport au $ elle est décroissante.
Il est ainsi nécessaire de chercher des moyens d’augmenter le budget ainsi que les rendements, et les actions suggérées pour cela sont :
- Un engagement politique fort pour limiter raisonnablement les exonérations fiscales et optimiser avec les niches fiscales ;
- La lutte contre la corruption;
- Les financements innovant/alternatifs, comme un impôt de solidarité ou la restructuration du Fonds de Promotion de l’Education Nationale.
Concentrer le budget sur les secteurs en ayant le plus besoin
En ce qui concerne l’utilisation de ce budget, il est crucial d’en concentrer une partie sur les parts les plus vulnérables de la population afin d’assurer que chacun ait accès à l’éducation. Le rapport mentionne à ce sujet :
- « Les handicapés, les autochtones, les orphelins, les albinos, en plus bien entendu les filles ;
- Les zones ayant connu des conflits armés (l’espace Kivu et l’espace Kasaï), les milieux de vie des autochtones/pygmées. »
Hélas, le budget de l’éducation n’indique pas précisément à quelles populations il applique ses efforts. Mais il semblerait déjà qu’il n’y ait pas d’allocations à destination du public à besoins spécifiques.
En revanche, des infrastructures spécifiques à d’autres groupes apparaissent bien au sein du budget.
Le graphe ci-dessous nous montre que, si le budget total de l’éducation a triplé entre 2017 et 2020, la place des infrastructures sensibles au genre au sein du budget est extrêmement volatile, tandis que celle des infrastructures inclusives reste assez faible, aux alentours de 0.4%. Néanmoins, pour ce dernier type d’infrastructures, cela reste une nouvelle relativement bonne, car cela signifie aussi que son budget a triplé entre 2017 et 2020.
Qui plus est, il semblerait que les investissements sur ces infrastructures (ainsi que tout ce qui est lié à l’équité et l’inclusion) soient réalisés à partir de financements extérieurs. Cela limite la réalisation d’une action soutenue et/ou empêche d’aller jusqu’au bout lors de l’application de réformes dans ce secteur. En effet, si 90% du budget de l’éducation est dédié aux salaires, il apparaît que moins de 0.01% de ce budget interne soit dédié aux réformes.
Par ailleurs, le rapport nous indique que la RDC suit un modèle de dépenses très différent, favorisant largement le Ministère de l’EPST (Enseignement Primaire, Secondaire et Technique) et dans une certaine mesure le Ministère de l’ESU (Enseignement Supérieur et Universitaire) au détriment des autres. Pourtant, idéalement, il faudrait laisser une place à tous les secteurs pour fournir des ressources à chacun. On observe heureusement une tendance de cette répartition à s’équilibrer au cours des dernières années. En particulier, les deux ministères attirant la majorité des fonds de l’éducation sont passés de 100% à 94% du budget entre 2014 et 2018, descendant jusqu’à 85% en 2019.
Les citoyens peuvent aussi aider et surveiller le gouvernement
Enfin, le dernier élément permettant une bonne utilisation du budget est la « Société Civile ».
Ce terme « désigne l’ensemble des associations à caractère non gouvernemental et à but non lucratif qui agissent comme groupes de pression pour influencer les politiques gouvernementales dans un sens favorables aux intérêts de ceux qu’elles représentent. Il s’agit donc de l’auto-organisation de la société, en dehors du ou parallèlement au cadre institutionnel politique, administratif ou commercial. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_civile)
En pratique, dans la RDC, ces organisations permettent d’assurer que les budgets annoncés atteignent soient bien transmis à leurs cibles, tout en effectuant des retours sur le déroulement de ces transferts grâce à leur regard extérieur. Leur apport se fait en 6 étapes :
- Participation à la réunion pédagogique sur le Projet de Loi des Finances
- Suivi du débat général et du vote de recevabilité sur le Projet de Loi de Finances à l’Assemblée nationale
- Atelier d’analyse du Projet de Loi de Finances
- Rédaction du rapport d’analyse du budget de l’éducation
- Transmission du rapport d’analyse à l’Assemblée nationale
- Suivi des recommandations/ note de plaidoyer
Conclusion
Afin d’atteindre l’ODD 4 (Objectif de Développement Durable 4, portant sur l’éducation en 2030), la RDC (République Démocratique du Congo) s’est fixée des objectifs de trois natures. Il s’agit de la part de l’Education :
- dans le PIB
- dans le budget national
- et de la part de l’Education de base dans les dépenses courantes de l’Education
En 2020, l’engagement le plus haut pour ce premier objectif n’est pas atteint, avec 2.5% sur 4.5%.
Le deuxième objectif est pratiquement atteint cependant, à 23.5% sur 25%.
Enfin, les données sur le troisième objectif ne sont pas complètement disponibles.
Mais globalement on observe une amélioration ces dernières années en ce qui concerne ces critères.
Cependant, le budget total n’augmente pas autant qu’il pourrait être souhaitable, voire régresse. Ceci est causé par une dévaluation de la monnaie nationale, ainsi que par une augmentation des impôts qui ne se cale pas sur la croissance du pays. Les raisons sont entre autres la corruption et la mauvaise gestion fiscale et des conflits à répétition à l’Est.
Qui plus est, le budget semble être réparti de façon assez peu équilibrée, bien qu’il y ait eu récemment des avancées notables dans le secteur. Les deux ministères en consommaient auparavant 94% et n’en consomment plus que 85%. Le budget est rendu instable pour la mise en place de réformes, car ce sont les ressources extérieures au pays qui sont utilisées pour ces dernières.
Heureusement, l’intervention des groupes de citoyens en société civile, initié dès 2000, permet d’apporter un regard critique et une aide logistique supplémentaires sur la gestion du budget. La route est encore longue, mais il fallait commencer.
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