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Afrique Francophone et Asie “francophone” : même combat ?

Voici un portrait comparatif de la dynamique de scolarisation dans les pays d’Afrique francophone et d’Asie « francophone » (Cambodge, Laos et Vietnam).

Le terme « Asie francophone » est un abus de langage car la proportion de la population parlant le français est faible et ce n’est pas la langue officielle.

Le terme « Afrique francophone » est quant à lui largement employé car le français y est la langue officielle, garanti par les constitutions nationales, même si en Afrique la population, dans la vie de tous les jours, « n’abuse » pas toujours de la langue française…

La Francophonie a mis au point le projet Valofrase, qui soutient l’enseignement du français en Asie à travers des classes bilingues. Jusqu’à présent, les politiques de soutien à la langue française restent encore essentiellement centrées sur l’Afrique. Pourtant, sur les plans démographiques, économiques et de diversité culturelle et linguistique, les deux espaces géopolitiques se ressemblent. Qu’en-est il de la dynamique de scolarisation ? En Asie du Sud Est, le passé socialiste et l’influence coloniale d’où qu’elle vienne auraient-ils été balayés par la mondialisation et l’harmonisation des politiques éducatives ? Les différences culturelles entre les deux continents sont-elles à même d’influencer les trajectoires ?

Les chiffres cités sont extraits du rapport de suivi de l’Education Pour Tous de l’UNESCO 2008 ou de l’Institut de Statistique de l’UNESCO et concernent essentiellement l’enseignement primaire.

Tous comme les pays « frères » d’Afrique, les pays d’Asie francophone possèdent une diversité culturelle et linguistique importante. La géographie rend l’accès difficile à certaines régions sur les deux continents. L’Asie du Sud Est a été le terrain de luttes d’influence, entre la Chine et les USA en particulier, et de guerres parmi les plus meurtrières de la seconde moitié du XXème siècle. Des régions entières ont été longtemps polluées par les mines anti personnelles, les séquelles des guerres et des génocides y sont encore visibles dans les chairs et dans les esprits.

En termes démographiques, le taux de croissance de la population de l’Asie francophone est légèrement inférieur à celui de l’Afrique francophone, notamment au Vietnam (1,3%), où l’espérance de vie est aussi plus importante (73 ans à la naissance). Sur le plan strictement économique, les deux « sphères géopolitiques » sont comparables en termes de richesse par habitant, bien que les taux de croissance économique de la zone Asie Francophone soient en moyenne légèrement supérieurs à ceux de l’Afrique mais n’égalent pas ceux de la Chine et d’autres pays d’Asie. Ces pays ont quelque peu soufferts d’une crise économique (1997), qui a pu ralentir leurs efforts en faveur de la scolarisation primaire universelle. En Afrique, les politiques d’ajustement structurel ont durant la même période porté un coup d’arrêt au recrutement dans la fonction publique et provoqué une pénurie d’enseignants.

La majorité de la population d’Asie francophone est alphabétisée (plus de 70%), ce qui n’est pas le cas en Afrique. Les pays d’Asie francophone reçoivent une aide par habitant proche de celle des pays d’Afrique francophone, soit 22 US$ par habitant pour le Vietnam, 35 US$ pour le Cambodge et 46 US$ pour le Laos. En Afrique francophone, cet indicateur varie de 28 US$ pour le Gabon à 92 US$ pour le Sénégal, selon l’UNESCO (2008). En matière d’éducation de base, les efforts internationaux ont aussi bénéficié à l’Asie francophone depuis 2000 mais restent encore en deçà de ceux de l’Afrique, si l’on compare les aides par enfant en âge d’être scolarisés au primaire. La part du revenu national dévolue aux dépenses pour l’éducation a plus que doublé entre 1999 et 2005 au Cambodge et au Laos (environ 2%) mais restent très en deçà des niveaux observés en Afrique francophone.

Les taux de scolarisation ont largement cru et le redoublement diminue : au Cambodge, ce taux a largement baissé passant de 25 à 14% entre 1999 et 2005. Ces taux de redoublement élevés ne sont pas rencontrés ailleurs en Asie du Sud Est et Pacifique, à l’exception de Tuvalu (10,7%) et sont une « spécificité francophone ». On note aussi un plus faible taux d’abandon en Asie Francophone qu’en Afrique, même si celui-ci reste élevé notamment dans les premières années d’enseignement (près de 10%). Contrairement à l’Afrique francophone, où l’évolution du taux brut de scolarisation est en partie due à une participation accrue du secteur privé, en Asie francophone, ce résultat est le pur fruit des politiques publiques et de la demande sociale. En effet, l’offre éducative reste majoritairement publique en  Asie francophone au primaire (plus de 98%), ce qui est sans doute un héritage de l’idéologie socialiste.

Le taux d’encadrement ou ratio élèves par enseignant a subi des évolutions contrastées entre les trois pays d’Asie étudiés. Ce ratio est passé de 33 élèves par enseignant en 1991 à 53 en 2005 au Cambodge; autant dire que les conditions d’enseignement se sont dégradées, mais il s’est maintenu au Laos et a baissé au Vietnam. Tout comme en Afrique, le corps enseignant s’est féminisé et les filles ont davantage accès à l’éducation. Bien qu’il s’agisse de définitions nationales interdisant les comparaisons entre pays, la part des enseignants formés est plus importante en 2005 qu’en 1999 et dépasse 80%. On peut faire l’hypothèse d’une évolution différente entre les deux continents en matière de recrutement et de gestion des enseignants. En effet, en Afrique la proportion d’enseignants sans formation initiale est très élevée et les conditions de recrutement ont été globalement revues à la baisse.

Les éléments ci-dessous sont un résumé des synthèses publiées par l’UNESCO, dans son rapport de suivi de l’EPT 2008 qui nous donnent une idée des réformes éducatives en cours en Asie francophone.

Le Cambodge a mis au point des plans stratégiques 2000-2005 et 2006-2010, orienté vers une approche sectorielle et s’appuyant sur la décentralisation et la mise à disposition de budgets au niveau des écoles. Pour l’augmentation des taux de scolarisation, les stratégies reposent sur la  gestion des classes ou groupes pédagogiques, à savoir le multigrade et le double flux. Pour la scolarisation des filles, des actions de sensibilisation ont été menées via les ONG. Les curricula prennent en compte les questions d’égalité des sexes, les compétences de vie courante et le VIH/Sida. Des programmes pilotes bilingues ont été mis en place dans les zones où vivent les minorités ethniques ainsi que des mesures incitatives pour l’affectation des enseignants dans les zones rurales et reculées. La promotion automatique (interdiction du redoublement) a été instituée mais n’est pas encore totalement appliquée, à en croire les statistiques.

Au Laos, une loi votée en 2000 a institué la gratuité de l’éducation de base. Les questions des minorités ethniques ont été placées sous l’autorité de l’assemblée nationale. Depuis 2004, le développement de l’éducation se base en partie sur la participation des communautés. Les curricula ont été révisés depuis 2001 ainsi que la formation initiale et continue des enseignants, notamment des contractuels.

Au Vietnam, la stratégie est regroupée dans un plan EPT 2003-2015 qui repose sur la décentralisation des compétences et la mobilisation « vigoureuse » des enseignants et du corps social. A de nombreux égards, elle est proche de celle du Cambodge et repose sur des stratégies sur la gestion des classes, à savoir le multigrade et le double flux. Des programmes pilotes bilingues ont été mis en place dans les zones où vivent les minorités ethniques ainsi que des mesures incitatives pour l’affectation des enseignants dans les zones rurales. Un système global d’évaluation a été implanté au niveau des écoles. La dotation en manuels scolaires a été améliorée grâce à l’essor de l’édition privée.

Beaucoup de lecteurs de l’Afrique francophone se reconnaîtront dans ce portrait des mesures en faveur de l’Education pour Tous en Asie du Sud Est. A bien des égards, les indicateurs de scolarisation se rapprochent de ceux de l’Afrique dans leurs évolutions, sous l’impulsion des bailleurs de fonds semble t-il. Ces pays partagent donc une même dynamique des systèmes éducatifs, en notant la quasi inexistence du sous secteur éducatif privé en Asie francophone. Ce sont là des considérations d’ordre macro, sur le plan du fonctionnement des classes et de la pédagogie, on est moins outillés pour faire des comparaisons. De brèves visites dans des écoles africaines et asiatiques révèlent des fonctionnements différents, notamment par rapport aux questions de discipline, et du climat général qui règne dans les établissements. Les deux photos ci-dessus en donnent un aperçu.

Le défi est maintenant de scolariser les enfants les plus pauvres ou issus des minorités ethniques et d’atteindre la parité des sexes, tout en maintenant la qualité, dans un contexte de rareté des ressources en faveur de l’éducation. Les pays d’Asie ont un avantage par rapport à l’Afrique, le fait d’avoir une langue d’enseignement (le khmer, le lao, le vietnamien) qui est parlée par une majorité de la population. Par contre, en Asie, la question ethnique est peut être encore plus compliquée. Elle est parfois directement reliée à la participation aux conflits des années 60-70, comme en témoigne le cas des Hmong.

Les disparités se retrouvent dans l’accès à l’éducation :

Au Cambodge, dans les provinces de Mondol Kiri et Rattanak Kiri, seule un tiers de la population âgée de 17 à 22 ans a suivi plus de quatre années d’éducation, selon l’UNESCO (2010) :

“In Cambodia’s most disadvantaged provinces, Mondol Kiri and Rattanak Kiri, large concentrations of hill tribes live in remote areas with high levels of poverty. Fewer than one in three residents aged 17 to 22 have more than four years of education (Figure 3.6). These outcomes reflect the combined effects of poverty, isolation, discrimination and cultural practices, as well as policy failures in education.”

Le journal francophone Cambodge Soir nous donne un éclairage complémentaire :

“Pour toutes les ethnies non khmérophones, les mêmes problèmes qu’au Rattanak Kiri se posent : peu d’accès à la scolarité (assurée en langue khmère), peu de structures sanitaires, et des problèmes de possession du sol. Ici aussi, le développement économique, au profit de sociétés étrangères ou téléguidées depuis Phnom Penh, n’est pas du tout un gage de survie de ces cultures « archaïques ». Dans ces provinces, celles-ci sont et perçues comme dépassées par les Khmers. D’ailleurs, le terme de « Phnong », à l’adresse d’un interlocuteur, est péjoratif – l’équivalent de « paysan » en France.”

L’histoire ne nous dit pas si les Phnong sont traités de “paysans” parce qu’ils n’ont jamais eu d’éducation ou bien s’ils en ont été dépourvus parce qu’ils étaient considérés comme des “paysans”. C’est la sempiternelle question de l’oeuf et de la poule !

Au Vietnam, la pratique du Vietnamien, langue officielle,  est un facteur clé pour l’apprentissage de la lecture, et les disparités s’expriment donc au niveau de l’accès mais aussi des apprentissages :

“Language, ethnicity and regional factors can combine to produce complex patterns of disadvantage. In Viet Nam, a large-scale survey of grade 5 students in 2001 found strong disparities in achievement among provinces, with school location and students’ socio-economic background and ethnicity also having a strong influence (World Bank, 2004). Ethnic minority students who spoke no Vietnamese at home were much less likely to read ‘independently’ than students whose home language was Vietnamese.”

Plus d’infos sur le Vietnam, dans la ligne de mire des organisations internationales et des agences de développement : lire un papier de l’UNESCO ou de la Banque Mondiale.

Le Vietnam et le Laos ont introduit une partie locale dans le curricula, environ 20% du temps d’enseignement. C’est une solution parmi d’autres.

L’Afrique et l’Asie « francophones » font face aux mêmes défis. Les pays d’Asie ne semblent pas avoir une spécificité forte malgré leur passé communiste. Néanmoins, le secteur privé est très peu présent, du moins dans l’enseignement primaire, et les modes d’évaluation sont très particuliers, par exemple au Vietnam (importance du comportement, contrôle par les pairs …). Les orientations politiques passées, l’idéologie socialiste, sont-elles vraiment à même d’amener ces pays sur une trajectoire divergente de celle suivie par l’Afrique?  En quoi et comment, les organisations internationales et les forces du marché vont concourir à modeler les systèmes éducatifs ? Les pays d’Afrique et d’Asie vont-ils puiser dans leurs cultures millénaires, qui ont édifié mais aussi parfois détruit des empires, pour relever les défis qui les attendent ?

Un suivi plus régulier des dynamiques de scolarisation entre les espaces géopolitiques apparaît une nécessité tant la comparaison semble pertinente, pour peu qu’on prenne en compte les héritages politiques et culturels qui ont façonné les systèmes éducatifs.

Crédit photos : Ecole publique de Quinhamel, Guinée Bissau, Ecole publique de Siem Reap, Cambodge, prises lors de missions.