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Sur la politique de paie des enseignants dans une crise prolongée en République Démocratique du Congo


Sur la politique de paie des enseignants dans une crise prolongée en République Démocratique du Congo

Edito

Ce billet a été écrit par Cyril Brandt un étudiant en post doctorat et Tom de Herdt, professeur en développement à l’Institut de politiques du développement, Université d’Anvers et traduit en français par Pierre Varly. Le billet est disponible en anglais ici.

Il nous relate une expérience de réforme du système de paiement des enseignants en République Démocratique du Congo. Dans un univers où souvent seules les réussites et success stories sont mises en avant, il est utile de raconter aussi les échecs pour en tirer des enseignements. Dans un contexte de multiplication des possibilités techniques de paiement par téléphone mobile sur le continent africain, l’article montre les limites d’une réforme de bancarisation.

La référence de l’article se trouve en bas et l’article est accessible sur research gate ici.

Contexte de la réforme

Il est bien connu que les enseignants de nombreux contextes des pays à faible revenu touchés par des conflits sont mal payés. Les circonstances dans lesquelles ils perçoivent leur salaire sont moins connues, mais cela engendre des absences des enseignants et des résultats scolaires plus faibles.

Dans notre article récemment publié, nous enquêtons sur une récente réforme des rémunérations des enseignants en République démocratique du Congo (RDC) qui visait à moderniser le système de paie des enseignants. 

Le but était de remplacer les intermédiaires humains dans la distribution des salaires par des comptes bancaires individuels. 

La réforme avait quatre objectifs:

• permettre aux enseignants de recevoir leur salaire entier sans déduction,

• réduire les possibilités de détournement de fonds,

• étendre l’infrastructure bancaire

• accroître la transparence des dépenses publiques.

La réforme de bancarisation est devenue un projet phare du gouvernement congolais au cours des années de réforme 2012-13. Il a été conçu et mis en œuvre sans aide extérieure.

Dans notre analyse, nous démontrons deux faits principaux:

1. Une réforme du paiement des enseignants peut faire des ravages en augmentant les distances que les enseignants doivent parcourir pour percevoir les salaires.

2. Une réforme de la rémunération des enseignants peut aggraver les inégalités existantes dans la géographie de l’État et des services publics.

Dans notre étude à méthodes mixtes, nous avons collecté des données qualitatives et utilisé un ensemble de données quantitatives unique qui nous ont permis (a) d’estimer les distances que les enseignants doivent parcourir pour collecter leurs salaires et (b) de cartographier la répartition des fournisseurs de salaires à travers le pays.

Augmentation des distances

La carte ci-dessous représente les territoires de la RD Congo. Les couleurs plus foncées représentent des distances plus élevées entre les écoles et les points de paiement. Il révèle clairement que les enseignants dans de nombreux coins du pays doivent parcourir des distances importantes pour retirer leur argent des banques ou le récupérer dans des points de paiement temporaires. Avant la réforme, des paiements collectifs étaient effectués et les chefs d’établissement ou autres intermédiaires percevaient et distribuaient les salaires de nombreux enseignants à la fois.

La distance est entre les écoles et les points de paiement en 2014 (il s’agit ici d’une proposition par le gouvernement, les distances en réalité étaient probablement beaucoup plus larges).

Cependant, la carte cache une série d’aspects qualitatifs:

• les conditions routières sont souvent très mauvaises,

• les enseignants marchent ou voyagent à vélo,

• les enseignants doivent dépenser de l’argent pour la nourriture et l’hébergement,

• les enseignants doivent parfois attendre plusieurs jours avant d’être servis, et

• le plus frappant, les enseignants peuvent être amenés à voyager dans des zones touchées par des conflits.

Un système hybride de prestataires

En plus de créer ces distances et des défis, la réforme de la bancarisation n’a en fait pas réussi à établir des paiements bancaires pour tous les enseignants. La tentative ambitieuse mais mal planifiée de remplacer un système de paiements par un autre a échoué.  

Au lieu de cela, différents systèmes ont été superposés. Des sociétés de téléphonie mobile ont été sous-traitées par des banques. Cependant, la couverture de la téléphonie mobile dans certaines parties du pays reste médiocre et plusieurs fournisseurs ont dû renoncer à leur tentative d’utiliser la réforme pour accroître leur clientèle. 

L’ONG catholique Caritas est un autre acteur clé du processus de réforme: Caritas rémunérait déjà les enseignants, avant la réforme, mais a ensuite été mise à l’écart. Progressivement, le gouvernement n’a pas eu d’autre choix que de se tourner vers Caritas et de demander son aide. La carte suivante utilise des données de mai 2018 et montre qu’un grand nombre de territoires ne sont en effet pas desservis par les banques, mais par Caritas.

Ces données soulignent que la réforme n’a pas remplacé un mode de paiement par un autre. Au lieu de cela, il existe maintenant plusieurs modes différents en jeu, ce qui diminue encore la transparence et la gestion des paiements des enseignants. En résumé, la réforme a aggravé les inégalités existantes dans la prestation des services publics sans parvenir à contrôler de manière globale le personnel enseignant.

Référence:

Brandt, Cyril Owen, and Tom De Herdt. 2020. ‘Reshaping the Reach of the State: The Politics of a Teacher Payment Reform in the DR Congo’Journal of Modern African Studies 58 (1): 23–43.

This Post Has 3 Comments

  1. Des informations complémentaire de la part de : Jacques Mwakupemba Tati
    Kinshasa – RD Congo
    La réforme dans la paie des enseignants : avant – pendant – après
    Si la réforme a été salué par les enseignants car chacun pouvait toucher la totalité de son salaire sans retrait de tel ou tels frais, il s’avère que les difficultés des enseignants ne sont loin de finir concernant leurs salaires. Ces difficultés ont plusieurs facettes à relever :
    1. La première difficulté semble être la dimension continentale de la République Démocratique du Congo. Depuis la dégringolade de l’Etat en 1990, le pays manque d’infrastructure bancaire fiable dans l’arrière pays. Si dans les grandes villes (Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani, Bukavu, Goma, Kananga…) les banques sont existantes, dans d’autres grandes agglomérations, les banques n’existent pas. Il faut beaucoup des tournures, les enseignants doivent effectuer parfois de très longues distances pour rejoindre les centres convaincus de la paie ;
    2. La fiabilité de notre système bancaire laisse parfois à désirer. Au sein même des banques, un système de prédation a été mis en place pour que l’enseignant n’ait pas la totalité de son salaire, ils (enseignants) sont toujours étonnés de constater qu’on continue à faire des retraits injustifiés par les banques payeuses. Il sied de souligner que là où il y a des banques commerciales, il y a une autre pratique qui se fait. Quant le salaire arrive en banque, les décideurs font emprunter l’argent d’abord aux commerçants, qui vont acheter les produits agricoles et autres, les revendre au marché puis venir rembourser. Ceci occasionne un retard d’une ou deux semaines pour la paie. Les enseignants qui ont quittés leurs écoles, doivent attendre durant ce temps dans ce centre de paie, en concoctant encore des dettes pour survivre ;
    3. La gestion des effectifs des enseignants par le SECOPE est une vraie nébuleuse. Ce service sensé fiabiliser les effectifs du personnel, a crée un système de fraude sans autre forme de procès par le gonflement des effectifs, des agents fictifs, des écoles qui n’existent que par le nom. Le SECOPE n’a jamais donné les effectifs réels du personnel enseignant sur toute l’étendue du pays. Il s’arrange toujours à donner des approximatifs alors qu’ils ont toutes les données et la cartographie scolaire du pays. A ce jour, le SECOPE n’est pas en mesure de dire combien d’enseignant sont réellement payés.
    Après la réforme, les sociétés de télécommunications et certaines banques ont pris la relève dans les dudits diocèses mais cependant, les pratiques continuent bel et bien autrement. Les banques font des retraits sans aucune justification. Et même à Kinshasa, c’est pareil. Alors que le gouvernement paie chaque mois ou trimestre les frais de transactions entre la banque commerciale et les banques payeuses, les banques payeuses soutirent encore sur la tête de chaque enseignant. Chaque mois, nous enregistrons des plaintes venant de l’arrière pays, de grandes agglomérations en général et de Kinshasa en particulier dénonçant des pratiques odieuses et éhontées. Les banques telles que BOA, ACCESS BANK où les anciens dignitaires sont actionnaires, continuent tranquillement à faire de retrait sous un silence coupable des autorités.
    En somme, la bancarisation doit encore faire une longue route pour sa fiabilité. En cette période de la gratuité de l’enseignement primaire, un autre vice s’est ajouté dans la pratique. C’est le retour en force des pratiques éhontées du SECOPE. Alors que les enseignants attendent l’amélioration de leurs conditions de vie, entre autre l’augmentation de l’assiette salariale, l’espoir des enseignants s’amenuise. Profitant de l’identification des nouvelles unités (N.U), un nouveau système de prédation ingénieusement préparée voit le jour avec le gonflement des effectifs au ministère de l’EPST, dans les bureaux SECOPE, dans les sous-divisions, les bureaux gestionnaires des écoles. Beaucoup sont recrutés sans compétences avérées dans le domaine d’enseignement ni encore dans la gestion administrative des établissements scolaires. L’identification des NU devrait être l’occasion de reprendre tout le monde dans le fichier SECOPE, le fiabiliser le fichier, de contrôler les effectifs réels, tourne à preuve du contraire, en une fraude massive du Ministère de l’EPST et tous ses services techniques.

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