Mobilisez-Vous ! Plaidoyer Pour Un Nouveau Système de Financement de l’Éducation Face Aux Coupes et Stagnations Budgétaires

Photo par Zach Wear.

Par Jacques Taty, avec l’aide de Ben Wandivinit

Introduction

Le monde est confronté à un ensemble de crises sans précédent. La crise financière mondiale qui se profile ne fait qu’aggraver les problèmes auxquels nous sommes confrontés et qui ont été causés par la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et la menace du changement climatique. Dans ce contexte, le secteur de l’éducation est confronté à ses propres défis :

  • des coupes budgétaires ;
  • une pénurie d’enseignants;
  • le manque d’attraction du métier d’enseignant.

Il n’est possible de s’attaquer à ces problèmes qu’en mobilisant les gens pour qu’ils fassent pression en faveur d’un changement fondamental. Ils doivent forcer leurs gouvernements respectifs à abandonner les politiques actuelles. Ils doivent les pousser à réinventer le système pour qu’ils investissent dans le capital humain en vue d’un changement global durable.

Un monde confronté aux  multiples crises

Les pays du monde entier sont confrontés à des nombreux défis. Face à la pandémie du COVID-19, de la guerre en Ukraine et le changement climatique, les économies mondiales sont touchées en plein fouet par un mélange de crises sans précèdent – c’est un monde brisé.

La crise du COVID-19 a eu un impact marqué sur le secteur de l’éducation à l’échelle mondiale. Photo par Daniel Schludi.

En raison de ces multiples crises, la croissance économique mondiale est en déclin. Ce déclin réduit à néant les efforts déployés pour éradiquer la pauvreté et atteindre d’autres objectifs de développement, comme le souligne un rapport récent de 2022 de la Banque mondiale.

Le besoin de solutions appropriées

De l’Asie, passant par l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, aucun pays n’est épargné. Par conséquent, les voix se sont élevées de partout pour demander aux dirigeants du monde de trouver des solutions. Ceci afin qu’on ne connaisse pas une nouvelle triste période mondiale (comme la crise économique de 1929, la seconde guerre mondiale, le choc pétrolier en 1973, ou encore la crise financière en 2008).

Le secteur de l’éducation fortement touché par cette crise

Dans le contexte de ces différentes crises, et surtout de la récente pandémie du COVID-19, le secteur de l’éducation a souffert, et continue à payer un lourd tribut.

Ainsi, sur le site de l’UNESCO, on peut lire clairement que la pandémie constitue la crise la plus grave qui ait jamais impacté l’intégralité des systèmes éducatifs mondiaux.

Fermetures d’écoles – la seule menace ?

Dès le début, des mesures drastiques ont été prises pour arrêter la propagation du virus : la fermeture d’écoles et l’arrêt des apprentissages des apprenants a eu des impacts directs sur la santé, l’éducation et la protection des adolescents.

La pandémie avait entraîné la fermeture d’écoles dans le monde entier, privant des millions d’enfants de leur droit à l’éducation. Photo par Ivan Aleksic.

Mais les infortunes du secteur de l’éducation ne s’arrêtent pas là. Actuellement, plusieurs économies (majoritairement des pays du Sud) proposent (ou se voient forcées à) des coupes budgétaires dans ce domaine.

Baisse et austérité budgétaire de l’éducation

Les coupes et stagnations budgétaires restent deux grandes pilules que le secteur de l’éducation devait avaler.

Ainsi, au niveau de l’UE par exemple, la part des dépenses d’éducation dans les dépenses totales a relativement stagné entre 9,2 % des dépenses totales en 1995 et 10,1 % (en 2019, au plus haut). Or, dans beaucoup des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, les différents gouvernements ont revu leur budget 2021 en baisse.

Un secteur à coûts élevés mais nécessaires

Si la crise du COVID-19 peut expliquer en partie la réticence des gouvernements à augmenter les dépenses d’éducation, il existe une autre raison souvent citée : l’éducation engloutit des sommes énormes.

  1. Comme la plupart des enseignants et du personnel de soutien à l’éducation sont des fonctionnaires, les frais de personnel sont souvent plus élevés que dans n’importe quel autre ministère ;
  2. Il est nécessaire d‘investir en permanence dans l’entretien et le développement de nouvelles infrastructures. L’expansion de l’infrastructure numérique en tant que solution post-Covid appropriée pour la poursuite de l’apprentissage en est un exemple.

Paradoxe entre les coupes budgétaires et l’achèvement des ODD4

L’adoption et la mise en application des ODD4 d’ici 2030 par les Nations Unies devraient être une occasion pour les différents pays d’augmenter sensiblement leurs financements de leurs secteurs de l’éducation.

Or, comment atteindre les différentes cibles alors qu’un bon nombre des gouvernements décident de comprimer, de réduire ou de plafonner le budget dans le secteur de l’éducation ?

D’une part l’on dit il faut atteindre les objectifs et d’autre part on admet qu’à cause de la crise il faut réduire le budget du secteur. Par ailleurs, on constate par exemple que le budget de la défense de certains pays ne baisse pas – au contraire, ils ne semblent qu’accroitre.[1]

Un décalage entre les besoins du secteur et les priorités du gouvernement

L’idée que la réduction des dépenses consacrées aux enseignants n’affectera pas, voire améliorera, les résultats de l’éducation n’a aucun sens pour quiconque travaille dans le secteur de l’éducation.

Rien n’est plus important pour un apprentissage de qualité que des enseignants de qualité. C’est pourquoi les salaires des enseignants représentent souvent 90 % du budget de l’éducation dans le monde. Les enseignants sont les dépenses sociales nécessaires à l’éducation. Le témoignage ci-dessous en dit beaucoup.[2]

Cas d’étude – République Démocratique du Congo

Ce témoignage sur les faibles salaires traduit une réalité qui se généralise surtout dans les pays en voie de développement. Toujours en République Démocratique du Congo, la Banque Mondiale a plafonné l’augmentation des salaires des enseignants seulement à 5%. Cela a été fait sans mesurer l’impact et les conséquences que cela aura sur la qualité du système éducatif.

Quand les enseignants ne peuvent pas se donner avec cœur à leur travail, comment former les ressources humaines de qualité ?

Réductions budgétaires et inégalités entre les hommes et les femmes – un effet secondaire moins remarqué ?

La stagnation ou diminution du salaire dans le secteur peut aussi être par mégarde source d’inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes.

Les coupes budgétaires dans le domaine de l’éducation risquent d’accroître encore les inégalités de revenus entre les hommes et les femmes. Photo par Tim Mossholder.

En effet, en coupant les budgets de l’éducation (domaine qui, généralement, emploie plus de femmes) les financements sont souvent réorientés vers le domaine d’infrastructures telles que les routes, l’énergie, la télécommunication, l’eau. Soit, des secteurs dans lesquels les hommes dominent.

L’enseignement devient un métier de moins en moins attrayant

Une autre conséquence des coupes budgétaires, c’est la pénurie d’enseignants qui commence à se faire sentir. En effet, il apparait que le métier d’enseignant n’est plus attrayant et n’est classé que comme métier de transition par certains.[3]

Face à ces problématiques dans le secteur éducatif quelle(s) alternative(s) y a-t-il ?

Abandon de la politique de plafonnement de budget et de coupe budgétaire

D’après le rapport publié en 2016 par l’UIS, il faudrait au moins près de 69 millions d’enseignants avant 2030 pour atteindre les objectifs du développement durable en matière d’éducation.

Pourtant, dans beaucoup de pays on remarque que les enseignants actuellement en poste sont butés à de bas salaires et à des conditions de travail qui se détériorent. Évidemment, ces conditions affectent directement le statut de la profession.

L’adéquation entre d’une part de bas salaire et d’autre part la pénurie d’enseignants résulte entre-autres de décennies de compressions des dépenses publiques dans les pays du sud, engendrées plus directement par les réductions imposées de la masse salariale du secteur public.

Des idéologies néolibérales derrière les défis du secteur éducatif

Qu’elles soient imposées par le Fonds Monétaire International (FMI) ou par les ministères des finances, les réductions et les gels de la masse salariale du secteur public sont devenus un élément central des politiques d’austérité imposées aux pays du sud.

Les enseignants constituent généralement le poste de dépenses au titre des salaires le plus important du secteur public. Les réductions de la masse salariale globale ont donc un impact considérable sur les enseignants, puisqu’elles font baisser leur salaire et bloquent les nouveaux recrutements.

L’une des conclusions les plus frappantes de cette politique de coupe budgétaire est que la base de raisonnement n’est pas clairement établi.

Mobilisons-nous pour l’éducation face à un monde confronté par les différentes crises

Il revient à chaque génération de se mobiliser pour l’éducation et définir les compétences et connaissances indispensables à transmettre pour relever les défis de son époque. La nôtre ne fait pas exception.

Face aux défis mentionnés plus haut et d’autres, il faut aujourd’hui se mobiliser pour l’éducation, « l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour transformer le monde », selon les mots de Nelson Mandela.

<<Education is the most powerful weapon which you can use to change the world>>, déclaré par Nelson Mandela lors d’un discours à la Madison Park High School de Boston (États-Unis) le 23 juin 1990. Photo par John Paul Henri.

Quelques suggestions

Pour ce, il faudrait que chaque gouvernement fixe et mette en œuvre des objectifs ambitieux en matière de réformes fiscales progressives. Cela pourrait se faire, par exemple, en augmentant progressivement le ratio impôt/PIB d’au moins 5 % d’ici à 2030, notamment sur la fortune et les sociétés.

Il faut également agir pour soutenir des programmes plus ambitieux d’annulation et de rééchelonnement de la dette. Ceci aiderait les gouvernements à restructurer leurs dettes afin qu’ils puissent rendre prioritaires les investissements dans des services publics de qualité.

Les gouvernements devraient activement se fixer des objectifs ambitieux pour augmenter la masse salariale du secteur public d’année en année. Ils devraient redynamiser massivement les services publics après des décennies de déclin, tout en se basant sur des références internationales pour guider les investissements.

Pour parvenir à ce changement de système, nous devons soutenir les mobilisations des administrations nationales qui condamnent l’austérité et promeuvent enfin des alternatives dans le secteur public.

[1] Un phénomène compréhensible ces derniers temps, en particulier dans les pays du Nord, dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine.

[2] Propos recueillis par la Fédération Nationale des Enseignants et éducateurs sociaux du Congo (FENECO/UNTC). Syndicat des enseignants en RDC.

[3] Idem (voir [2]).

This Post Has 2 Comments

  1. Chadia Mhirsi

    Bravo pour cette belle mise en page qui améliore grandement la lisibilité de l’article.
    Un petit bémol concernant la citation de Nelson Mandela qui a été quelque peu “changée”.

    1. wabenediv
      wabenediv

      Merci pour votre commentaire – La traduction de la citation de Mandela a été quelque peu affinée et nous avons également fourni la citation originale en anglais pour plus de clarté.

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