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Une administratrice du test en plein travail

PRESENTATION DES RESULTATS DE L’EVALUATION DES ACQUIS SCOLAIRES EGRA 2019 DANS LES ECOLES CAMEROUNAISES

Le rapport complet EGRA 2019 est disponible ENQUETE EGRA CAM 2019.

Depuis 2016, le Cameroun s’est doté d’une Unité des Acquis Scolaires (UAS), avec pour but d’améliorer la qualité de l’éducation au primaire et au secondaire. Cette unité est appuyée par la Banque mondiale (BM) à travers autrefois le Programme d’Amélioration de l’Equité et de la Qualité de l’Education (PAEQUE), puis actuellement le Programme d’Appui à la Réforme de l’Education au Cameroun(PAREC). La première évaluation des acquis de type Programme d’Analyse des Systèmes Educatifs de la Conférence des Ministres des Etats et Gouvernements de la Francophonie (CONFEMEN) (PASEC) de l’UAS a été effectuée en 2016 et la plus récente de type EGRA en 2019.

Plus souvent connue sous le nom d’Early Grade Reading Assesment (EGRA), cette évaluation a pour caractéristiques d’évaluer les compétences de base des élèves en lecture dans les premières annéesau primaire. C’est un test individuel de lecture à haute voix avec des questions de compréhension d’un texte. L’équipe de l’UAS, avec pour chef Jules KWEKE était encadrée par Pierre Varly, consultant international, expert en évaluation des acquis scolaires. Nous vous présentons d’abord dans ce premier article, les résultats de cette évaluation en langue d’enseignement (français/anglais) puis nous voulons nous interroger sur l’impact et les enjeux que ce type d’évaluation peut avoir sur la qualité des apprentissages et le pilotage des systèmes éducatifs en Afrique.

L’équipe d’évaluation et la directrice de la planification

Méthodologie

8 régions sur 10 ont été couvertes, à l’exception des deux régions du Nord-Ouest et du Sud- Ouest en proie à l’insécurité ambiante. Outre les questionnaires contextuels adressés aux directeurs d’écoles et enseignants, l’UAS a enregistré des vidéos in vivo des prestations des enseignants pour analyser les pratiques de classe.

La base de sondage a porté sur l’ensemble des écoles primaires publiques du Cameroun à l’exception de celles des régions du Sud-Ouest et du Nord-ouest exclues pour des raisons sécuritaires. Pour le sous-système Anglophone, le sondage s’est basé sur 2 276 écoles publiques et sur 13 438 pour le sous-système Francophone. Compte tenu des standards, un échantillon de 40 écoles a été retenu par sous-système.

Pour le sous-système Anglophone, n’ont été retenues que les écoles publiques et communautaires qui sont la cible des interventions du PAEQUE et ayant au moins un effectif de 10 élèves au moins. Les détails sur l’échantillonnage sont contenus dans le rapport.

Cette évaluation a concerné les élèves des Cours Préparatoires, Class 2 (CP/CL2), et ceux des Cours élémentaires 2, Class 4 (CE2/CL4), le système éducatif camerounais étant bilingue avec deux sous-systèmes, un francophone et l’autre anglophone .Voici les six tâches sur lesquelles les élèves ont été interrogées.

Contenu des tests

TÂCHE CARACTERISTIQUES OBSERVATIONS
1 Lecture des sons/noms des lettres Minutée Les tâches minutées permettent de vérifier la maîtrise et la précision dans l’activité de lecture ou de compréhension en un temps précis.
2 Lecture des mots familiers isolés Minutée
3 Lecture des mots inventés Minutée
4 Lecture et réponse aux questions articulées sur le texte lu Minutée
5 Compréhension de texte Non minutée
6 Compréhension à l’audition Non minutée

Résultats

Voici les résultats moyens.

Tableau des résultats

  Sous système anglophone Sous-système francophone
1 les élèves ont une vitesse moyenne générale de lecture de 25 sons de lettres par minute avec 10 % de zéro score; les élèves ont une vitesse moyenne de 23 noms de lettres par minute avec 8 % de zéro score;
2 les élèves ont une vitesse  moyenne de lecture de 6 mots  familiers isolés   par minute avec près de 54 % de zéro score ; les élèves ont une vitesse  moyenne de lecture correcte de 8 mots  familiers isolés   par minute avec  de 42 % de zéro score ;
3 les élèves ont une vitesse moyenne de lecture de 8 mots inventés isolés par minute avec près de 45 % de zéro score; les élèves ont une vitesse  moyenne de lecture correcte de 8 mots inventés isolés par minute avec  de 42 % de zéro score ;
4 les élèves ont une vitesse  moyenne de 8 mots corrects lus par minute à la lecture du texte de avec près de 78 % de zéro scores;

 

les élèves ont une vitesse  moyenne de 8 mots corrects lus par minute à la lecture du texte avec près de 78 % de zéro scores;

 

5 les élèves ont obtenu une moyenne de 26% de réponses correctes aux questions de compréhension de texte avec près de 49 % de score zéro ; les élèves ont obtenu une moyenne de 36 % de réponses correctes aux questions de compréhension de texte avec près de 30 % de score zéro;
6 les élèves ont obtenus en moyenne un score de 26% de réponses correctes aux questions de compréhension à l’audition avec 48 % de zéro score. les élèves ont obtenus en moyenne un score de 36% de  réponses correctes s aux questions de compréhension à l’audition avec 30 % de zéro score.

 

Analyses

Ces résultats convoquent vous vous en doutez bien, des analyses, commentaires et recommandations fortes à l’endroit des autorités en charge de l’éducation, des collectivités décentralisées, des parents et éducateurs, mais aussi des différents partenaires de l’éducation.

Ces résultats démontrent à suffisance qu’il  y a une crise d’apprentissage grave, d’année en année  en lecture-écriture dans tous les pays d’Afrique subsaharienne. Au regard des évaluations SOFRECO 2012 au Cameroun, de PASEC 2014 et de UAS 2016, ces résultats attestent et confirment la réalité et la persistance de cette crise. Les résultats sont aussi très proches entre les deux sous-systèmes qui connaissent presque les mêmes difficultés à quelques variantes près.

Une administratrice du test en plein travail

Ces résultats interpellent tous les pays d’Afrique francophone à se doter des équipes nationales d’évaluation comme l’ont déjà fait le Sénégal et le Cameroun. L’appréciation de ces résultats montre des résultats des acquis scolaires médiocres, avec des niveaux bas, des inégalités profondes  (des écarts criards entre l’école des villes et celle des zones rurales, entre filles et garçons, entre enfants de petites classes sociales et ceux de classes sociales élevées et moyennes), des progrès lents comme l’indique le « faire du surplace » des zones d’éducation prioritaires (ZEP) au Cameroun depuis l’indépendance en 1960.

Le Document de Stratégie du Secteur de l’Education et de la Formation (DSCE 1013-2020) mentionnait déjà l’apparition des poches de sous-scolarisation dans d’autres régions comme le centre, le sud et le littoral. La situation devient dès lors, de plus en plus préoccupante dans la région de l’extrême-nord marquée par les terroristes de BOKO HARAM, l’insécurité dans la région frontalière de l’Est qui perturbe la démographie scolaire, puis les terroristes-séparatistes du Nord-ouest et du Sud-ouest qui ont paralysé l’école dans ces régions depuis bientôt cinq ans. Pour clore avec ce registre, la crise du Covid19 est venue dévoiler la fragilité de l’institution scolaire dans les pays du sud et la nécessité de repenser l’école africaine pour s’écrier avec NGUEMA ENDAMNA « L’école pour échouer ? » ou l’école pour desservir les apprenants ?

LE RAPPORT SUR LE DEVELOPPEMENT DANS LE MONDE en 2018 rapport produit par la Banque Mondiale ne fait que le confirmer. La lecture initiale est à la base de tout apprentissage car l’école primaire est le lieu par excellence où on apprend à lire, écrire et calculer. La multiplicité des disciplines n’est pas mauvaise en soi, mais on ne peut suffisamment avoir de l’ouverture sur les autres disciplines et apprentissages que si l’enfant sait décoder, comprendre, lire et écrire des messages en respectant les conventions de textes en écriture.

Comment donc réaliser la promesse de l’éducation en respect de l’ODD4 qui est «d’assurer à tous une éducation équitable, inclusive, de qualité et des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie » si les élèves ne disposent pas  des compétences de base solides en lecture initiale ?

Recommandations

LE RAPPORT SUR LE DEVELOPPEMENT DANS LE MONDE en 2018 propose trois approches stratégiques en rapport avec les acquis scolaires.

  • Apprécier les acquis : pour faire de l’apprentissage un objectif sérieux.

En effet, disposer des acquis scolaires des élèves permet de programmer des remédiations et des apprentissages ciblés qui, bien planifiés permettent de relever le niveau des élèves dans les disciplines fondamentales.

Quelles recommandations,  quelles orientations sur la didactique et les pratiques de classe dans l’enseignement des langues faut-il privilégier ?

  • La première recommandation repose sur la nécessité d’enseigner de manière explicite aux élèves africains, l’alphabet de la langue d’enseignement aux débutants, puis la comptine des sons de façon que l’apprenant puisse établir après exercice, des correspondances entre graphèmes et phonèmes quelque soient la méthode ou l’approche adoptée par les autorités pédagogiques ;
  • La deuxième recommandation adresse la nécessité de rôder l’enfant aux automatismes de la lecture qui s’acquièrent à travers l’apprentissage du vocabulaire et du lexique, en devenant capable de construire ses possibilités de lecture sur les mots connus dans son environnement (mots familiers) ;
  • Il faut aussi enseigner de manière systématique la technique de décodage qui permet de vérifier l’acquisition du mécanisme de la lecture à travers le déchiffrage des mots, même lorsque l’élève en ignore le sens (mots inventés isolés) .L’enseignement systématique du décodage et de l’encodage sont des stratégies qu’il faudrait intégrer aux méthodes d’enseignement de la lecture en vigueur (lecture sélective, globale, détaillée).
  • L’alphabétisation visuelle et auditive (nom des lettres, sons des lettres), le développement de l’écoute et la conscience phonologique, permettent à la l’apprenant de s’accoutumer au mécanisme de lecture en y mettant de la fluidité qui permet de lire en gardant une certaine vitesse de lecture-compréhension ;
  • Il faudrait désormais que l’évaluation de la lecture et de la compréhension de lecture fassent partie des outils à introduire de manière systématique dans les stratégies didactiques ;
  • Il faut faire de l’écoute-compréhension, une discipline à part entière pour enseigner toutes les activités de lecture –écriture ;
  • Il faut favoriser le développement des ressources d’apprentissages variées pour multiplier des qualités d’apprentissage de la lecture efficaces ;
  • Enfin la nécessité de préparer et conduire des activités de remédiations de lecture est cruciale si l’on veut amener les élèves à apprendre à bien lire dans les premières années d’apprentissage.
  • L’évaluation des acquis scolaires EGRA 2019 permet d’agir à la lumière des données factuelles et d’aligner les intérêts pour que le système tout entier favorise l’apprentissage.

Sur ce volet, la Stratégie Nationale de développement (2020-2030) fait des projections pour un Cameroun émergent en 2035. N’est-il pas opportun d’approfondir la réflexion sur la nouvelle école primaire qui épouse le contexte de la décentralisation et plus proche des réalités de chaque localité (école rurale, école urbaine) ?

Les données factuelles, issues des observations et analyses de l’évaluation des acquis scolaires 2019 pourraient permettre de respecter les particularités de chaque région et y adapter des stratégies d’apprentissage idoines, sans s’écarter des curricula officiels, mais accorder plus d’autonomie pédagogique aux autorités régionales de l’éducation en s’appesantissant davantage sur les données endogènes locales.

L’équipe de l’UAS

L’évaluation EGRA 2019 a permis de détecter plusieurs catégories de difficultés qui entravent l’apprentissage de la lecture initiale de la SIL au CE2 :

  • Des difficultés liées à aux élèves (handicaps, manque de manuels scolaires, insuffisance du suivi et de l’encadrement parental, désintérêt, démotivation à l’apprentissage, etc.)
  • Des difficultés liées aux stratégies et méthodes d’apprentissage parfois vétustes qui ne prennent pas du tout en compte l’évolution des sciences du langage et de la lecture énoncées par DEHAESNE ;
  • Les difficultés liées à la formation initiale et continue des enseignants sans véritable ancrage théorique et pratique innovants ;
  • Les difficultés liées au statut, à la qualité des superviseurs pédagogiques sans compétences pratiques avérées pour encadrer les enseignants de champs ;
  • Les difficultés liées aux facteurs contextuels et culturels qu’il vaut mieux intégrer dans un projet de lecture ;
  • Enfin, les difficultés liées aux systèmes éducatifs d’Afrique sub-saharienne qui semblent privilégier, le financement des investissements dans les structures et infrastructures scolaires, sans équilibre et parfois au détriment des domaines techniques pointus comme la formation continue, l’innovation et la supervision pédagogique.

Au terme de cette présentation, l’évaluation des acquis scolaires EGRA -2019 au Cameroun met en exergue la nécessité pour chaque pays d’Afrique subsaharienne, de se doter d’une unité des acquis scolaires afin de permettre aux dirigeants des systèmes éducatifs de prendre des décisions après un diagnostic sur mesure du rendement scolaire des enfants. Mais au-delà de cet impératif, EGRA- 2019 permet d’entamer une réflexion profonde sur l’institution scolaire post-coloniale : l’école telle qu’elle fonctionne actuellement dans nos pays permet-elle de préparer une jeunesse prête à affronter les défis sociaux et économiques d’émergence des pays d’Afrique subsaharienne au regard de l’agitation dans nos pays où les masses de jeunes sont de plus en plus analphabètes et sous scolarisés ?

Il faut surtout reconnaître qu’à travers l’épidémie de la Covid19, EGRA-2019 a étalé les faiblesses et difficultés de l’enseignement des langues d’enseignement (français/anglais) avec des stratégies qui ne se nourrissent pas toujours de la sève de la recherche en didactique des langues, sciences du langage et de la lecture. Lorsqu’on aborde la qualité, la formation initiale et continue et la pédagogie ne sont pas toujours prises au sérieux. Comment comprendre la rareté des ressources humaines spécialistes en lecture-écriture, en didactique et sciences du langage dans les inspections de pédagogies centrales et régionales qui pourraient permettre une prise en charge clinique de ces difficultés ?