Introduction
Pierre-Yves Vicens, auteur d’articles sur le blog, publie aux éditions Ganndal (Guinée – Conakry) un livre intitulé « Une école pour tous les enfants du monde ».
Il y convoque différents systèmes éducatifs du monde, le problème des enfants différents (porteurs de handicap, de dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, …) et l’histoire des politiques éducatives de certains pays.
Pour proposer des éléments de solution, il analyse les points de blocage et les difficultés que rencontrent les élèves dans leurs apprentissages. Il analyse, en plus des problèmes pratiques, les paralysies liées aux interdits psychologiques des acteurs de l’éducation (prioritairement les spécialistes des disciplines scolaires), tout comme le refus des parents, les craintes des politiques et les injonctions paradoxales des financiers. Nous nous centrerons sur les obstacles internes à l’éducation qui sont évoqués dans le livre en les mettant en avant.
1. Le sommet sur la transformation de l’éducation organisé par le Secrétaire général des Nations Unies
(New-York 17, 18, 19 septembre 2022 )
Il semble que les propositions faites pour la préparation de ce sommet ne se permettent pas d’aller le plus loin possible dans l’interrogation des systèmes d’éducation du monde entier. En particulier, les bonnes intentions des cinq thèmes interrogeant les pays, s’ils sont riches et fondamentaux, laissent de côté des pans entiers de réflexion, les considérant, généralement comme sans alternative.
Les thèmes officiels développés lors du sommet sont :
- La lutte contre l’exclusion scolaire et en faveur de la sécurité et de la santé (notamment la santé mentale)
- La transformation de la profession enseignante
- Le renouvellement des programmes de formation et des pédagogies
- La gestion de la transformation numérique pour un apprentissage juste et équitable
- Le financement de l’éducation en tant que bien commun.
Certes, de nombreux problèmes sont ainsi posés, mais quelques domaines restent tabous et paraissent paralyser les réflexions.
Chacun des sujets porte en lui-même des supposés sur lesquels il est impossible de débattre. L’exemple de l’exclusion scolaire dans laquelle on retrouve l’exclusion des enfants ayant dépassé l’âge de scolarisation sur le même plan que le refus d’inclure dans la même école les enfants différents.
2. Les problèmes et les tabous
L’inclusion de tous les élèves
Dans la lutte contre l’exclusion scolaire, il faut aussi considérer les possibilités d’accueil et leurs conditions. Ainsi en termes d’infrastructures, le binôme : une classe — un maître reste la réponse universelle. Lorsqu’il y a des enfants différents, on accompagne ce ou ces enfants par un éducateur, ou au mieux par un enseignant spécialisé supplémentaire. Pourquoi garder ce modèle et ne pas penser à accueillir tous les enfants, quelle que soit leur différence (handicap, haut potentiel, accident…) dans une école ouverte qui les répartirait non en fonction de leur âge, mais de leurs compétences ? Exemple en France, le dédoublement des premières années a consisté à confier une demi-classe à un maître et non à mettre deux enseignants dans la même classe.
Ces groupes d’élèves ne seraient pas fixes dans le temps de l’année scolaire ni pour l’ensemble des apprentissages. Un élève pourrait se trouver dans le groupe des savants en sciences et dans celui des très faibles en activités manuelles. Mais aussi et surtout, il appartiendrait à un groupe fixe pour son équilibre psychologique. Il faut alors avoir le courage de proposer d’autres organisations scolaires et des équipements adaptés. Des rampes pour les fauteuils roulants, des petites salles pour des groupes restreints, de grands espaces (cour de l’école, préau) pour des groupes de très grande taille.
La pédagogie et les constructions scolaires
La première conséquence est de redonner au pédagogique la main lors des constructions scolaires. Le bruit de la pluie sur les tôles empêche de parler et d’entendre, les affichages didactiques ne peuvent être installés dans les murs de béton ou de briques, les espaces de travail sont mal calibrés…
Si la pédagogie de groupes est préconisée, quels espaces ont-ils été prévus ? Si deux enseignants veulent regrouper leurs élèves, comment peuvent-ils le faire ?
La deuxième conséquence est de penser une autre formation des maîtres pour un travail collectif et non solitaire. Pourquoi développer le travail de groupes chez les élèves et, dans le même temps, isoler les maîtres dans une classe, enseigner une discipline ? Enfin, la rénovation la plus complexe à penser, à mettre en œuvre et à utiliser est une évaluation différente des élèves pour mettre TOUS les enfants sur le même podium. Les faire avancer à leur rythme non au rythme de leur âge. Leur permettre de développer leurs capacités spécifiques sans les enfermer dans un moule. Rendre matériellement possible une école inclusive[1].
Le renouvellement des programmes de formation et des pédagogies
En termes de contenus, la norme est, quel que soit le pays, l’apprentissage à partir des disciplines scolaires. Or celles-ci ne furent pas structurées pour former les esprits des jeunes enfants. Si l’on bute sur les compétences transversales ou de vie, c’est en grande partie à cause de la difficulté de vouloir les faire prendre en compte par les disciplines. En outre, la justification des disciplines s’appuie sur les demandes universitaires et leur présence dans les cursus d’une époque révolue.
L’exemple
Le temps scolaire n’est pas une succession de moments, il a une épaisseur (voir l’article de MeridiE). Le temps scolaire contribue à travers ses rituels à construire le temps des élèves. Mais les disciplines devraient jouer ce rôle.
L’acquisition de la notion de temps pour les élèves passe aussi bien à travers l’histoire (les dates, la chronologie, les repères temporels) que l’éducation physique (la vitesse, les durées au basket), que les mathématiques (la mesure du temps, la différence entre mesurage et repérage) ou les sciences (les instruments de mesure du temps). Ainsi, chaque discipline contribue à cette construction.
Le concept de « temps » ne devrait-il pas figurer en tant que tel dans les curriculums ? Il en est de même du « lire, écrire, compter » qui est en fait la compréhension orale et écrite ; l’expression orale et écrite, et l’organisation de la pensée. Il serait alors nécessaire d’avoir le courage de s’interroger sur ce que l’on fait apprendre aux élèves.
Oser attaquer le tabou disciplinaire et poser la question des connaissances, des savoirs, des capacités, des compétences, des attitudes. Reposons donc la question de construire avec les élèves des apprentissages qui, à la fois, les structurent comme être humain et comme être social. Les bases de ces apprentissages ne sont pas seulement dans les disciplines, ni dans l’interdisciplinarité, ni dans la pluridisciplinarité, elles sont dans la polyvalence. La conséquence évidente en est une lecture nouvelle de ce dont il faut instruire et éduquer les élèves, former les enseignants.
Les pédagogies
En termes de méthodes, les didactiques des disciplines, les sciences de l’éducation, les réponses pédagogiques offrent un champ de possibles. Pourtant, les résultats ne sont pas là. Alors, utilisons l’histoire et interrogeons les pratiques. Une des plus anciennes, retrouvée par de rares maîtres est l’enseignement mutuel, évacué au XIXe siècle (la dernière école a fermé en 1880).
Cette méthode mise au point en Angleterre (en 1798) par Bell consiste à s’appuyer sur le rôle des moniteurs chargés de faire travailler parallèlement plusieurs petits groupes d’élèves sous la responsabilité d’un maître pouvant alors orchestrer une classe de plus de cent enfants. Elle s’est diffusée en France et, dans le département de la Somme, s’est créée la première école mutuelle dès 1817.
Cette approche s’oppose aux pratiques des frères des écoles chrétiennes qui est la méthode simultanée (un groupe d’élèves du même âge et du même niveau est face à un maître). S’il n’est pas question de le reprendre tel qu’il était formulé, il est une partie de la réponse des démarches pédagogiques pour les grands groupes. Une autre est celle du travail en ateliers : des groupes en autonomie et un groupe (des groupes s’il y a plusieurs enseignants) dirigé. Il convient aussi de retrouver dans l’enseignement fondamental des méthodes utilisées en maternelle.
Le troisième aspect à questionner est le rapport entre les stratégies pédagogiques et les contenus enseignés. Jusqu’à présent, tous les systèmes éducatifs du monde enseignent des disciplines. Celles-ci ont pour fonction de développer des compétences. Or le constat est amer, elles n’y parviennent pas et les savoirs fondamentaux ne sont pas interrogés. En particulier, pourquoi ne pas prendre comme premières pierres, la compréhension orale et écrite et l’expression orale et écrite plutôt que le lire écrire qui néglige l’immense part de l’oral dans la construction de l’écrit. Pourquoi ne pas poser la question du calcul et des mathématiques ou de l’organisation du raisonnement. Enfin, la séparation histoire, géographie, sciences de la vie et de la terre n’est-elle pas un obstacle à la compréhension des phénomènes climatiques actuels ? Là encore, il est possible de convoquer l’histoire et de faire appel à la pédagogie de l’étonnement.
Revoir l’organisation des structures
En termes de durée, il faut interroger la coupure entre l’école fondamentale et le secondaire. Elle varie selon les pays entre une fin de primaire d’une durée de 5 ans et une fin du fondamental de 9 ans. Or, il apparaît que l’âge où se situe le centre de la rupture entre enfance et adolescence est de 13 ans (phénomènes physiologiques, psychologiques, cognitifs). Ceci correspond à une école fondamentale de 7 ans. Or la plupart des pays disposent soit d’une école primaire de 5 ou 6 ans suivie d’un collège de 4 ans et d’un secondaire de 3 ans, ou d’une école fondamentale de 9 ans. Pourquoi ne pas couper le collège en deux (la première partie pour une école fondamentale et une partie au secondaire : 7+2+3 soit une école, un lycée dont la première partie de 2 ans serait consacrée à l’orientation, à l’affinement des compétences et, éventuellement au début d’une formation en alternance pour des métiers). Il s’agirait d’offrir un changement d’établissement à l’âge où correspondent ces modifications ? Quel tabou interdirait de poser la question s’il s’agit de transformer l’école pour qu’elle retrouve ses possibilités de faire réaliser des apprentissages ?
La transformation de la profession enseignante
En termes de mise en œuvre d’une telle transformation, il est nécessaire de procéder lentement. Commencer par des débats entre les citoyens et les intellectuels pour que cette école soit l’école de tous les enfants du monde. Elle doit être construite, acceptée, voulue, par la population à qui elle s’adresse. Sur la base de ces principes, éclairés par des recherches fondamentales, conduites pendant le temps de la réflexion populaire, il sera nécessaire de la soumettre à l’épreuve d’une large expérimentation avant de la mettre en œuvre. Seule une formation des personnels intervenant dans les écoles (enseignants, éducateurs, ergothérapeutes et autres professions du médico-social) permettrait de traiter plus efficacement les problèmes d’inclusion et de respect des apprentissages de chaque enfant.
Cependant, pour y parvenir, il sera nécessaire que les politiques laissent ce processus se dérouler jusqu’à son terme, créent un moratoire sur les transformations de l’école pendant la période qui précèdera la fin de l’expérimentation et surtout financent les recherches et la mise en place de ces métamorphoses.
Pierre-Yves VICENS, Octobre 2022.
[1] Il existe des tentatives d’évaluation construisant des groupes de niveau, mais centrés exclusivement sur la lecture et l’arithmétique (TaRL de l’ONG indienne Pratham)
[2] « La méthode au moyen de laquelle une école tout entière peut s’instruire elle-même, sous la surveillance d’un seul maître » Andrew Bell
[3] L’enseignement mutuel, Joseph Hamel,1818
[4] Pour une pédagogie de l’étonnement par Louis Legrand Neuchatel : Delachaux et Niestlé; 1969 et Thievenaz, Joris. « Chapitre 3. Les approches pédagogiques de l’étonnement »,, De l’étonnement à l’apprentissage. Enquêter pour mieux comprendre, sous la direction de Thievenaz Joris. De Boeck Supérieur, 2017, pp. 39-58.
une réflexion profonde sur la transformation des systèmes éducatifs en Afrique?