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Les élèves du lycée Lubusha en manifestation à Lubumbashi. Source : @Photo Droits tiers, publié le 22 août 2022 à 08:50:00

Un établissement scolaire de jeunes filles risque d’être démoli au profit de l’exploitation minière dans la Province de Haut Katanga en République Démocratique du Congo

Des signes encourageants de droit à l’éducation de la jeune fille ces dernières années

Le droit à l’éducation de la jeune fille est devenu comme une pierre d’angle pour une éducation inclusive dans les pays du sud en général et la République Démocratique du Congo. Dans un passé récent, avec nos pesanteurs culturelles, la jeune fille était censée rester auprès de sa mère pour apprendre les différentes tâches ménagères, à cultiver les champs et faire la récolte. Elle devait se préparer à être future mère, et seules quelques-unes avaient l’opportunité et même la chance d’aller à l’école.

Il a fallu plusieurs plaidoyers et plusieurs instruments juridiques internationaux et nationaux contraignants pour créer la rupture.  A ce jour, la courbe de la population scolaire de la jeune fille ne cesse d’accroitre tel que le présente le tableau ci-contre.

Tableau 1 : Evolution des taux brut de scolarité et indice de parité, par niveau d’enseignement et  genre 2012-2020

2011-2012 2012-2013 2013-2014 2014-2015 2018-2019 2019-2020
TBS Préscolaire
Garçons 3,3% 3,3% 3,5% 3,7% 4,7% 5,6%
Filles 3,5% 3,5% 3,7% 4,0% 5,0% 5,9%
Indice de parité 1,06 1,07 1,06 1,06 1,07 1,06
TBS primaire
Garçons 94,2% 95,4% 98,9% 100,5% 97,9% 111,0%
Filles 83,3% 86,0% 89,4% 92,0% 91,7% 103,6%
Indice de parité 0,88 0,90 0,90 0,92 0,94 0,93
TBS Cycle terminal Éducation de base
Garçons 53,5% 53,3% 58,6% 58,9% 58,3% 67,0%
Filles 35,6% 36,9% 38,3% 39,4% 47,5% 54,9%
Indice de parité 0,67 0,69 0,65 0,67 0,82 0,82
TBS secondaire
Garçons 42,3% 40,5% 41,8% 41,5% 49,2% 50,5%
Filles 22,7% 23,0% 25,0% 25,6% 32,8% 36,9%
Indice de parité 0,54 0,57 0,60 0,62 0,67 0,73

Source :  Statistiques scolaires et populations Institut National de la Statistique

Le tableau comparatif ci-dessus montre combien pour chaque TBS (Taux brut de scolarisation) le taux a fortement augmenté. Les chiffres sont très encourageants, nous sommes passés de 8.759.523 filles scolarisées en 2014 à 12.324.101 filles en 2020.

Une comparaison[1] avec les autres pays d’Afrique Centrale fait ressortir plusieurs faits :

  • La RDC est un des rares pays à fournir pour tous les cycles et les années
  • Les chiffres de la RDC ci-dessus sont cohérents avec les données de l’Institut de Statistiques de l’UNESCO
  • La RDC a plus progressé dans la scolarisation des filles au secondaire que les autres pays.

Des sources d’inquiétudes

Fort malheureusement, les nouvelles en provenance de la Province du Haut-Katanga laissent planer une certaine inquiétude. En effet,  dans cette province  de Sud-Ouest de la République Démocratique du Congo, depuis plus d’un mois, un établissement secondaire le  Lycée Lubasha à Luisha, risque d’être démoli par une société  d’exploitation minière.

Lycée Lubasha à Luisha

Construit vers la fin les années 50, le lycée LUISHA a été construit pour accueillir les jeunes filles dont l’âge varie entre 12 à 18 ans. Possédant une infrastructure très moderne, les salles des classes sont bien équipées. Il dispose de des laboratoires, d’ateliers de coutures et des salles de gymnastique.

En dehors de tous ces éléments, un pensionnat très moderne fonctionne au sein de l’établissement. Les jeunes filles peuvent être nourries et passer la nuit dans des conditions très confortables. Patrimoine de l’archidiocèse de Lubumbashi, le lycée est dirigé par une congrégation religieuse.

Alors qu’on cherche à briser tous les obstacles culturels pour amener plus des filles à l’école, on veut démolir ce lycée et mettre les filles dans une incertitude scolaire. Plus loin, la proportion des infrastructures scolaires en dûr est déficitaire ?

Comment peut-on démolir une infrastructure pareille au profit de l’exploitation de cobalt?

L’exploitation des ressource risque de primer dans les provinces à vocation minière au détriment de l’éducation des filles.

En effet, la province du Haut Katanga dans le Sud-Est de la République Démocratique du Congo, est très riche en gisements miniers. Depuis 2018, plusieurs sociétés chinoises, sud-africaines et autres naissant comme des champignons,  ont acquis des carrés miniers et les permis d’exploitation auprès du gouvernement soit provincial soit national. Ainsi, en se donnant à l’exploitation à fond, les villages et infrastructures sont parfois rasées, les ressources du sous-sol sont extraites et directement acheminées en dehors du pays pour être vendues à des sommes astronomiques.

Parmi ces infrastructures, on peut citer le cas du Lycée LUISHA qui se retrouve dans un terrain accordé à deux entreprises ” COMILU et EXCELLENCE”. D’après le rapport de la prospection des experts techniques de ces entreprises, ils ont découvert une grande quantité de gisement de cobalt. Nous savons actuellement dans  l’ingénierie, ce que représente le cobalt par exemple dans la fabrication des batteries des voitures électriques, les batteries des smartphones et d’autres.

Enjeux éthiques liés aux mines artisanales de cobalt: un métal controversé

Un article du site Justice et paix nous informe que :

« En RDC, près de 200 000 mineurs dépendent directement de la filière artisanale de cobalt pour vivre. Les revenus théoriques générés par cette industrie sont estimés à 800 millions de dollars. Le secteur artisanal du cobalt est donc, non seulement un moyen de subsistance essentiel pour la population mais également une source potentielle de revenus pour l’Etat.

 Le rapport : « Voilà pourquoi on meurt », publié par Amnesty International et Afrewatch a contribué à mettre en lumière les conditions épouvantables dans lesquelles est extrait le cobalt. Ce rapport met en évidence le travail des femmes et des enfants, l’exposition des creuseurs à des produits toxiques, l’absence de salaire décent, de mesures de sécurité adéquates et les dégâts importants sur l’environnement. »

Un enfant en RDC lavant du minerai, dans la province du Katanga. (Photo Meinrad Schade/Laif-REA)

C’est la face cachée des smartphones, des ordinateurs portables et des voitures électriques. Le cobalt, un ingrédient essentiel au bon fonctionnement des batteries lithium-ion, est extrait principalement en République démocratique du Congo (RDC) dans des conditions dramatiques.

Que deviendra alors toutes ces jeunes filles, les enseignant-e-s et travailleurs si cet établissement est démoli, dans la mesure où aucune solution palliative n’est envisagée? Le silence assourdissant des autorités politiques  tant provinciales que nationales sur cette question inquiète, pour ne reprendre un vieux dicton  “qui ne dit mot consent”.

Il faut sauver et protéger  le droit à l’éducation des jeunes filles et de tous.

Certaines voix, surtout celles des acteurs  de la société civile, sont montées au créneau  pour défendre le Lycée  LUISHA. L’Archevêque Métropolitain de Lubumbashi par exemple, est  descendu sur le lieu pour  s’imprégner et juger  de la situation.  A la fin de sa visite, il est monté au créneau pour dire haut et fort son indignation et son opposition à la démolition  de cet établissement secondaire qui accueille des jeunes filles depuis des années: il faut sauver ce lycée a une valeur inestimable, a-t- il dit sévèrement derrière un ton grave.

Dans la même optique, la Fédération Nationale des Enseignants et éducateurs sociaux de l’Union Nationale des travailleurs du Congo, FENECO/UNTC en sigle, ne voudrait pas rester silencieux et s’en joint aux autres pour défendre cet établissement. Si déjà le droit à l’éducation et surtout celui des jeunes filles est aujourd’hui l’un de fer de lance pour une éducation inclusive, tel que repris dans le volet accès de la stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation 2016-2025, Il est un non-sens de démolir une telle bâtisse pour les intérêts égoïstes.

Si la FENECO/UNTC défend le droit  des enseignant-e-s et du personnel de soutien à l’éducation, elle défend aussi le patrimoine du secteur car il n’y a pas d’enseignants sans école.

Laisser ces entreprises démolir cet établissement scolaire qui fait la fierté de la province en termes d’infrastructures, de qualité de la formation donnée à la jeune fille de cette contrée, donnera un alibi de taille aux autres entreprises pour faire la même chose dans les provinces  à vocation minière. Il faut sauver le lycée de LUISHA en arrêtant ce projet de démolition.  La société civile doit se mobiliser  pour défendre ce patrimoine commun pour le bien de la jeunesse en général et de la jeune fille en particulier.

Jacques Taty Mwakupemba,

FENECO/UNTC, Correspondant du Blog Meridie en RDC

[1] Données ISU extraites du site Edstats de la Banque Mondiale le 16 septembre 2022, années 2010 à 2020.

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