Par Aïcha SIDI
La situation de travail des enfants en Bolivie peut être dépeinte par l’histoire de Carla ; une jeune fille de sept ans qui vendait toute la journée des cigarettes et des sucreries dans les rues et les bars. Elle avait des amis qui habitaient dans la rue et «sniffaient» chaque jour un tube de colle pour ne pas sentir le froid et la faim. A l’âge de 10 ans, Carla va rencontrer un membre du foyer d’accueil pour fille, la « Casa Kantuta », soutenu par l’UNICEF qui l’aidera à retrouver le chemin de l’école. L’histoire de Carla, bien que datant de l’année 2003 peut être un aperçu de la situation des enfants en Bolivie qui très tôt sont livrés à eux-mêmes.
Le gouvernement bolivien vient récemment d’autoriser le travail des enfants à partie de 10 ans, ce qui contrevient aux conventions internationales. Quel est l’impact potentiel de cette mesure ?
Le travail des enfants en Bolivie est particulièrement important. En effet, en 2008, près de 850 000 enfants travaillent en Bolivie, représentant 25,9% des 5 à 14 ans selon les données l’étude sur les enfants en hors de l’école en 2008 de l’UNICEF. Il va du cirage des chaussures, de la vente de cigarettes ou autres, jusqu’au travail des mines. La mine de Potosi qui été pendant longtemps source de production d’argent est aujourd’hui sinistrée par une pauvreté chronique. Partout, les enfants travaillent, parfois très jeunes, sans grand espoir de s’extraire de ces conditions de vie désastreuses ; rapporte un reportage de France 24.
La carte ci-dessous présente par départements le pourcentage d’enfants de 5 à 14 ans qui travaillent et le nombre d’heures de travail hebdomadaires.
Source : Fait par les auteurs à partir des données OOSC 2011 et d-maps pour le fond de carte
Les régions de la paz et de Potosi sont connues pour les exploitations minières où le travail des enfants s’avère dangereux. A Potosi, les enfants travaillent en moyenne 81 heures par semaine, correspondant à plus du double du travail d’un adulte dans la plupart des pays.
En plus de sa prédominance, le travail des enfants en Bolivie se déroule dans des situations difficiles ; il importe de se porter sur les causes de ce phénomène et d’explorer les actions mis en place pour y remédier.
Pour une population vivant dans des conditions précaires, le travail des enfants se trouve être une source de revenu.
La raison majeure qu’évoquent les enfants pour justifier leur travail est le besoin de ressources financières. Pour les enfants sans abris, ce n’est plus un choix mais plutôt une nécessité. Dans les divers témoignages, des enfants qui travaillent veulent aider leurs parents financièrement.
Le travail des enfants serait donc un phénomène qui s’impose aux plus pauvres. Le tableau ci-dessous nous montre le pourcentage de travail des enfants selon les quintiles de richesse.
Tableau1 : Travail des enfants par quintiles de richesses
Source : Fait par les auteurs à partir des données OOSC 2011
Le tableau nous montre que le travail des enfants est prédominant chez les plus pauvres. Plus de 50% des enfants abritant les ménages les plus pauvres travaillent contre 12% des ménages les plus riches.
Le travail des enfants est également plus visible dans le milieu rural (plus de 53%) et modéré dans le milieu urbain (9%). En effet, selon l’ONG Humanium, la Bolivie est l’un des pays les plus pauvres au monde (le plus pauvre d’Amérique Latine) qui connait une situation économique très délicate, en particulier dans les régions rurales. Plus de 60 % des Boliviens vivant dans les zones rurale n’ont pas accès à l’eau potable et plus de 20 % ne disposent pas de toilettes.
Ces conditions des populations seront donc celles qui les poussent à mettre très tôt l’enfant face aux réalités de la vie et à le pousser à ramener des revenus pour participer aux dépenses du ménage et à la survie de la famille.
Fait culturel
En Bolivie, pays de dix millions d’habitants, le travail des enfants est culturellement considéré comme normal, et il existe même un syndicat de jeunes ouvriers créé en 2011, l’Unatsbo, qui milite pour sa régularisation et refuse tout âge légal minimum.
Le pourcentage du travail des enfants dépend aussi du niveau scolaire du chef de famille, lui même bien sûr lié au revenu.
Tableau 2 : Travail des enfants en fonction du niveau d’éducation du chef de ménage
Source : Fait par les auteurs à partir des données OOSC 2011
Plus le chef de famille est avancé au niveau scolaire, moins les enfants travaillent. Toutefois, le travail des enfants n’est pas nul pour les diplômés du supérieur, ce qui montre que malgré le niveau d’études, le travail des enfants reste d’ordre culturel. Le chef de l’Etat Bolivien, Evo Morales lui-même, a commencé à travailler très jeune et soutient que le travail aide à développer la “conscience sociale”.
Un directeur de briqueterie affirme qu’ « il vaut mieux leur inculquer depuis tout petit ce que signifie le travail, ce que signifie les études pour qu’ils prennent conscience de la valeur de qu’ils obtiennent à la sueur de leur front».
Loi autorisant le travail des enfants dès l’âge de 10 ans
C’est dans ce contexte assez propice, que le président bolivien Evo Morales a instauré la Loi autorisant le travail des enfants à partir de l’âge de 10 ans (le 2 Juillet 2014).
Cette loi vise à la fois à améliorer les conditions de travail des enfants mais légalise aussi ce travail en contradiction avec les conventions internationale.
En effet, la Bolivie a adhérer à la convention 138 de l’OIT qui stipule que l’âge minimum légal pour travailler dans les pays en développement est de 14 ans.
Cette loi a été revendiquée par l’Unatsbo qui trouve l’âge légal de travail trop avancé. Selon eux, elle est comme pour en « finir avec l’hypocrisie » et décrire la réalité qui semblerait être la même au Brésil, en Argentine, au Pérou et aux Etat unis.
Les spécificité culturelles nationales ont donc primé sur le droit international, ce qui peut créer un dangereux précédent. En effet, dans les pays où le travail des enfants est peu encadré, l’abaissement de l’âge légal du travail peut avoir des conséquences catastrophiques et légitimer des pratiques qui contreviennent aux droits humains et au principe de scolarisation universielle.
Impact négatif sur les enfants
Le travail des enfants avec un nombre élevé d’heures de travail a surement un impact négatif sur la scolarisation des enfants. Il est clair que la loi visant à autoriser le travail des enfants dès l’âge de 10 ans constitue une entrave à l’atteinte des objectifs du millénaires, l’éducation pour tous.
L’adoption de la dite loi irait dans le sens de l’éradication de la pauvreté extrème qui est le premier pillier de l’agenda patriotique 2025. Cependant, est-il possible de percevoir une réduction de pauvreté sans éducation quand on sait qu’une année d’éducation supplémentaire est associée à un plus grand revenu individuel et collectif (au niveau macro) ? Où l’enfant de 10 ans est-il capable de joindre éducation et travail ? Ce n’est pas l’avis des ONG telles que Anti-Slavery International (contre l’esclavage) et Human Rights Watch qui pensent que cette loi pourrait produire des effets contraires. Il n’est pas possible d’aller à l’école lorsque l’on travaille 80 heures par semaine comme c’est le cas dans la région de Potosi.
Aussi, le travail des enfants dans des zones dangereuses réduisent la durée de vie de la population qui a la plus basse espérance de vie de la sous région (65 ans selon la Banque mondiale), notamment dans les mines où le travail s’avère plus rude. D’après une étude de l’UNICEF, l’espérance de de vie des enfants travaillant dans les mines ne dépasse pas 40 ans surement à cause des condition de travail insalubre, techniques rudimentaires, et l’exposition aux maladies pulmonaires.
Dans cette situation de non valorisation de l’enfance, il serait préférable de lutter contre le travail des enfants en leur apportant de l’aide comme en a bénéficié Carla plus haut. Cette action est plutôt menée par les organismes internationaux et les ONGs sur place.
Démarches entreprises sur place et propositions de solutions
L’organisation Internationale du Travail affiche sa préoccupation par rapport à la nouvelle loi qui va à l’encontre des actions antérieures du gouvernement visant à réduire le travail des enfants et les pires formes de travail. Elle affirme vouloir soutenir les « efforts des autorités boliviennes, des organisations de travailleurs et d’employeurs et de la société civile dans son ensemble, qui visent à éliminer le travail des enfants et à promouvoir le travail décent pour les adultes. »
L’Unicef intervient également dans le parrainage des enfants en les aidant à retrouver le chemin de l’école. Elle a secouru plus de 90 enfants du travail des mines, chiffre modique en rapport avec l’importance du phénomène.
Plusieurs ONGs, dont SOS enfants et Enfants de Bolivie œuvrent pour la réinsertion des enfants dans l’éducation et l’amélioration de leurs conditions de vie.
Il serait préférable que l’Etat Bolivien s’oriente dans ce sens…