Très bonne année 2013 à toutes et à tous ! Ravi de reprendre ce blog un peu délaissé en 2012 faute de temps, mea culpa.
En janvier 2009 et 2013, votre serviteur a eu la chance de participer à des réunions organisées à Washington sur la mesure de la qualité des acquis scolaire, auxquelles étaient conviés la plupart des opérateurs de l’aide américaine (USAID contractors/vendors). La réunion de 2013, quelques jours avant l’investiture d’Obama, a été organisée par le Partenariat Mondial pour l’Education et la Basic Education Coalition.
<<<<< La tribune d’Obama devant la Maison Blanche, janvier 2013
Cette coalition ou groupe de pression fait le plaidoyer en faveur de l’éducation de base dans le monde en assurant la liaison avec le Congrès américain notamment. C’est une sorte de consortium des grandes sociétés américaines et ONG (non profit) travaillant dans le domaine de l’éducation. La coalition est impliquée dans l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie américaine d’aide au développement révisée en 2011.
Trois objectifs sont recherchés par l’USAID en matière d’éducation:
- l’amélioration des capacités de lecture pour 100 millions d’enfants au primaire
- l’amélioration de la capacité de l’enseignement supérieure et des programmes de formation à produire des compétences soutenant le développement des pays
- l’accès équitable à l’éducation dans les pays en crise et en conflit pour 15 millions d’enfants
Le but de l’atelier était donc de se pencher sur les méthodes de mesure des objectifs. Le premier n’est pas exprimé en termes de taux de scolarisation ou de nombre d’enfants à scolariser mais en termes de capacité de lecture. L’objectif de 100 millions d’enfants peut avoir des effets pervers car l’aide peut être fléchée vers des pays à large population (Inde, Pakistan par exemple). Interrogés sur cette question, les représentants de l’USAID ont indiqué que l’agence n’avait pas foncièrement l’intention de se concentrer sur les pays à forte population (Wait and see !). Quant au 3ème objectif en soi tout très louable, il permet de légitimer les investissements considérables réalisés en Afghanistan, le premier pays bénéficiaire de l’USAID, suivi par le Pakistan. Voir ici pour des informations sur les dépenses d’éducation du Pakistan comparées aux dépenses militaires.
On notera d’ailleurs qu’une des plus grosse ONG américaines (Academy for Educationnal Development) a été fermée car suspectée de fraude au Pakistan et en Afghanistan. De plus, s’agissant du 3ème objectif, les opérateurs en éducation seront amenés à travailler avec les agences de sécurité, mélange des genres pour le peu surprenant. A ce titre, des extrémistes pakistanais ont tués neuf humanitaires travaillant à l’éradication de la polio, accusés d’être des agents.
Aide américaine pour les 20 premiers pays et opérateurs (2012) en US$
Le graphique ci-dessus nous montre ainsi que si la société Chemonics était un pays, elle serait placé au 3ème rang des bénéficiaires, voir cet article pour plus de détails. Cette société emploie 4800 personnes à travers le monde.
Les données sur l’aide américaine sont disponibles sur le site de l’USAID (Where does the Money go ?). L’éducation n’arrive qu’en 5ème position, loin derrière la santé. Les données permettent également de mesurer les fonds alloués à chacun des opérateurs de l’aide mais ne distinguent pas la part de l’argent qui arrive vraiment à destination sur le terrain dans les pays de celle qui revient aux USA. En effet, l’aide US se caractérise par des procédures qui obligent les contractants à acheter des biens et services aux USA, quand bien même ils seraient disponibles et moins chers dans les pays visés. On parle d’aide liée, qui est interdite dans le cadre des projets européens au nom de la libre concurrence. Ce qui explique peut être aussi pourquoi les écoles françaises sont équipées d’Ipad plutôt que de tablettes Archos ou BIC.
Ce mémo de l’ambassade française aux USA (2010) rédigé à partir des données du Comité d’Aide au Développement de l’OCDE (CAD) nous dit que :
- « Les USA ont cessé de notifier leur part d’aide liée à l’OCDE entre 1996 et 2006,
- le taux d’aide liée a baissé de 68 à 32% entre 2005 et 2008,
- l’administration Obama a pris position en faveur du déliement de l’aide,
- l’aide liée conserve de solides soutiens au Congrès. »
On se demande bien lesquels ?
Le directeur de l’USAID a lui-même critiqué les mécanismes de l’aide : « on ne peut pas se satisfaire de signer des gros chèques aux contractants et de l’appeler dévelopement – no longer satisfied with writing big checks to big contractors and calling it development » faisant même référence au discours d’Eisenhower sur l’émergence d’un complexe militaro-industriel.
On ne sait pas très bien dans quelle mesure la stratégie US va être réellement amenée à changer, même si elle est de plus en plus alignée avec celle du Partenariat Mondial pour l’Education auquel les USA ont promis 20 millions de $. Une économiste française, Esther Duflo, a été recrutée comme conseillère dans l’administration d’Obama. Elle a qualifié l’USAID de « nébuleuse mêlant intérêts publics et privés », Libération du 6 janvier 2012. Cela promet une chaude ambiance lors des réunions !
Esther Duflo a travaillé au sein du laboratoire JPal, de renommée mondiale, sur les évaluations d’impact et souhaiterait « lister et préciser quels sont les programmes qui marchent et ceux qui ne marchent pas ! » Or c’est là un autre défaut de l’aide américaine, bien souvent ce sont les compagnies qui évaluent elles-mêmes l’impact de leurs projets. Un peu comme si Mac Donald évaluait l’impact du Big Mac. Cela ne remet pas en cause la validité du travail scientifique d’évaluation et cette remarque est aussi valable pour les projets d’autres bailleurs. Cependant on pourrait permettre des évaluations croisées, où un bailleur A évaluerait l’impact d’un projet d’un bailleur B et vice et versa. On se trouve quelque part, bien que les enjeux paraissent moindres à prime abord, dans la situation similaire à celle où Monsanto finance des études sur les OGM.
<<<<<<Manifestant devant la maison blanche, janvier 2013
Duflo propose de passer l’aide internationale au crible, programme par programme : « Je pense à l’ONU, à l’USAID[l’agence américaine pour le développement] ou à l’AFD [Agence française de développement]. »
OK, let’s go ! Qu’en est-il de l’Agence Française de Développement ? A qui rend –elle compte ?
Cette noté édifiante du sénat français rédigée par une commission parlementaire nous dit :
- « L’Agence française de développement (AFD) constitue l’opérateur pivot de la coopération française
- Sa tutelle est assurée conjointement par le ministère chargé de l’économie, le ministère des affaires étrangères et européennes et le ministère de l’intérieur, chargé de l’immigration
- Bien que l’AFD remplisse a priori les quatre critères d’un opérateur au sens de la LOLF, celle-ci n’est pas considérée comme un opérateur.
- Mais ne pas considérer l’AFD comme un opérateur au sens de la LOLF pose un problème de transparence de son action, à laquelle ont été confrontés vos rapporteurs spéciaux dans l’exercice de leur mission d’examen et de contrôle du budget.
L’AFD n’a donc pas de comptes à rendre au parlement/sénat, même pas à des rapporteurs spéciaux du budget mais publie un rapport annuel d’activités qui contient en annexe une liste des financements par pays, assez peu lisible (Afrique Subsaharienne 39% des financements). L’équivalent du Basic Education Coalition est une plateforme d’ONG appelée Coordination Sud dont on entend peu parler, mais qui avait critiqué les montants de l’aide bilatérale octroyée au Cameroun (567 millions d’euros), notre Pakistan à nous. En termes d’initiatives multilatérales, la France a financé le Partenariat Mondial pour l’Education à hauteur de 15 millions $ de mais n’a pris aucun engagement d’augmenter l’aide bilatérale à l’éducation de base dans les pays à bas revenus. Les opérateurs français ne sont pas privilégiés comme contractants dans l’aide française et s’en sont plaints lors de la Journée de la Coopération en mai 2009.
Fort heureusement, le Gouvernement français réalise des Assises du développement et de la solidarité internationale du mois de novembre 2012 au mois de mars 2013, piloté par le Ministère des Affaires Etrangères. Il n’y a priori pas de représentants d’autres pays dans ces assises c’est bien dommage, l’AFD apparaît comme participant tout à la fin document. La réflexion sur les indicateurs de résultats est à peine entamée. La stratégie sur l’éducation est présentée ici.
Que ce soit aux USA et en France, l’opacité règne sur le choix des pays devant bénéficier de l’aide bilatérale. Pas sûr que la majorité des citoyens américains soient favorables au financement du Pakistan et de l’Afghanistan, bastions du terrorisme. Pas sûr que l’opinion française soit favorable au financement du Cameroun dirigé par Paul Biya depuis 1982! Par contre, des différences de taille subsistent entre les types de personnes exerçant le pouvoir ou une forme d’influence aux USA et France, qui peuvent expliquer des variations dans les politiques mises en oeuvre et les velléités de changement.
Voici les membres du Comité Exécutif de l’AFD.
Aux USA, les représentants de l’USAID et des contractants sont plutôt des femmes, jeunes.
Pierre Varly