Par Ben Wandivinit et Pierre Varly
Dans son livre récent “Une école pour tous les enfants du monde”, Pierre-Yves Vicens, membre de MeridiE, expose sa vision de l’école et de l’apprentissage dans une école inclusive. Le livre est disponible sur Africa livre.
S’appuyant sur l’histoire de quelques systèmes éducatifs européens et africains, sur ses expériences professionnelles en tant qu’enseignant, chef de projet et consultant en éducation France en Afrique francophone, il brosse un tableau complexe des problèmes et des obstacles qui entravent l’accès de tous les élèves à des apprentissages concrets.
Les sections ci-dessous simplifiées et basées sur des extraits du livre donnent un avant-goût du contenu que les lecteurs potentiels pourront approfondir à partir du texte intégral.
Les débuts d’une pensée internationale de l’éducation
Depuis la Seconde Guerre mondiale, des agences de l’ONU telles que l’UNICEF et l’UNESCO ont construit une pensée éducative unique. Des déclarations et des intentions considérées comme unanimes pour tous les pays. Par la suite, partout, et surtout dans les pays en voie de développement, les systèmes éducatifs ont été influencés, pilotés, financés et aidés par des coopérations internationales.
Les financements proviennent de sources multilatérales telles que la Banque mondiale, le programme mondial pour l’éducation, la BAD, l’Union européenne, l’UNICEF et l’UNESCO, ainsi que de sources bilatérales telles que l’USAID, la GIZ, l’AFD, ENABEL, la Norvège, etc.
Un pouvoir d’influence considérable
Ces bailleurs de fonds ont une influence importante. Ils sont devenus indispensables au fonctionnement des systèmes éducatifs qu’ils financent. Ce pouvoir leur permet de choisir les interventions qu’ils soutiennent. Ce faisant, ils s’assurent que les politiques et les philosophies de l’éducation sont alignées sur les leurs. Même si elles ne sont pas justifiées ou adéquates dans un contexte donné.
Ainsi, en 2018, un bailleur a pu imposer, en finançant l’étude, des cahiers d’apprentissage du déchiffrage en kirundi au Burundi. Ils ont été totalement inefficaces et pratiquement inutilisés. En effet, ces types de cahiers n’avaient été expérimentés qu’au Mali et au Rwanda. Et cela sans aucune perspective de généralisation ou de leur complémentarité aux manuels scolaires de ces deux pays.
Ceux qui dépendent vs. ceux qui profitent de l’aide internationale
L’afflux de financements est tel que les « receveurs » n’osent pas discuter les contenus. Ils se sont habitués au soutien financier régulier de leurs systèmes éducatifs. Par conséquent, ils ont un besoin urgent de cet argent qui arrive.
Les conditions d’obtention d’aides internationales sont complexes. Elles nécessitent souvent l’aide d’agents partenaires pour rédiger les demandes avec des critères stricts. Les pays en développement ont besoin de l’aide de bureaux d’études occidentaux pour remplir les modalités d’attribution. Mais cela implique des frais de gestion importants. Les professionnels étrangers sont souvent ceux qui répondent aux appels d’offres, ce qui provoque un retour des financements vers les pays donateurs.
De plus, les pratiques de coopération ignorent souvent les besoins spécifiques des élèves scolarisés dans des conditions difficiles, ce qui réduit, par exemple, le temps de présence à l’école. La formation des enseignants est également souvent encadrée par des étrangers qui reproduisent les pratiques de leur pays d’origine.
L’idéologie néolibérale, facteur de déficience des systèmes éducatifs
Depuis 1984, date du premier retrait des États-Unis de l’UNESCO, la Banque mondiale a gagné en influence dans la gouvernance mondiale de l’éducation. Ainsi, elle impose un modèle d’utilisation massive de statistiques fondées sur une pensée néolibérale pour uniformiser les pratiques dans le monde entier.
De plus, l’imposition des plans d’ajustement structurels (FMI, Banque Mondiale) a conduit à une réduction des dépenses publiques dans les pays en voie de développement. En suivant ces plans imposés, ils ont dû réduire considérablement le nombre de fonctionnaires. Avec moins d’enseignants disponibles et moins de ressources consacrées à l’éducation publique, l’enseignement, la formation des enseignants et l’encadrement des élèves ont été sévèrement affectés. Le secteur privé a dû être sollicitée pour fournir des capitaux supplémentaires. Par conséquent, les systèmes éducatifs ont été transformés en un mélange public-privé.
Une approche sans nuances
Cette approche ‘taille unique’ universelle peut également être détectée dans les évaluations internationales comme PISA, PASEC, EGRA, EGMA et TIMMS. Elles sont utilisées pour comparer les écoles, les institutions et les pays sur la base de leurs performances. Cependant, cette approche ne tient pas compte des différentes cultures et des besoins spécifiques de chacun des pays. Les personnes qui conçoivent ces évaluations ne sont souvent pas des experts en didactique des sujets proposés. En outre, l’objectif de ces évaluations semble être de donner la priorité à la formation de travailleurs obéissants et flexibles. Et non pas à celle de personnes dotées d’un esprit critique. Cet accent mis sur l’employabilité et l’esprit d’entreprise ignore les traditions culturelles et peut conduire à une approche univoque de l’éducation qui ne convient pas forcément à tous les pays.
Qui serait redevable ?
Si les pays bénéficiaires d’aides financières pour l’éducation doivent rendre des comptes aux donateurs, ces derniers ne sont redevables qu’à eux-mêmes et à leurs pairs. Le PME n’a de comptes à rendre à personne d’autre qu’à son propre secrétariat. Si un projet éducatif financé échoue, les populations sont les perdants, mais le bailleur de fonds n’est pas affecté.
En revanche, une corruption impliquant quelques fonctionnaires du pays receveur peut entraîner la réduction de toutes les subventions et, parfois, l’arrêt de l’aide.
Des millions, pas autant qu’on pourrait le croire
Le pire est que cette aide est une aumône de la part des donateurs. Le budget, en Dordogne, d’associations gérant des personnes à besoins spécifiques varie de 15 à 46 millions d’euros annuels. 28 millions d’euros pour 200 personnes encadrant 400 enfants et adultes en situation de handicap. Soit (très simplifié) +/- 47 000 EUR par personne par an. À titre de comparaison, le don de la banque mondiale au Burundi en 2020 était de 40 millions d’USD sur 4 ans pour plus de 3 000 000 élèves. Encore une fois, fortement simplifié, 3 USD par enfant par an!
MeridiE intensifie ses efforts pour soutenir le développement durable de l’éducation inclusive dans le monde entier. Merci de faire un don.