Par Jean-Emmanuel BUI, consultant
Plusieurs études menées notamment dans le cadre du PASEC ont mis en lumière que la formation professionnelle initiale dont bénéficiaient certains enseignants du primaire n’influençait pas de manière significative les performances scolaires de leurs élèves. Ce constat pose la question de la pertinence des dispositifs de formation professionnelle qui sont mis en œuvre dans certains pays d’Afrique subsaharienne et plus généralement celle d’un modèle de professionnalisation qui reste à inventer dans les pays en développement.
Quelques observations sur des dispositifs de formation professionnelle initiale existants
Souvent, les dispositifs de formation professionnelle n’ont de professionnel que le nom. Ils souffrent de plusieurs handicaps :
- l’absence de référentiel de compétences professionnelles ou l’existence de référentiels importés d’autres contextes éducatifs et plaqués de manière artificielle sur des réalités pour lesquelles ils ne sont pas adaptés. Dans ce cas, les compétences « prescrites » sont impossibles à actualiser dans le cadre spécifique du système éducatif concerné ;
- l’absence de connexion entre le référentiel de compétences et le curriculum de formation. L’orientation et l’architecture du curriculum ne permettent pas le développement des compétences visées : l’approche pédagogique est centrée sur la transmission de savoirs théoriques dans les disciplines qui constituent le cœur de la professionnalité enseignante et les outils de formation mis en œuvre reflètent et servent cette approche transmissive. Si certains types de stages ont cours, on peut déplorer leur caractère marginal dans le cursus de l’étudiant et l’absence de continuum (alternance intégrative) entre le temps passé au centre de formation et le temps passé dans les salles de classe. Il existe d’un côté un référentiel qui donne l’illusion de la professionnalisation et de l’autre un curriculum qui impose une formation théorique : les différents modalités d’évaluation utilisées confirme la persistance d’une formation théorique qui transmet principalement des savoirs ;
- la posture des formateurs d’enseignants dont les pratiques s’apparentent plus à celles d’enseignants du secondaire qu’à celles de formateurs de jeunes adultes. Cette posture est entretenue par l’absence d’un statut spécifique de « formateur d’enseignant » qui impliquerait des compétences spécifiques, une carrière administrative au sein d’un corps, des sessions régulières de formation en cours d’emploi et des évaluations systématiques ;
- le défaut de bonne gouvernance des centres de formation qui fonctionnent comme des lycées alors qu’il faudrait une meilleure répartition des responsabilités entre un directeur garant de l’esprit et des principes de la politique de formation et des adjoints en charge de l’ingénierie et du suivi des stages dans la perspective d’une alternance qui fait le lien entre la « formation professionnelle en institution » et des mises en situation systématiques et régulières dans les écoles ;
- le manque d’implication et de compétences des écoles au sein desquelles les élèves maîtres construisent progressivement leurs compétences professionnelles ;
- la persistance d’un système centralisé qui ne facilite pas l’adaptation nécessaire de la politique de formation en fonction des contextes propres à chaque centre ou institut de formation.
Ces handicaps ne permettent pas finalement la mise en œuvre d’une véritable formation professionnelle initiale et expliquent, peut être, le peu d’influence des dispositifs en cours sur l’amélioration des résultats scolaires des élèves.
Quelques pistes pour aller vers la professionnalisation de la formation initiale
Il est préalablement utile de rappeler que la professionnalisation de la formation initiale des enseignants permet de mieux les préparer aux situations professionnelles auxquelles ils seront confrontés dans l’exercice quotidien de leur métier. Il ne s’agit pas seulement de renforcer des connaissances académiques en lien avec les programmes et les disciplines enseignées dans les classes du primaire mais de développer des compétences plus larges qui favorisent et facilitent les apprentissages des élèves en prenant en compte un environnement donné. La professionnalisation embrasse une pluralité de dimensions qui dépassent le cadre étroit des savoirs disciplinaires. L’enseignant professionnel est en mesure de s’adapter à des situations qui par essence sont changeantes et dépendantes du contexte scolaire et éducatif. En cela, il est plus autonome et capable de prendre le recul nécessaire à l’évaluation de ses pratiques afin de les adapter aux besoins de son auditoire. Certains auteurs ont ainsi développé l’idée que la professionnalisation de la formation devait « produire » un enseignant réflexif.
Dans le contexte africain et au-delà des handicaps évoqués précédemment, il apparaît que le chemin vers la professionnalisation doit emprunter des voies singulières qui tiennent compte des moyens disponibles, du nombre des enseignants à former, d’un temps souvent réduit et d’une culture spécifique.
Les différentes pistes qui sont présentées sont complémentaires et elles s’inscrivent dans la perspective d’une approche nécessairement systémique.
- Le référentiel de compétences professionnelles
Il est un cadre qui dessine les contours du profil de sortie des futurs enseignants et détermine des moyens à mettre en œuvre pour atteindre ce profil. Pour coller à la réalité éducative du pays, il est construit à partir de la pluralité des situations professionnelles auxquelles les enseignants sont confrontés. Exemples de situations fréquentes en Afrique : les grands effectifs, les classes multi niveaux, la scolarisation des filles, le manque de matériel pédagogique, autres.
Compte tenu de peu de moyen et du peu de temps à consacrer à la formation initiale, un socle de compétences de base est clairement identifié au sein du corpus des compétences et le développement de ces compétences est priorisé par le curriculum.
- Le curriculum de formation
Il est exclusivement orienté vers le développement des compétences du référentiel et singulièrement sur celui du socle des compétences de base.
Le curriculum prend appui sur plusieurs éléments clés :
– La sélection d’éléments de savoir et de savoir faire appartenant aux disciplines qui constituent habituellement le corpus de la formation pédagogique des étudiants : la pédagogie, la psychologie, la didactique, autres. Ces éléments sont choisis en fonction des ressources mobilisées par les compétences à développer. Cette approche nécessite une refonte programmatique qui favorise l’alignement du curriculum sur le référentiel ;
– Le recours à une plus grande diversité de situations (dispositifs) de formation. Dans la mesure où il convient de développer des compétences, l’accent est porté sur une approche qui privilégie la mise en situation des étudiants et leur implication : les travaux de groupe, les travaux pratiques, les études de cas, l’analyse des pratiques, l’observation située, le micro enseignement, le mémoire professionnel et le stage. Le cours n’est plus la situation de formation de référence.
– Le stage devient une composante majeure du curriculum. Un continuum est organisé entre la formation en institut et la formation sur le terrain (stage) à travers la mise en œuvre d’une alternance véritablement intégrative. Cette forme d’alternance nécessite de revoir les modalités de la collaboration entre le centre de formation, le stagiaire et l’école d’accueil ou d’application ;
– L’évaluation des compétences se fait principalement en situation.
En fonction du temps imparti pour la mise en œuvre du curriculum, il est possible de ne faire entrer dans le processus d’alternance intégrative que les compétences de base. Dans cette hypothèse, les compétences dites « secondaires » sont développées, par exemple, au cours d’un stage en responsabilité de longue durée ou au cours de la première année qui suit la prise de fonction. Cela implique que les écoles soient en mesure d’assurer le développement de ces compétences « secondaires ».
- les formateurs d’enseignant
Les formateurs sont outillés pour développer les compétences du référentiel et mettre en œuvre le curriculum. Leurs pratiques pédagogiques sont adaptées au développement des compétences professionnelles des étudiants.
Ils bénéficient d’un statut particulier qui organise notamment leur carrière, leur formation, leur rémunération et leur évaluation.
- les centres de formation
Ils bénéficient d’une plus grande autonomie qui leur permet, en fonction de leur contexte d’implantation, d’adapter la politique de formation à leur spécificité. Les centres de formation sont évalués de manière systématique et régulière de manière à garantir la qualité de la formation.
Leur gouvernance s’appuie sur un directeur et des adjoints : un directeur des études et un directeur des stages par exemple.
L’équipe de direction bénéficie d’un statut spécifique qui fixe des compétences à développer et à exercer.
Ces quelques propositions indiquent des pistes possibles à suivre pour la professionnalisation de la formation initiale des enseignants. Chacune d’entre elles mériterait d’être approfondie en fonction des spécificités de chaque système éducatif.
Par ailleurs, il faut avoir présent à l’esprit que la formation seule ne suffit pas à garantir la qualité du travail réalisé par les enseignants. Il est nécessaire de mener, parallèlement à la réflexion sur le système de formation, une réflexion en profondeur sur leurs conditions de vie et sur leur statut. L’objectif est ici que leur métier puisse garantir des conditions de vie décentes.
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