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Proportion de la population ayant accès à l'électricité par pays en 2016

Quelques défis de l’apprentissage numérique en Afrique : une étude de cas à Madagascar

Le 30 avril 2020

Pierre Varly est consultant international et créateur/éditeur de ce blog. Il a été à titre bénévole, membre puis secrétaire de l’association One Laptop Per Child France (OLPC) entre 2010 et 2019, travaillant plus spécialement sur la question de l’appropriation des TIC en classe et en dehors de la classe, l’évaluation et le développement d’applications sur la lecture.

Jonathan Ragot est ingénieur d’affaires dans le Génie Civile, co-fondateur de l’ONG de solidarité internationale We Work It Works France et responsable du déploiement des ordinateurs XO (OLPC France) à Nosy Komba, Madagascar. Il a effectué de nombreuses missions sur place, géré les budgets et mis en œuvre des campagnes de collecte de fonds.

Un ordinateur XO à Madagascar

Nous allons nous intéresser, COVID oblige, à la question de l’apprentissage numérique en Afrique à travers une étude de cas (le XO à Madagascar). Par apprentissage numérique, nous entendons l’apprentissage à distance, l’apprentissage en classe avec des tablettes, ordinateurs, smartphone, tableaux blancs interactifs, Internet etc. et l’apprentissage hors classe avec ces outils numériques, en auto apprentissage ou guidé (enseignement).

La première question est de savoir si l’Afrique subsaharienne est équipée pour introduire ou développer l’apprentissage numérique. Pour pouvoir utiliser à minima les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) en éducation, il faut de l’électricité, des équipements et Internet.

L’accès à l’énergie en Afrique

Ce récent site de l’Université d’Oxford fournit par chance d’excellentes données, graphiques et cartes sur un ensemble de domaines, dont l’éducation, l’accès à l’énergie et le COVID : https://ourworldindata.org

Regardons donc globalement ce qu’il en est de l’accès à l’électricité en Afrique.

Carte 1 : Proportion de la population avec accès à l’électricité (2016)

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Globalement, à part le Maghreb et l’Afrique du Sud, beaucoup de ménages n’ont pas accès à l’électricité. Dans certains pays, en rose très clair, moins de 10% de la population a accès à l’électricité.  A Madagascar, 22,9% de la population a accès à l’électricité.

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Source : https://www.brookings.edu/blog/future-development/2018/06/08/africas-3-deadly-deficits-education-electricity-and-taxes/

Si l’on raisonne en taille de la population, 19 millions de personnes sont sans électricité à Madagascar et pas moins de 68 millions en RDC ou 73 millions au Nigéria. Ce sont quelques 600 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité en Afrique selon l’IEA.

Carte 2 : Pourcentage de la population ayant accès à Internet en 2017

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Le taux d’utilisateurs d’Internet est inférieur à 40% dans une grande majorité de pays, à part le Ghana, l’Afrique du Sud, le Gabon, la Namibie et le Botswana. Il y a 9,8% d’utilisateurs d’Internet parmi la population à Madagascar. Les données devraient être présentées par tranche d’âge pour être plus parlantes. Quelle est la situation au niveau des écoles ?

Est-ce que les écoles (primaires) sont équipées en Afrique ?

Carte 3 : Pourcentage d’écoles primaires avec l’électricité, année la plus récente

Source : http://tcg.uis.unesco.org/indicator-4-a-1-proportion-of-schools-with-access-to-a-electricity-b-the-internet-for-pedagogical-purposes-c-computers-for-pedagogical-purposes-d-adapted-infrastructure-and-materials-for/

Dans les données de l’ISU sur le pourcentage d’écoles primaires avec l’électricité, on constate qu’il y a beaucoup de données manquantes (en gris). Pourtant il s’agit d’un indicateur du suivi des objectifs de développement durable des Nations Unies (N° 4.a.1) qui peut être calculé à partir des bases de données scolaires ou des enquêtes par échantillon auprès des écoles. Il y a donc sans doute un certain manque de transparence pour la fourniture de cet indicateur essentiel à la question de l’introduction du numérique à l’école (et d’autres équipements électriques ou même d’éclairage d’ailleurs).

Globalement, si l’on regarde la carte, le rouge prédomine cela veut dire que moins de la moitié des écoles primaires ont l’électricité dans une majorité de pays africains. A Madagascar, seules 8,3% des écoles ont l’électricité (en 2018) contre 32,8% en moyenne à l’échelle du continent.

Carte 4 : Pourcentage d’écoles primaires avec Internet pour un but pédagogique, année la plus récente

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Source : http://tcg.uis.unesco.org/indicator-4-a-1-proportion-of-schools-with-access-to-a-electricity-b-the-internet-for-pedagogical-purposes-c-computers-for-pedagogical-purposes-d-adapted-infrastructure-and-materials-for/

S’agissant de l’accès à internet pour la pédagogie, seules 0,4% des écoles de Madagascar en sont dotées en (2018) soit environ 128 écoles et 1,6% dotées d’ordinateurs à visée pédagogique soit environ 500 écoles sur les plus de 32 000 que comptent le pays (2017, annuaire statistique).

Carte 5 : Pourcentage d’écoles primaires avec des ordinateurs pour un but pédagogique, année la plus récente

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Que retenir de ces cartes et chiffres ?

A Madagascar :

22 ,9% de la population a accès à l’électricité
19 millions de personnes sont sans électricité
9,8% d’utilisateurs d’Internet parmi la population
 8,3% des écoles primaires ont l’électricité
0,4% des écoles ont accès à internet pour la pédagogie
1,6% des écoles sont dotées d’ordinateurs à visée pédagogique 
Voir plus haut pour les sources

Il est possible de combiner ces informations pour former un indice de préparation à l’apprentissage numérique pour chaque pays.

Pour l’Afrique subsaharienne :

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source : https://en.unesco.org/news/startling-digital-divides-distance-learning-emerge

Premièrement, l’accès à l’énergie est un défi majeur de l’apprentissage numérique. Pourtant, le potentiel d’énergie solaire est énorme en Afrique comme le montre la carte ci-dessous. C’est vrai pour Madagascar notamment.

Carte 6 : potentiel photovoltaïque en kilowattheure dans le monde

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Source : https://www.britannica.com/science/solar-energy

Selon cet article, les investissements nécessaires pour fournir l’électricité à l’Afrique subsaharienne varient entre 160 et 215 milliards de dollars sur une période de dix ans.

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Une école publique à Niamey, Niger en 2018, il y a des tablettes, mais pas d’électricité…

Deuxièmement, les écoles sont très peu équipées en équipements numériques (ordinateurs) ou Internet.

Troisièmement, beaucoup de pays ne fournissent pas de données sur ces questions, or il est  facile de collecter ces informations par les enquêtes et questionnaires visant les écoles. Par exemple, l’annuaire statistique malgache ne fournit pas de chiffres sur les ordinateurs dans les écoles, seulement les classes électrifiées.

Nous voyons donc que dans le cas malgache, mais dans de nombreux autres pays, les conditions ne sont pas réunies pour un déploiement des solutions numériques dans l’apprentissage (au primaire du moins selon nos données) que ce soit dans le cadre du confinement COVID et des mesures de fermeture des écoles ou à plus long terme.

Quelle est la situation du COVID à Madagascar ?

Au 20 avril 2020, il y a 121 cas confirmés et 0 décès. L’épidémie a démarré le 21 mars 2020.

Graphique 1 : Nombre de cas de COVID 19 journaliers et total confirmés à Madagascar

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Le gouvernement malgache, encouragé par une prophétesse, a annoncé avoir élaboré un antidote sur la base de plantes médicinales (Artémisia utilisée contre le paludisme). Le président malgache a déjà indiqué que son « remède » serait prescrit sous forme de sirop « à tous les élèves pour leur permettre de se protéger contre la pandémie » et la reprise des écoles : « Dès lundi matin (le 20 avril NDLR), les transports en commun vont reprendre leur service dans la capitale Antananarivo et à Fianarantsoa (centre) et Toamasina (est) et les écoles rouvriront pour certaines classes mercredi, a-t-il précisé. ». L’OMS a mis en garde contre de telles mesures.

Pourtant, au regard de la courbe des cas de COVID, ce dé confinement semble un peu précoce, et tout en témoignant un profond respect pour la pharmacopée africaine, rien n’est dit que le COVID Organics soit efficace à ce stade. Les décisions politiques devraient s’appuyer sur des données probantes.

Que fait le gouvernement malgache pour l’apprentissage numérique?

Il lance un appel d’offre pour des contenus numériques. Cependant dans le plan sectoriel pour l’éducation, le mot numérique apparaît quatre fois et le mot ordinateur zéro. Ce n’est tout simplement pas au menu des politiques éducatives. Globalement, si on se réfère à cet examen de tous les plans sectoriels des pays du PME en 2012 et à une revue plus récente mais plus réduite en nombre de pays, l’introduction du numérique à l’école est le parent pauvre des politiques éducatives. En 2012, 35% des pays du PME avaient une composante sur les TIC dans les plans sectoriels, mais très peu en Afrique  et 15% d’équipements des écoles (PME, rapport de résultats 2012, p. 101.)  

Les bailleurs de fond et notamment le PME n’ont jamais voulu vraiment financer l’apprentissage numérique en Afrique. On peut aisément comprendre pourquoi. Prenez un ordinateur à 200 dollars (prix du XO du projet OLPC) et que vous vouliez le distribuer à 1 millions d’élèves, cela coûte 200 millions de dollars alors que les projets du PME ne dépassent que rarement les 100 millions dans un pays. C’est cher d’une part, et d’autre part, les recherches sur l’impact des TICE sur les apprentissages ont monté des résultats mitigés. Pourtant, c’est l’avenir selon nous.

Si l’on réfère aux programmes d’innovation prévus par le PME, il n’y rien de spécifique sur cette question. Mais suite au COVID, la situation évolue notamment sous l’égide de l’UNICEF (avec l’appui de Microsoft) et les financements du PME fléchés COVID (8,8 millions pour le numérique sur les 250 prévus).

A Madagascar, les opérations d’introduction du numérique à l’école sont soutenues par la Fondation Orange et également le projet Sankaré (voir notre article sur cette question : l’Education au Numérique en Françafrique), donc essentiellement délégués au privé et parapublic.

Le projet Nosy Komba

Depuis 2009, des ordinateurs XO (environ 260) ont été déployés dans l’école d’Antintorona, à Nosy Komba, île proche de Nosy Bé, au Nord-Ouest de Madagascar. Ce projet appelé Nosy Komba (NK) s’inscrit dans une démarche plus générale de développement du village, initiée par Stefano Palazzi. 

En 2020, Le projet global avance dans sa 3ème phase, le développement économique (après l’émergence et les infrastructures). L’informatique en tant que support pour le développement des entreprises locales est une opportunité avant de devenir indispensable.

Les XOs sont des ordinateurs conçus pour les enfants, solides, avec une faible consommation d’énergie et qui permettent la communication entre machines. Le système d’exploitation et les logiciels libres Sugar, basés sur une approche socioconstructiviste, sont installés par défaut sur ces ordinateurs, dont le coût est d’environ 200 dollars. Le XO est une émanation du projet One Laptop Per Child lancé par John Negroponte du MIT tandis que Sugar fut initié par Walter Bender.

Présentation de l’ordinateur XO

Le déploiement des XO s’est effectué en trois phases.

La première phase est celle du déploiement de la technologie l’installation des ordinateurs et des équipements qui vont avec, notamment pour l’accès à l’énergie, une connexion Internet avec un réseau mesh. Des processus d’inventaire, de réparations et de mises à jour des XO ont été mis en place avec un transfert de capacités vers les enseignants et les élèves, formés par des étudiants volontaires français. Cette phase technologique a été conduite par les informaticiens à l’origine de l’association OLPC France (Lionel Laské, Xavier Carcelle) et des volontaires de PSB menés par Jonathan Ragot. Voir ici pour plus d’informations.

La seconde phase est celle de l’amélioration de la pédagogie. Une application Madagascar a été créée pour rassembler toutes les pages Wikipedia sur Madagascar (Bastien Guerry & Laura De Reynal). Des éditeurs malgaches ont permis que des livres soient mis au format Ebook. Les enseignants ont été coachés par une chercheuse, Sandra Nogry. Les élèves ont été amenés par exemple à réaliser des projets avec l’activité Fototon et à utiliser aux mieux les outils à leurs dispositions. Les XOs ont été déployés au collège. Un school server a été installé avec l’aide des étudiants de Telecom Paris.

La troisième phase est celle de l’appropriation de la technologie, c’est-à-dire que progressivement les outils numériques sont employés sans l’aide de volontaires étrangers. Les élèves du collège les plus à l’aise forment les plus petits, sans l’aide des professeurs malgaches. Des séances sont organisées régulièrement et un carnet de bord sert à suivre les progrès et le séquençage des leçons.

Toutes ces activités se sont déroulées en surmontant un nombre de défis technologiques, logistiques, financiers et humains.

Les défis et les moyens pour les surmonter

En termes de logistique, se pose en premier celui du transport des XOs d’OLPC Europe à Bruxelles jusqu’à Paris en voiture où les XO sont entreposées au domicile des volontaires. Puis ils sont transportés dans les soutes de l’avion des volontaires grâce au généreux don de bagages CORSAIR FLY jusqu’à l’aéroport de Nosy Be. Enfin, un taxi et des pirogues les amènent à Nosy Komba.

Se pose aussi le problème du stockage. Les XOs devaient rester chez les enfants mais il y a eu des vols, avec plainte au commissariat de Nosy Bé, ce qui a engendré une crise de confiance association-élèves-profs-parents. Le professeur suspecté a démissionné, les XO ont été tatoués au marqueur pour faciliter les prêts. Ensuite, la décision a été prise de les stocker à l’école dans des malles en fer sous cadenas et de les distribuer à chaque séance. La distribution des XOs chaque année donnait lieu à des scènes de joie dans le village

Les XOs étaient ensuite récupérés pour maintenance et inventaire, dont les processus ont été améliorés au fil du temps avec l’utilisation de codes-barres.

Le troisième problème est celui de l’accès à l’électricité. Au départ, une turbine hydro électrique de 2500W a été installée mais ne permettait pas de charger les 100 XOs fraîchement débarqués car 100 batteries imposent un tirage trop important. Un groupe électrogène bon marché a donc été acheté mais nécessitait trop de maintenance et s’est révélé inadapté. Un groupe de meilleure qualité a été installée et est toujours en fonction, complété par une utilisation ponctuelle limités à 25 machines de la turbine avec un nouveau moteur de 5000W. En 2019, l’alternative des panneaux solaires dans l’incubateur multi-activité est testée.

Appropriation par la communauté

Les parents sont les témoins, les garants du matériel et de l’expérience et les bénéficiaires indirects via les progrès de leurs enfants.

Les enseignants ont eu du mal au début avec les machines et il a fallu beaucoup de formations et de coaching. Ils ont reçu des per diem pour utiliser les machines. L’ utilisation des XO n’a jamais été intégrée dans les horaires normaux de la classe primaire. L’utilisation des machines fut beaucoup plus inventive et innovante au collège (2012) et dans la médiathèque (depuis 2017). 

Ce sont les élèves qui se sont le mieux appropriés les machines. Une analyse des back up des ordinateurs a permis de voir comment les élèves utilisaient les ordinateurs, avec l’aide de Kevin Raymond et de la société Varlyproject.

Polar chart élèves Madagascar

Source : Pierre Varly, analyse des back up à Nosy Komba.

Sur le plan financier, il a fallu collecter des fonds chaque année et cela a pris beaucoup d’énergie et de temps. Les sources de financement sont essentiellement privées. Le coût des machines absorbe un peu plus de la moitié du budget.

Budget du projet de déploiement des XOs

Source : Jonathan Ragot

Sur le plan humain, le mérite et les heures de travail sont à créditer à une équipe de volontaires de toute la France et au-delà : OLPC France, Telecom Paris, ESG (devenu PSB), OLPC News, Sugar, OLPC San Francisco, OLPC Austria, Unleashkids et tant d’autres. Des élèves de Nosy Komba se sont révélés être des leaders de la technologie dans le village.

Les retombés du projet

Des moyens technologiques innovants et inédits ont été mis entre les petites mains fragiles d’enfants laissés pour compte à l’autre bout du monde.

Les élèves se sont forgé une culture numérique à tel point qu’il est envisagé de créer une école d’informatique. Les XOs sont désormais utilisés à la médiathèque et non en classe. Certaines machines datent de 2009 et fonctionnent toujours.

Les élèves ont amélioré leurs compétences. Des jeunes volontaires ont continué à œuvrer dans le développement comme Laura de Reynal ou Quentin Peries-Joly. Le projet a été l’occasion de recherches sur les usages des technologies. Cela aura été surtout le lieu de nombreux échanges interculturels, amicaux et fraternels.

Si vous voulez soutenir le projet : https://www.helloasso.com/associations/we-work-it-works-france

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le blog de feu OLPC-France.

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  1. Livres de Collecte de Fonds – Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les écoles organisent des événements de collecte de fonds. Pour certains établissements scolaires, les fonds qui leur sont alloués par l’unité gouvernementale locale peuvent ne pas être en mesure de couvrir chaque étudiant sur le plan académique, physique et mental. Au même moment, d’autres écoles organisent des événements de collecte de fonds afin d’améliorer leurs installations et leurs technologies, ainsi que pour impliquer davantage leurs étudiants et leurs familles dans les activités scolaires.

    Montre Plus: https://whydonate.com/fr/blog/collecte-de-fonds-livres-collecte-de-fonds-evenements-ecoles/