Cet article détaille les différentes notions de temps d’apprentissage des élèves.
Les analyses sur le temps des apprentissages sont comme celle de l’UNICEF (2021) sur des études quantitatives relatives au temps de présence des enseignants en classe et à l’interprétation qualitative des absences, des retards, et de leurs raisons.
Le temps en classe et le temps de travail avec l’enseignant est fondamental pour développer des apprentissages.
Mais de quel temps parlons-nous ?
Il semble qu’en changeant de point de vue sur le temps et les apprentissages, il soit possible de montrer que ce temps n’est pas unidimensionnel et qu’il présente une épaisseur dont les apprentissages sont les conséquences (sous certaines conditions évidemment). Cette description peut, bien sûr, expliquer certains effets constatés même lorsque les enseignants sont présents.
Pour essayer de mettre en place des systèmes éducatifs qui permettent que des apprentissages se construisent, il faut envisager plusieurs dimensions au temps (d’une temporalité à une durée). La première, fondamentale, est qu’il n’y a pas d’immédiateté des apprentissages, qu’ils doivent se dérouler dans un temps et qu’ils s’inscrivent dans une durée. Les apprentissages des élèves s’inscrivent dans un temps qui n’est pas le temps simple, abstrait et linéaire que l’on peut trouver dans l’histoire, dans les sciences ou les techniques. C’est un temps stratifié et en même temps vaste.
Pour rendre compte de l’épaisseur et des couches des temps des apprentissages, il est nécessaire de restituer dans toutes ses dimensions le déroulé et le contexte des apprentissages scolaires.
Le temps social
C’est la première approche du temps scolaire. Il a une histoire et s’est construit sur des raisons variables, d’occupation des jeunes (les universités et les collèges du Moyen-Âge), de formation des curés, des ingénieurs (le lycée napoléonien), mais aussi sur les besoins sociaux (les savoirs de base pour l’école de la République).
Il s’agissait d’enlever de leur milieu pendant un certain temps les enfants ou les adolescents pour les conduire sur des chemins décidés par les autorités. La durée, le rythme de ces études (et des études actuelles) sont fonction (i) des contraintes sociétales (l’été de vacances entre les foins jusqu’aux vendanges) (ii) des contraintes financières (favoriser l’étalement des vacances des adultes et promouvoir le tourisme).
Ces dimensions ont été exportées vers les pays d’Afrique sans que les raisons en fussent expliquées. En effet, il vaudrait mieux mettre les congés annuels au moment des grandes pluies (bruit sur les tôles) ou lors des trop fortes chaleurs (50° dans le désert). Les pays de l’hémisphère sud (Australie par exemple) n’ont pas cette histoire et les élèves disposent des vacances à la fin de chaque trimestre, dont six semaines, l’été. Ce temps de la société est un temps fort qui ne peut changer que sous certaines conditions, car il touche l’ensemble des corps sociaux et pas seulement les lieux d’enseignement.
Le temps institutionnel
C’est le rythme annuel des écoles, des examens, des congés hebdomadaires, des périodes « de révision », de « compositions », de découpage en semestres, du rythme des congés et de l’année scolaire (on reste une année dans la même classe, les passages ne se font jamais en cours d’année). Ce temps de l’institution est lié aussi à la manière dont les parents ont vécu leur scolarité et leur résistance au changement est d’autant plus forte que l’on touche aux symboles.
- Le jour de congé : le passage du jeudi au mercredi a été long à faire admettre, de même que la suppression du samedi (en deux temps : d’abord l’après-midi puis le matin avec le problème de sa substitution au mercredi) ;
- En France, la semaine de 4 jours1/2 à 5 jours ou à 4 jours est encore en débat ; le rythme des jours et des semaines scolaires est variable selon les pays ;
- La répartition dans la semaine : la continuité de 5 jours de travail et 2 jours de repos ou une rupture d’une journée au milieu de la semaine est discutée ; dans certains pays, une mise en œuvre d’une semaine de 6 matinées est instaurée, mais pose les problèmes de garde des enfants ou des frais liés à leurs activités vespérales. On peut encore poser le problème de la double vacation dans les pays en manque de salles de classe, ou un travail par demi-journée pour les enseignants ;
- La durée d’une journée scolaire de 6 heures réparties en deux de 3 h, ou deux demi-journées comprenant le matin les matières nobles et l’après-midi le « reste » pose encore problème (éclairé pourtant depuis longtemps par le tiers-temps pédagogique, les disciplines d’éveil, les réunions coopératives…).
En ce qui concerne les pays d’Afrique subsaharienne, les doubles vacations, les durées d’ensoleillement viennent s’ajouter aux problèmes de chronobiologie qui tentent de répondre à quelques-uns des problèmes évoqués ci-dessus. Ce temps institutionnel ne prend pas encore en compte ce qui constitue le fondement de ce qu’il faut apprendre. Il se contente de créer un sous-cadre administratif tout en utilisant des arguments relatifs aux apprentissages des élèves (souvent en prenant comme exemple l’âge primaire, les autres catégories d’élèves étant, semble-t-il, moins sensibles aux rythmes journalier ou hebdomadaire, ou, à tout le moins, capable de s’adapter). Mais les temps de sommeil différents des enfants et des adolescents doivent attirer l’attention sur les horaires de travail scolaire en fonction de l’âge des apprenants sans surreprésenter le temps social des adultes.
Le temps du professeur
C’est généralement celui qui est au centre des études et des injonctions. C’est le maître qui gère le temps de la classe. Il lui est demandé (en formation puis en activité) de rédiger des progressions (selon les apprentissages) et des programmations (leurs répartitions dans le temps). C’est aussi lui qui gère les différents moments de la classe. Il règle (pour le primaire) l’alternance des activités (temps fort-temps faible) qui permet d’éviter la surcharge cognitive, facilite des temps d’expression, de concentration, d’attention… C’est lui qui décide de la durée à laisser aux élèves pour répondre, pour chercher, pour faire (mais aussi pour rêver !).
C’est aussi le garant du respect du temps de l’année : combien de professeurs disent « je n’ai pas le temps de finir le programme » ? C’est bien ce qui justifie l’institutionnalisation des instruments de travail (progression, programmation, préparation[1]) exigés des enseignants.
C’est donc dans un cadre contraint que les maîtres doivent conduire leur enseignement. Ils doivent aussi le rythmer par des évaluations (formatives pour savoir comment avancer), sommatives (à la fin d’un chapitre), et préparer les évaluations certificatives.
Le temps amputé par les évaluations
Là, peut s’introduire un biais, par le pilotage par les évaluations, qui, dans ce cas, conditionnent les enseignements. Par exemple, « il faut des notes » conduit à donner des interrogations, quel que soit l’état d’avancement des apprentissages des élèves[2] pour remplir le livret mensuel ou trimestriel. De même, les examens (trimestriels et annuels, les évaluations nationales ou internationales) conduisent parfois à piloter les apprentissages à travers ces temps (voir au Burundi, en RDC, mais aussi dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, la définition de l’année scolaire est fixée officiellement avec 3 semaines de « révision, examen ». En outre, la prégnance des sujets d’examens influe sur la durée d’étude d’un sujet. Les professeurs accordent alors beaucoup plus de temps aux sujets susceptibles de « tomber » qu’aux autres.
Un dernier aspect de la gestion du temps du professeur, c’est la possibilité ou non de « donner » le « texte du savoir ». Ainsi, une économie de temps semble possible et efficace) surtout dans des civilisations orales où la mémoire est centrale. Il suffit de « répéter » pour montrer que l’on « sait » (ou du moins que l’on a retenu). Cette pratique de réduction du temps d’apprentissage par réduction du temps d’enseignement est d’autant plus possible que les connaissances sont algorithmiques et qu’il est, d’une part, facile de mémoriser et de reproduire cet algorithme (technique opératoire ou règle de grammaire) et, d’autre part, facile à vérifier que l’élève sait « dire » l’objet d’apprentissage.[3] L’économie de temps se fait ici par économie du « sens » de l’apprentissage.
D’autres pratiques sont à étudier (distinction entre temps pédagogique et temps didactique)[4] comme l’usage d’un temps linéaire ou rhapsodique ; la durée d’attente entre la question et une réponse (comment gérer le silence), celui pour résoudre un problème, celui pour rédiger un compte-rendu d’expérience… Les travaux de Marie-Pierre Chopin (2004, 2006, 2007…)[5] sur le temps didactique vont au-delà de ces quelques remarques et constituent une référence en la matière. Même si sa thèse est basée sur un volet de didactique des mathématiques, ses résultats vont au-delà de ce domaine et touchent à tous les aspects du temps du professeur.
Les temps des élèves
C’est le seul temps sur lequel nous n’avons pas de réelles études puisqu’elles dépendent de l’objet d’apprentissage et du « milieu »[6]. Cependant, force est de constater que la gestion de ce temps est extérieure à l’élève (dans sa scolarité obligatoire), mais c’est cette même gestion « apprise » qui lui servira pour continuer ses études. Il est possible de distinguer quatre temps pour caractériser l’accès assuré d’un élève à une connaissance, un savoir, une compétence… Il faut garder à l’esprit que chacun de ces temps est nécessaire pour rendre possible puis effectif cet apprentissage. En particulier, certaines dimensions sociales ou économiques interfèrent avec les modalités de mise en œuvre. En effet, pour que ces temps d’apprentissages puissent exister, il faut qu’il puisse en faire usage. Par exemple, l’absence d’électricité, le soir après la classe, rend complexe le 4e temps, celui des mémorisations et des devoirs à la maison. La malnutrition et les conditions de vie sont aussi un obstacle aux « temps » d’apprentissages.
Un modèle américain
Cité dans l’article de la note 5 définit cinq niveaux d’analyse du temps dans l’enseignement, mais il se centre trop globalement sur le processus d’enseignement, négligeant une part de ce qui est à la charge de l’élève.
Les quatre niveaux proposés ici ne sont qu’une description « de bon sens ».
- Le temps de compréhension: lors d’un processus d’apprentissage, il est communiqué à celui qui apprend, une tâche dont la réalisation doit lui permettre de passer d’un état « d’ignorant » à un état de « sachant ». Les processus de métacognition, le fait de mettre la question d’un problème avant son énoncé… provoquent, parfois, une meilleure réussite en raison de la compréhension fructueuse de la tâche et de sa finalité. Cette compréhension s’appuie aussi sur la motivation (interne ou externe à la tâche), sur les conditions de travail… Elle nécessite une durée minimale pour que les facteurs en jeu contribuent, chacun pour ce qu’il engage, à la mise en mouvement du système d’apprentissage. En premier lieu, la compréhension du texte de la consigne et de son contexte ; ensuite la construction d’une représentation de la tâche à accomplir et enfin, le temps d’engagement dans cette tâche (rassembler le matériel, se lancer…). Ce temps est celui de la dévolution. Il est fonction de l’objet d’apprentissage et de la tâche censée permettre d’atteindre la connaissance en jeu.
- Le temps d’apprentissage – le temps didactique : c’est le temps nécessaire pour que la situation fonctionne et permette à l’élève d’acquérir le savoir ou la connaissance ou la capacité ou la compétence… à l’œuvre dans cette situation (correspondance graphophonologique, problèmes additifs, fonction respiratoire…). Ce temps d’apprentissages (par assimilation ou accommodation, sur une connaissance déclarative ou procédurale) est une donnée croisée des possibilités personnelles de l’élève et de la situation. Les conditions de réalisation de cet apprentissage ne sont pas universelles, mais il est possible d’extraire des constantes qui sont fondées par des études didactiques. Certaines ont un poids temporel excessif, d’autres par leurs raccourcis rendent plus difficile leur acquisition. C’est le temps de « l’activité » (qui peut inclure celui l’action de la formulation, de la validation). Il dépend de la situation didactique et de ses variables. Il est aussi soumis à l’équilibre des durées liées à chaque item du curriculum. Pour le maître, c’est la durée à consacrer à chaque partie du programme d’études.
- Le temps de mémorisation: c’est le temps nécessaire à l’automatisation de certaines tâches (une mémoire des résultats des tables de multiplication pour utiliser facilement l’algorithme ; une vitesse de déchiffrage suffisante pour ne pas « hacher » les phrases ni les textes ; une habileté manuelle suffisante pour utiliser des instruments de dessin ou de mesure ; des règles orthographiques automatisées pour une écriture plus fluide…). Il y a de l’entrainement et de l’usage de procédés mnémotechniques pour atteindre ce niveau d’usage de la connaissance. C’est un temps généralement laissé à « l’étude » ou aux devoirs à la maison, l’institution ne prenant que rarement en charge ce temps-là.[7]
- Le temps d’extension: c’est le temps de la « compétence ». Il n’est jamais certain qu’un apprentissage technique ou particulier permettra de disposer de compétence relativement à ce sujet (quand faire une multiplication dans un problème ?).[8] Il semble cependant que, dans certains cas, ce temps puisse être consubstantiel de celui de l’apprentissage. L’exemple de la multiplication et du temps passé à identifier les paquets égaux (ils sont composés du même nombre d’objets) puis à compter les paquets (objets d’un ordre conceptuel supérieur) semble être un moyen de favoriser l’extension du concept de multiplication à des situations de même nature. Ce temps d’extension est donc soit complémentaire (identifier des cas où Thalès s’applique, puis reconnaître immédiatement qu’il peut être utilisé) soit intégré à l’apprentissage lui-même. Ce temps n’est pas celui d’un approfondissement, mais d’une validation de la disponibilité d’un « savoir agir » dans des situations différentes de celles d’origine.
Conclusion
Ces différents temps se complètent et s’interpénètrent en fonction des objets de savoir, mais ils se déploient toujours dans une durée où ils peuvent être identifiés. Un des enjeux de l’éducation dans les pays en voie de développement est de parvenir à faire vivre l’ensemble de ces temps pour ce qu’ils impliquent. Il faut alors introduire des processus de transformation là où ils peuvent avoir du sens. Chaque pays a son passé qu’il convient de respecter et c’est avec des processus d’accompagnement du changement par effet levier (par exemple) que l’on peut construire des systèmes respectant les différents « temps d’apprentissages ».
Pierre-Yves Vicens
[1] Dans les pays héritiers du système belge, on parlera du cahier de répartition de matière et de cahier de préparations.
[2] Il convient de distinguer le temps du déroulé des leçons (le temps d’enseignement) du temps d’apprentissage (lié au temps de l’élève).
[3] La technique d’extraction, à la main, d’une racine carrée était enseignée en 3e au collège. Personne (ou presque) dix ans après ne se souvient de l’algorithme, car rien ne vient soutenir son exécution.
[4] Le temps pédagogique est celui des processus mis en place (travaux de groupe…) le temps didactique est spécifique d’une connaissance ou d’un savoir (résoudre des problèmes additifs par exemple de type état – transformation-état)
[5] Le temps de l’enseignement, paru en 2011 aux Presses Universitaires de Rennes et différentes publications dont sa thèse en 2007, ou Marie-Pierre Chopin, « Les usages du « temps » dans les recherches sur l’enseignement », Revue française de pédagogie, 170 | 2010, 87-110.
[6] Les phénomènes de transposition didactique le citent dans la théorie anthropologique, mais n’exploitent pas la notion de « temps des élèves » comme objet d’études
[7] Il y a eu une tentative des « études dirigées » incluses dans le temps scolaire français des années 1980, mais il n’a jamais été sérieusement décrit ni mis en place.
[8] L’exemple de l’âge du capitaine est le prototype de cette difficulté.