En 2007, le Programme d’Analyse des Systèmes Educatifs de la CONFEMEN (PASEC) créé en 1991 au sein de la Francophonie, a commandité une analyse des curricula sur l’espace francophone, grâce une subvention DGF-IEA. Qu’enseigne t’on dans les classes en Afrique francophone ? Les instructions officielles sont-elles respectées ? Y a t’il des divergences importantes entre les programmes des différents pays ?
L’objectif était d’identifier un tronc commun de compétences, base de nouveaux tests d’évaluations. Ce travail a été réalisé par l’Université de Liège, AsPE qui a joué un rôle d’encadrement scientifique, l’Institut National d’Etudes et d’Action pour le Développement du Sénégal (INEADE), un conseiller technique du PASEC (votre serviteur), un contractuel et les équipes nationales PASEC. Les travaux se sont focalisés sur la cinquième année de l’enseignement primaire et sur le français et les mathématiques.
La démarche d’analyse
C’est la première fois qu’une revue complète des curricula était menée en Afrique francophone avec un tel niveau de détail même si le Bureau International de l’Education (UNESCO BIE) a une base de données et un ensemble de documents sur les curricula. L’ADEA a aussi travaillé sur la place des langues nationales dans le curricula. Une analyse des curricula au niveau mondial est en cours au sein de l’Institut Statistique de l’UNESCO. L’originalité des travaux réside dans la passation de questionnaires aux enseignants pour cerner leurs pratiques en classe (les curricula implantés). Pour des raisons de moyens, une observation d’un cours en classe n’a malheureusement pas pu être réalisée et les données recueillies sont déclaratives.
Les programmes scolaires, manuels et guide du maîtres ont été décortiqués, et des enseignants ont été aussi enquêtés dans cinq pays, afin de mesurer l’écart entre le curriculum officiel et les curricula effectivement implantés dans les classes. Les curricula ont largement évolué depuis la construction des tests PASEC dans les années 1990. L’approche par les compétences a été promue et adoptée par de nombreux pays, sans toutefois que son intégration dans le programme de formation des maîtres soit effective, source, entre autres choses, de problèmes d’implantation sur le terrain. Cette approche pédagogique est largement débattue, en Afrique, voir un état des lieux par Xavier Roegiers, l’article de Jean-Marc Bernard … mais aussi dans les pays du Nord. Voir une lettre ouverte au Ministre du Québec. L’approche par les compétences n’est pas l’objet de cette note.
Une approche quantitative a été utilisée pour “mesurer” les curricula, selon Lejong il s’agit de : « confronter les programmes à des modèles établis par des panels d’experts qui définissent les compétences clés pour une discipline et les standards ou niveaux à atteindre ». Il s’agit concrètement d’établir la répartition par domaine, par objectifs pédagogiques et par processus cognitifs visés par le curriculum, tant dans les instructions officielles que dans les classes (30 par pays). Des grilles d’analyse ont été construites à partir des travaux de l’IEA, de l’OCDE et de la Communauté Française de Belgique.
Pour la mesure des curricula implantés, des questionnaires ont été passés aux enseignants à qui on a soumis à leur appréciation un ensemble d’items couvrant une large gamme d’objectifs pédagogiques. On leur a aussi demandé de corriger des épreuves d’élèves et surtout quelles questions d’évaluation (exercices) ils utilisaient auprès de leurs élèves, qui sera choisie comme la mesure privilégiée pour le curricula implanté.
S’agissant des curricula officiels, l’INEADE a donc compté les occurrences et le nombre de pages dévolues par exemple à la grammaire, à la lecture, etc dans les programmes officiels, manuels scolaires et guides du maître. Un véritable travail de fourmi… On notera qu’il a été parfois difficile d’obtenir les documents au niveau des ministères de l’éducation et que la quantité et l’exhaustivité des matériels fournis varient grandement entre pays. Néanmoins, l’analyse fait ressortir de fortes divergences des domaines visés principalement par les curricula en cinquième année, suite aux réformes pédagogiques. Les résultats ont été présentés aux Ministres de l’Education par Michèle Lejong lors de la 53ème Conférence Ministérielle à Caraquet en juin 2008.
Voir ici les trois powerpoint très complets, présentant la démarche, les outils et les résultats incluant des recommandations. Les principaux enseignements sont présentés ci-dessous.
Les curricula officiels
En français, un recoupement des domaines a été effectué afin de faciliter la présentation des résultats. On distingue :
- les apprentissages formels portant sur les outils au service de la langue écrite et orale, hors contexte (l’orthographe, la grammaire, la conjugaison, le vocabulaire, l’écriture, les récitations, les comptines et les chants).
- les apprentissages non formels portant sur les finalités propres à la langue : lire, écrire, parler, écouter
En mathématiques, les processus cognitifs mobilisés varient grandement, la résolution de problèmes étant parfois absente ou en proportion négligeable dans les instructions officielles dans la moitié des pays. Il en va de même du raisonnement. Les analyses également ont montré un écart important entre les programmes et les manuels scolaires (parfois anciens comme le fameux « Mamadou et Binetta » au Sénégal pour l’apprentissage de la lecture). Pour certains, le manuel doit suivre strictement le programme, pour d’autres il est un complément ce qui justifie un certain écart.
Les processus cognitifs de bas niveau taxonomique (selon Bloom) semblent privilégier dans les instructions officielles, qu’en est-il dans les classes ? Les pratiques pédagogiques des enseignants suivent-elles les recommandations du Ministère ?
Ecart entre instructions officielles et curricula implantés dans les classes
Cinq pays ont fait l’objet d’une collecte d’informations sur les curricula implantés : le Bénin, le Cameroun, Madagascar, le Niger et le Sénégal. Il s’agissait d’aller enquêter 30 enseignants par pays et de les interroger sur leurs pratiques en classe. On demande aux enseignants de rédiger cinq questions d’évaluations en français : 592 réponses ont été collectées. En mathématiques, on demande à l’enseignant de produire cinq questions et l’on collecte 691 réponses. Les graphiques ci-dessous présentent les répartitions des questions posées par domaine et la comparaison avec le curricula officiel.
De même en mathématiques, un décalage important existe entre les curricula officiels et implantés au niveau de la numération et de la résolution de problèmes. Le raisonnement est quasiment absent des processus cognitifs mobilisés (1%), mais la résolution de problèmes pèse 18% des processus mobilisés, bien que quasi-absente des instructions officielles. Que ce soit en français ou en mathématiques la situation est très hétérogène au sein d’un même pays, on observe de grandes variations entre les maîtres quant aux nombres de situations d’apprentissage mises en œuvre. On note aussi que les questions dites citoyennes portant sur un contenu scolaire simple et est intégrée dans un contexte de vie courante sont rejetées par les enseignants, car les modalités de présentation sont inhabituelles. Des fiches pays très détaillés ont été produites faisant le point de l’implantation des curricula.
La place de la lecture dans les pratiques en classe
Il est utile de s’attarder sur la place de la lecture dans le curricula officiel et dans les pratiques en classe, qui est un fondement de l’acquisition de compétences plus complexes (lire pour apprendre). Lejong note que dans les programmes et manuels la « Compréhension en lecture » est dix fois plus présente que la « Production orale » et que la « production écrite » dans tous les pays. Parmi les 150 enseignants enquêtés, la moitié consacre moins de deux heures d’enseignement à la lecture en classe, alors que la géométrie occupe plus de 4H du temps d’enseignement pour la quasi-totalité des enseignants, à moins qu’il ne s’agisse en fait de faire des dessins.
Constats et recommandations
Michèle LEJONG constate que la méconnaissance de la matière de certains enseignants rend le système scolaire inéquitable sur le plan social et inefficace sur le plan pédagogique et qu’en matière d’évaluation, le jugement ou la correction formelle prend le pas sur l’évaluation formative et sur le feedback spécifique.
A partir des facteurs d’efficacité pédagogique établis dans la littérature (Verspoor) et des résultats de ses analyses, elle recommande :
- d’augmenter le temps d’instruction en mettant en place (au niveau central) des standards à respecter et les soutenir par des mesures de pilotage local.
- De cerner les priorités dans le programme (donner des balises aux enseignants. fournir un recueil de situations à maîtriser ou un socle de compétences).
- D’augmenter le niveau de formation des maîtres, notamment via l’enseignement à distance ou d’autres formations en cours de service (locales). La radio interactive a des effets positifs sur le rendement.
- D’améliorer le niveau des enseignants par l’apport de manuels bien construits, de guides pédagogiques
- De former et encadrer les enseignants à diagnostiquer les erreurs et les oublis dans les réponses des élèves, à réguler leur enseignement.
- De disposer de manuels, de guides didactiques, pédagogiques qui fassent une large place à ces compétences (séquence de leçon, test d’évaluation formative, analyse des erreurs, pistes didactiques), avec des textes accompagnés de questions variées et de haut niveau taxonomique
- Que les guides didactiques pédagogiques, très prisés des enseignants, soient un des vecteurs privilégiés pour modifier les pratiques des enseignants qui éprouvent certaines difficultés à “sortir” des stéréotypes : variété de situations méthodologiques, consolidation ou amélioration des connaissances matière des enseignants, exploitation de situations de classe (réponses d’élèves).
- Que les enseignants soient formés à enseigner les démarches expertes de résolution de problèmes et à construire les épreuves d’évaluation sur les finalités de la langue
Sur le plan politique et scientifique, ces travaux méritent d’être mieux exploités.
Bien! Je suis content de voir les résultats de cette recherche. Quelles sont les conclusions en ce qui concerne les corrélations avec les évaluations PASEC? A-t-on fait un pas en plus pour analyser l’évolution entre curriculum appliqué et curriculum testé?
OUI les powerpoint donnent des informations sur l’écart test-curricula. les tests PASEC sont en phase de révision et une nouvelle version devrait être testée sur le terrain prochainement, avec des items SACMEQ aussi je crois.
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Communiqué de presse de clôture des Assises sur les réformes curriculaires
http://www.confemen.org/spip.php?article408
Publication par le CIEP d’une étude sur les réformes des curricula en Afrique.
http://www.ciep.fr/publi_educ/docs/actes-reformes-curriculaires.pdf
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