Faut-il aider la Guinée Bissau à développer son système éducatif, « sans relâche et sans condescendance » ? OUI, mais pourquoi ? La Guinée Bissau est un pays pris en tenaille entre le Sénégal et la Guinée Conakry, deux pays francophones. La langue officielle est le portugais mais la majorité de la population y parle le crioulo, un créole et les langues nationales, telles le balante, le peul…
Brève histoire de la Guinée Bissau
Suite à une lutte armée menée par Amilcar Cabral, la Guinée Bissau obtient son indépendance en 1974. Elle s’affranchit ainsi de la colonisation portugaise imposée par le régime de Salazar. Amilcar Cabral a beaucoup de ressemblances avec le Che, en dehors du goût pour le cigare et une certaine austérité, il développe une véritable théorie de la guérilla et de lutte contre le colonialisme. Il place l’éducation au centre de son action et écrit en 1965 : « Pour que la lutte continue à se développer, nous devons nous éduquer nous même, éduquer les autres et la population en général ». Il dit aussi « Si nous avions eu de l’argent nous aurions fait une lutte avec des écoles, pas avec des armes ». Une phrase prémonitoire…
Il meurt assassiné en janvier 1973 à Conakry, quelques mois avant l’indépendance. Depuis lors, le pays n’a pas connu de véritable stabilité politique et une guerre civile l’a secoué en 1999. En mars 2009, le Président est assassiné et en avril 2010 le premier ministre a été brièvement arrêté par les militaires.
En conséquence de quoi, la Guinée Bissau est un des pays les plus pauvres du monde, selon les Nations Unies.
L’héritage guérillero
Cuba a largement appuyé la « révolution » bissau guinéenne, mais est classé 51ème pays en termes de pauvreté contre 173ème pour la Guinée Bissau. Cuba a pu développer un système de santé et d’éducation performant, tant que sur le plan quantitatif que qualititatif, bien qu’on ne puisse pas vérifier les modes de production des statistiques cubaines…
Afin de sortir du colonialisme, les « libérateurs » guinéens ont pris le parti de développer le crioulo comme langue nationale, au détriment du portugais qui reste la langue d’enseignement. Les questions de géographie et d’histoire ainsi que les sciences de la vie occupent encore aujourd’hui une bonne partie des programmes et manuels scolaires, puisqu’il s’agit au départ : « d’éliminer peu à peu la soumission face à la nature et aux forces naturelles » selon Cabral. Les premières écoles étaient faites de bambou et une partie du temps devait être consacrée au travail productif dans les champs. On verra que ce type d’école n’a pas disparu…
Le frère Cap verdien
Sur le plan politique, le pays est relativement isolé et s’est éloigné du Cap Vert qui a accueilli une bonne partie de l’élite politique dans les années 80. Tiraillée entre la sphère d’influence francophone (ses voisins géographiques) et lusophone, la Guinée Bissau a la langue entre deux chaises. Elle est très peu présente dans les différentes réunions et initiatives africaines. Sur le plan touristique, la Guinée Bissau n’a rien à envier au Cap Vert, avec son archipel des Bijagos, mais n’a pas su véritablement en tirer parti. Voir ici une adresse sympa pour faire de la pêche sportive.
Le fantasme scarface
La Guinée Bissau fait souvent la une de presse internationale pour ses coups d’Etat. Sa réputation sulfureuse de narco Etat, en fait le rendez vous des aventuriers de tout poils. Dans la capitale, il n’y a pas d’électricité, à peine des routes, le « centre ville » est une petite place avec des restaurants sous des loupiottes où l’on croise une faune interlope. On ne sait pas qui est qui et qui fait quoi et on ne pose pas trop de questions. Une ambiance à la John le Carré.
Ceci dit, on ne croise pas de militaires armés dans les rues, les habitants sont très accueillants et pacifiques, il y fait bon vivre, si quelques 4×4 Hummers aux vitres teintées circulent, le quotidien n’est pas celui du film Scarface, réservé à la sphère politique et militaire. La musique, omniprésente tout comme l’alcool pas cher, y est excellente et proche de celle du Cap Vert, propulsée par Cesaria Evora. Le cabo zouk domine et c’est actuellement Philip Monteiro, d’origine cap verdienne qui tient le haut du pavé des discothèques dakaroises pour ceux qui veulent se reposer du mbalax. Ecoutez ici de la musique guinéenne. Encore une fois, l’ombre du frère Cap Verdien empêche quelque peu les artistes en herbe de Bissau de pousser.
Quelques comparaisons
Sur le plan éducatif, la Guinée Bissau ne souffre pas non plus la comparaison avec le Cap Vert où plus de 95% des enfants achèvent le cycle primaire. Par contre, les indicateurs bissau guinéen n’ont rien à envier aux statistiques sénégalaises, comme l’atteste le tableau ci-dessous.
On verra plus tard que la situation bissau guinéenne est intimement liée au Sénégal en notant de forts mouvements de population entre ces deux pays, via la Casamance. Les indicateurs calculés ici font complètement abstraction des flux migratoires. Comparativement au Sénégal, la Guinée Bissau s’en sort plus tôt pas mal et fait face à des défis supplémentaires. Les séquelles de la guerre mais aussi un taux de prévalence du VIH Sida relativement élevé, entraîne une proportion non négligeable d’orphelins et de déplacements de population.
Le taux de scolarisation de l’autre Guinée sont plus élevés, mais la crise politique à Conakry entraînera surement un ralentissement de la progression rapide des effectifs enregistrés ces dernières années, en particulier avec la suspension de la coopération. La défaillance des services publics éducatifs est en retour un facteur d’instabilité, c’est un cercle vicieux. Les questions d’éducation restent largement minorées comme facteur de paix sociale et de construction d’un Etat de droit. Pourtant, Amilcar Cabral a défini la formation et l’éducation des cadres politiques comme étant la base du succès du développement. De nos jours, on notera qu’une bonne partie de l’assemblée bissau guinéenne est analphabète…
Le secteur public est donc mal outillé pour le développement du système éducatif et l’héritage politique des pères fondateurs semble un peu lointain.
Le rôle prépondérant des ONGs
Handicapé par le poids des dépenses militaires et recevant jusque récemment peu d’aide des partenaires institutionnels (contrairement au Sénégal), le budget de l’Etat laisse peu de mages de manœuvre. Les dépenses d’éducation valent à peine 9% du budget de l’Etat, contre 20% en moyenne en Afrique. Pour faire face à la demande sociale, s’est développé un système parallèle alimenté par les ONGs (telles Plan International et Effective Intervention) ou l’UNICEF qui assurent avec les communautés le recrutement et la formation des enseignants et le fonctionnement des écoles, dites communautaires. Dans certaines zones, il est en effet difficile de trouver les enseignants ayant les diplômes académiques requis pour exercer dans le public. Dans la pratique et la règlementation, dès qu’une école se voit affecté un enseignant rémunéré par l’Etat, elle devient une école « publique ».
Les ONGS interviennent principalement dans les régions de Bafata et Gabu, où seuls 20% des enfants parviennent en fin de cycle primaire selon l’enquête MICS de l’UNICEF. Ce sont les régions les plus pauvres du pays, où l’offre scolaire publique est la plus faible et les populations longtemps hostiles à la scolarisation pour des raisons culturelles et religieuses.
La qualité de l’éducation
Jusque récemment, le paiement des salaires des enseignants accusait des mois d’arriérés, déclenchant grève sur grève. Ainsi, les années scolaires débutent souvent en janvier ou février au lieu du mois d’octobre, mais l’appui de la Banque Mondiale a permis de stabiliser temporairement la situation en 2009/2010. S’ajoute à cela la récolte des noix de cajou, qui mobilise une partie de la population pendant une période de l’année et le carnaval qui n’arrange pas les choses. De plus, l’offre scolaire étant très réduite, les cours sont assurés à travers des rotations dans une même salle de classe (turmas), pouvant aller jusqu’à quatre par jour dans les lycées de la capitale. Le temps scolaire est donc très réduit.
Les quelques photos suivantes présentent une école publique située dans une petite ville, non loin de la capitale. La taille de classe y est relativement modeste, il y a des tables bancs et des manuels et des enseignants…Les manuels scolaires ont été produits par divers projets notamment de la communauté Palop (pays de langue officielle portugaise) ou viennent directement du Portugal. Il n’y a pas vraiment de méthode endogène d’enseignement de la langue portugaise, mais plutôt des recueils de textes. Pourtant, le PAIGC (mouvement d’Amilcar Cabral) a produit le premier manuel scolaire de Guinée en décembre 1964…
A quelques kilomètres de là, une école publique ressemble à s’y méprendre à une école communautaire. Malgré le panneau à l’entrée présentant les sponsors, et qui n’a rien à envier à la caravane du Tour de France, l’école « publique » est démunie.
Les élèves filles jouent à se lancer des sandales, tandis que les garçons travaillent dans un champ…Certains y verront une réminiscence des séances de travail productif, d’autres du laisser aller.
Quoi qu’il en soit, ces écoles ne sont pas très motivantes pour les parents qui rechignent certainement à y envoyer leurs enfants.
C’est pourquoi les ONGs ont pris le relais de l’Etat dans certaines régions afin d’assurer un minimum de standard de qualité.Selon le dernier rapport de Human Right Watch, qui est très choquant, le phénomène des talibés et enfants des rues tend à se développer en Guinée Bissau. Lire le résumé ici. Si le gouvernement bissau guinéen n’a pas signé les différentes conventions sur les droits des enfants (contrairement au Sénégal), les pouvoirs publics ou les autorités locales ont pris des initiatives, ce qui est loin d’être le cas chez le voisin.« Après avoir ignoré pendant des dizaines d’années l’exode massif des enfants bissau-guinéens vers les daaras du Sénégal, où des milliers d’entre eux ont été maltraités et exploités, le gouvernement bissau-guinéen a mis sur pied un Comité national pour la lutte contre la traite des personnes (Comité national contre la traite des personnes) en 2008 et a reconnu la gravité du problème. Depuis lors, il a pris des mesures positives pour réduire le transfert illégal d’enfants vers le Sénégal, entre autres en dispensant des formations aux gardes-frontières et à la police civile. Son action demeure toutefois limitée et lente. Il laisse la police face à un manque cruel de moyens financiers pour combattre le problème, n’a pas criminalisé la traite des enfants et s’abstient de réclamer des comptes. »Voir ici mon post qui traite des écoles coraniques qu’il faut distinguer du phénomène (majoritaire) des talibés des rues.Selon le rapport de Human Right Watch, une proportion importante des enfants des rues de Dakar viennent en fait de Guinée Bissau et notamment des régions de Bafata et Gabu. Voir page 90 à 96 du rapport.Carte extraite du rapport HRW« Les principaux itinéraires de la migration des talibés sont bien connus au Sénégal et en Guinée-Bissau. Les itinéraires signalés ici ont été identifiés sur base d’entretiens réalisés par Human Rights Watch avec des talibés, des marabouts, des parents, ainsi que des responsables humanitaires et gouvernementaux du Sénégal et de Guinée-Bissau ; d’une étude quantitative sur les enfants mendiants de Dakar réalisée en 2007 par le Fonds international de secours à l’enfance des Nations Unies (UNICEF), l’Organisation internationale du Travail et la Banque mondiale ; et de données détaillées recueillies par SOS Enfants Talibés (SOS Crianças Talibés) auprès d’enfants revenus en Guinée-Bissau après s’être enfuis de daaras au Sénégal. »C’est une bonne raison pour soutenir le système éducatif bissau guinéen et ainsi offrir une alternative crédible à la mendicité et aux mauvais traitements.Crédit photos : Avec l’aimable autorisation de Norberto Bottani, prises en 2008 lors d’une mission dans le pays. guinee-bissau.net pour Bijagos, le bloggeur pour la photo du Centre Ville prise en avril 2010.