Le projet One Laptop Per Child (Un portable par enfant) est né en 2005 d’après une idée de Nicholas Negroponte, appuyé par une équipe du MIT, et financé au départ par des entreprises privées. Le but du projet, non lucratif, est de fournir à chaque enfant un ordinateur portable à moins de 100 $ qu’il puisse utiliser à l’école pour apprendre. Si le concept est simple, son application sur le terrain l’est moins.
L’ordinateur en question (XO) est spécialement conçu pour les enfants des pays en développement. Il est petit, vert, solide, résiste à l’eau et à la poussière, peut se recharger à l’énergie solaire et dispose d’une batterie longue autonomie. Les applications sont développées sur Linux avec une interface ludique à base d’icônes(Sugar), la connexion Internet est possible et l’objet possède à peu près tous les attributs d’un ordinateur portable (port USB, Web Cam…).
Néanmoins ses performances sont assez faibles par rapport aux ordinateurs du « marché » », ce qui lui a valu certaines critiques, et en rend difficile l’usage par un adulte. C’est sans doute voulu, bas les pattes ! Le développement du produit est assuré par une communauté d’informaticiens et de professionnels sur le mode du Wiki. Ce n’est pas un projet informatique, ni industriel, mais éducatif qui vise à ouvrir des « possibilités d’apprentissage » aux enfants. Les enseignants ne semblent pas véritablement impliqués dans la conception du produit et ne sont pas les leaders du projet.
Ainsi, une première remarque s’impose, on ne nous dit pas si l’ordinateur doit venir en compléments de la pédagogie et des supports classiques (manuels, tableau, craie, etc..) ou si il entend s’y substituer. Cela fait dire au Ministre nigérian de l’Education, d’après le site IRIN News :
« A quoi cela sert de lancer le projet Un ordinateur portable par enfant si les enfants n’ont pas de bancs pour s’asseoir et travailler, s’ils n’ont pas d’uniformes pour aller à l’école et s’il n’y a pas d’infrastructures scolaires adéquates. »
Le déploiement du projet dépend de la volonté des autorités gouvernementales qui doivent sans cesse arbitrer entre différents choix d’investissement. Dans le cas du Nigéria, les agissements de certaines sociétés informatiques, qui ont au point des ordis concurrents, ont également été pointés du doigt. La commande a été annulée au Nigeria et l’affaire a été aussi portée devant les tribunaux pour des problèmes de clavier. En réalité, le coût d’achat est proche de 200 $, ce qui est élevé en comparaison avec le coût de scolarisation d’un élève dans un pays du Sud, et relativement proche des objets du commerce, en particuliers les Netbook. Ce coût doit être ramené à 75 $ avec la version XO.3 du produit, prévue en 2012.
Selon les chiffres des Nations Unis, le nombre d’enfants de 5 à 14 ans est de 214 millions en 2010, puis atteindra 267 millions en 2025. A 100 dollars l’ordi, cela nous donne un marché potentiel de plus de 20 milliards de dollars, sans compter les frais de maintenance et de formation des enseignants…
L’Uruguay est à ce jour le seul pays ayant équipé tous les élèves du « petit bidule vert ». Le déploiement actuel n’est pas optimum et les pays africains francophones en particulier ne semblent pas intéressés pour le moment, en dehors du Rwanda et du Sénégal (comme toujours dans le coup des innovations et projets pilote). La mise en place du projet se heurte également à des considérations pratiques tels que l’absence d’électricité, la distance école-domicile (et oui il faut porter l’objet), qui sont bien résumées par le Ministre du Pérou. De plus, la stratégie de communication ne semble pas être très efficace comme en témoigne les powerpoint présentés aux pays lors d’un atelier. Certains pays semblent tout de même en tirer des bénéfices, comme le Rwanda, ce qui est relayé par la presse.
Le projet revêt aussi une dimension inquiétante: imaginons que tous enfants d’un pays soient équipes et connectés à Internet. Qu’adviendrait-il si un despote mettait la main sur les contenus pédagogiques, incitant à la haine, au génocide via les laptop? Ce n’est pas un scénario fantasque, rappelons l’usage des médias de masse dans les pires massacres du XXème siècle, parfois commis par des enfants, avec la radio Mille Collines au Rwanda par exemple, ou la propagande nazie. Rappelons également que lors des coups d’Etat, les bureaux de la télévision sont souvent les premiers lieux stratégiques pris par les mutins. Ce pourrait être la porte ouverte à la propagande d’Etat, à la falsification de l’histoire ou au prosélytisme religieux d’où qu’il vienne. En l’état, rien ne nous invite à nous alarmer, refermons ici la boîte de Pandore, mais il vaut mieux prévenir que guérir.
Ce projet est en quelque sorte une forme d’évangélisation numérique qui vise à révéler les compétences des enfants : le savoir descend du ciel via les petites antennes vertes et transforme ou transcende les élèves. Le savoir ne vient plus d’en face et de l’autorité professorale mais d’une petite boîte magique. C’est un projet révolutionnaire qui peut donc s’attirer des réticences des enseignants, qui ne sont pour la plupart pas formés aux nouvelles technologies dans les pays en développement, malgré les nombreux séminaires et projets d’introduction des TIC, avec le soutien des multinationales. Le sujet intéresse également certaines banques comme BNP Paribas, qui organise un atelier sur la question prochainement.
Tout comme les manuels scolaires, le savoir ou les compétences potentiellement délivrés ou multipliés par l’ordi peuvent être perçus comme concurrençant le travail et les compétences académiques des enseignants qui exercent dans des conditions difficiles. Si le laptop ne se substitue pas aux ressources pédagogiques habituelles, il est un coût matériel et humain supplémentaire, sans qu’on sache s’il permet d’atteindre les rendements scolaires escomptés. Quelle est sa place dans la stratégie pédagogique des enseignants ? Il serait utile de se pencher plus avant sur le calcul de l’utilité marginale du produit, bref du gain réel sur les résultats des élèves, afin de le « vendre » aux autorités politiques.
En somme, ce sont là deux modèles d’école qui semblent être en concurrence : le modèle « martial » avec uniformes, rang par deux, levée du drapeau et parfois châtiments corporels et un modèle d’apprentissage « sur la place d’un village avec d’autres enfants ou sous le baobab », comme le dit Norberto Bottani.
Les chiffres des ordinateurs livrés dans les pays en 2009 sont quelque peu inquiétants et l’initiative mérite d’être appuyée. Il vous suffit de cliquer à droite sur la bannière OLPC.
Je tiens à remercier Wayne King et Dr. Ralph Dubienski qui m’ont permis de manipuler un XO lors d’une mission en Ethiopie. En retour, un coup de pub pour leur ONG HopEthiopa.
Pour en savoir plus et connaître quelques réactions sur cet outil, visitez ce blog.
D’autres innovations technologiques sont proposées comme le Tableau Blanc Interactif, voir une démonstration ou visitez le site du Fonds Mondial de Solidarité Numérique.
Je partage les appréciations pour le petit bidule vert. Il s’agit d’un produit vraiment intéressant et de qualité, original aussi, plein de nouveautés. Ceci dit j’aimerais faire trois remarques:
– la production et la diffusion de l’ordinateur XO ont été freinées par des luttes internes entre gros bras de l’industrie informatique. Les grosses carrosseries n’ont pas collaboré entre elles ce qui explique en partie les coûts du modèle actuel de XO bien supérieurs au 100$ annoncés au début. On peut citer ici l’attitude de Microsoft et de la Bill et Belinda Gates Foundation qui au début ont boïcotté le projet, en tenant d’une part un discours humanitaire, mais d’autre part en agissant de toute autre manière :
– la fondation qui gère l’opération OLPC et commercialise l’ordinateur OX négocie uniquement avec les gouvernements. C’est son choix, calculé, réfléchi, avec ses avantages et ses désavantages. En tout cas pour pénétrer dans les systèmes d’enseignement publics il faut passer par les gouvernements. Cette stratégie sert aussi à neutraliser les angoisses de l’appareil scolaire qui ne sait pas comment faire face au défi numérique, mais elle ralentit aussi l’opération et l’expoe à des chantages multiples;
– la libéralisation de l’accès à la connaissance et aux experts rendue possible par Internet bouleverse les règles de fonctionnement de l’école et ouvre des perspectives de scolarisation alternatives qui sont jusqu’ici refoulées dans les prises de positions de presque tous les principaux acteurs de la politique de l’éducation. Le chercheur indien Sugata Mitra a démontré que l’accès à INTERNET enclenche des processus d’auto-organisation et d’apprentissage dans toutes les couches de la population et dans les zones rurales les plus reculées. De ce fait, il n’est pas étonnant qu’on essaiera d’étouffer avec tous les moyens le libre accès à la connaissance et donc l’usage des laptop en éducation;
– enfin, l’attribution d’un portable (un laptop) à chaque élève n’est pas seulement un défi pour la scolarisation dans les pays du SUD mais aussi dans les pays du NORD. Dans l’hémisphère Nord on a presque atteint la saturation de la diffusion des ordi dans les ménages. En tout cas on y arrivera d’ici 2020. A ce moment-là il y aura autant d’ordi que des TV ou des portables ou des frigo dans les ménages. L’école ne pourra plus ignorer cet environnement dans lequel baignent et grandissent les élèves. Par ailleurs,l’évolution technologique n’est pas encore terminée et on ne saura pas comment seront les ordi dans dix ans. A cet égard il suffit de suivre l’évolution des écrans de TV ou des appareils photo ou des téléphones portables. Donc, on est immergé dans un contexte en pleine évolution qui prend à la gorge l’école et les enseignants. De ce fait, il est d’un côté indispensable que dans le NORD on développe une recherche scientifique sur vaste échelle des interactions entre TIC et scolarisation et dans le SUD qu’on cesse de proposer des plans de développement de l’école sur la base d’un modèle qui est mourant ou qui est déjà mort.
Merci pour les éclairages complémentaires très utiles !
Merci pour la présentation et les commentaires sur le projet One Laptop per Child… (j’avais laissé de coté l’idée au stade du laptop à manivelle..)
Concept intéressant dans le paysage des TIC mais qui peut s’avérer être une bombe à retardement tant les investissements sont lourds et risqués. Encore une fois, le secteur de l’éducation attire toutes sortes d’idées lucratives farfelues. Il est vrai que cet outil devrait inévitablement être testé dans les contextes des pays en voie développement avant de lancer des achats nationaux. Certes les pays Africains ont besoin de rattraper leur retard (encore une fracture numérique) en matière de nouvelles technologies à l’école mais il faut sans doute rester les pieds sur terre et déjà régler certains problèmes prioritaires.
Cette tendance novatrice me rappelle le projet d’éducation télévisuelle (financé principalement par la Banque Mondiale, l’Unesco, la Coopération canadienne et la Coopération française) mené en Côté d’Ivoire dans les années 70.
« Un animateur, appelé « télémaitre », était chargé de programmer des émissions d’éducation pré-enregistrées sur des téléviseurs installés dans les villages pour pallier le manque d’instituteurs et de professeurs. Il avait particulièrement été développé dans le nord du pays en raison du manque criant d’instituteurs dans la région. Ce projet s’est traduit par un échec et a été abandonné en 1981 »Rapport UNESCO sur l’éducation télévisuelle – Mlle Jeanne Deunff – 1974
Le maître laissait de coté sa craie et son tableau pour revêtir le costume d’animateur – organisateur. D’après les dires d’un ancien AT en poste sur le projet (un ancien professeur de ma faculté du nom Frans Lenglet), le programme a été victime de son succès. La tv avait réussi à s’implanter dans la majorité des écoles et le concept fonctionnait. Le Ministère a dû se plier à la gronde des enseignants tant leurs rôles étaient remis en causes.
En gardant quelques distances par rapport aux commentaires de l’époque, voila ce qu’on pouvait entendre :
« Ce qui frappe dès l’abord, c’est l’extraordinaire spontanéité des classes télévisuelles. Au stade de l’exploitation, la classe devient extrêmement animée, vivante, jusqu’à en être secouée par des vagues d’enthousiasme, ou de réprobation »
Malheureusement, à ma connaissance (quelqu’un sait ?) aucune évaluation du niveau des apprentissages a été menée pour mesurer l’impact réel d’un tel « virage pédagogique » (quelle audace pour les années 70) sur la progression des élèves.
Vu les conditions d’enseignement actuelles (effectifs des classes) le concept est dépassé mais mérite qu’on s’attarde dessus dans le débat des modes d’apprentissage alternatifs. En ce qui concerne le projet du « bidule vert » cela à au moins le mérite de poser le débat sur les modes d’apprentissage alternatifs, enfin un sujet porteur pour nos brainstorming !
Merci pour le complément d’infos sur les émissions de télé. Il y a aussi le tableau blanc interactif qui est soutenu par la France, ca coûte moins cher que les laptop.
Reste à voir effectivement l’effet sur les apprentissages.
On peut citer aussi les émissions radios éducatives, un temps soutenues par la Francophonie.
Ce serait utile d’en savoir plus là dessus.
La semaine prochaine, je vais participer à un atelier organisé par BNP Paribas sur One Laptop per Child, afin d’avoir le point de vue du secteur privé. Ce serait également l’objet d’un post…
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