Vers un fonds mondial pour l’éducation ?

Vers un fonds mondial pour l’éducation ?

Dans quelques jours, se tiendra à New York un sommet des chefs d’Etat sur les objectifs du Millénaire. Rappelons que l’objectif 2 est d’assurer l’éducation primaire pour tous. La couverture scolaire s’est améliorée, notamment en Afrique, mais «ne progresse pas à un rythme suffisant pour garantir que tous les enfants, garçons et filles, termineront un cycle primaire d’ici 2015 », selon un récent rapport des Nations Unies.

Selon la Banque Mondiale, en Afrique et en Asie du Sud Est, la proportion d’élèves achevant le cycle primaire a augmenté de près de 15 points entre 2000 et 2008. Les dix pays ayant les plus bas taux d’achèvement sont tous en Afrique. Au Tchad, seuls 30% des élèves terminent le cycle primaire, les autres ayant peu de chance d’être alphabétisés.

L’aide au développement a largement contribué à ces résultats mais ne représente qu’une partie des besoins de financement. L’initiative Fast Track, créée en 2002, a contribué à octroyer davantage de ressources vers l’éducation, à la mise sur pied de plans d’investissements et à une plus grande harmonisation de l’aide. Qu’entendons-nous par là ?

L’initiative Fast Track et l’harmonisation de l’aide

D’une logique de projet, ou chaque bailleur finance directement des activités, parfois en dehors des structures du gouvernement, avec un risque de doublons, les bailleurs sont passés à des appuis à des programmes ou plans à long terme mis en œuvre par l’administration. Des aides directes dans les budgets des Etats sont ainsi versées, par l’Union Européenne notamment. Cela permet de supporter d’autres types d’actions que celle des projets (paiement de salaires d’enseignant par exemple), mais présente également d’autres risques… Pour schématiser, l’aide projet est « à la Carte », tandis que l’aide programme ou budgétaire est « au Menu ».

L’idée est de mutualiser les financements et l’expertise technique des bailleurs, à travers des « pots communs » ou « fonds catalytiques » et d’assurer une meilleure cohérence des appuis techniques et financiers, à grands renforts de réunions et missions conjointes. Sur le terrain, les choses ont évolué de manière très favorable, mais sur fond de rivalités entre les principaux donateurs. Dans la pratique, la plupart des bailleurs privilégient l’aide bilatérale (d’un Etat à un autre), sans passer par la case « Pot Commun ». Certains Etats ne financent l’éducation quasiment que par projets, c’est le cas des USA. Selon Oxfam, « le Cambodge comptait en 2006, 16 donateurs soutenant 57 projets dans l’éducation … » La France a quant elle quasiment abandonné « l’approche projet » et les FSP pour se tourner vers l’aide programme et budgétaire, mise en œuvre par l’AFD.

Les montants engagés par le fonds Fast Track sont d’environ 2 milliards de dollars dans 42 pays, un goutte d’eau lorsque l’océan des besoins est estimé à 16 milliards de dollars par an. Les délais entre la décision d’affectation des financements et leur arrivée à destination ont été raccourcis de 1 an à 6 mois. L’Espagne, les Pays Bas et le Royaume Uni sont les principaux contributeurs au Fonds Catalytique tandis que la France n’y participe que d’une manière tout à fait marginale et que les Etats Unis s’abstiennent. Ce sont pourtant les deux plus gros donateurs pour l’éducation dans les pays en développement.

C’est un fonds pour l’éducation, mais qui n’est pas vraiment mondial et il cible principalement l’éducation primaire, alors que les besoins du secondaire sont gigantesques. Les pays émergents tels que l’Inde et le Brésil n’y participent pas non plus et disposent de leurs propres mécanismes d’aide. D’ailleurs, la question du financement du système éducatif indien a largement agité les débats à la création de l’initiative. Faut-il financer un Etat d’un milliards d’individus, qui possède l’arme nucléaire et dont les informaticiens rivalisent avec ceux de la Silicone Valley ?

Les critiques de l’Initiative Fast Track

Deux rapports émanant d’ONG ont critiqué l’initiative récemment. Dans le style alarmant typique des ONGS, le titre du rapport d’Oxfam est : « Sauver l’éducation pour Tous, Réforme l’initiative Fast Track en un fonds mondial pour l’éducation » tandis que celui de Global Campaign for Education, plus soft, est « Pourquoi les enfants du monde ont besoin d’un fonds mondial pour l’éducation». Cette ONG ou réseau s’est vu confier 17,6 millions de dollars dans le cadre du Civil Society Education Fund en 2008 mais les financements Fast Track sont destinés principalement aux Etats. Un mode de fonctionnement très différent du Fonds mondial Sida… Faut-il donner aux ONG, qui prélèvent des frais de gestion ou aux Etats, qui peuvent en prélever aussi… sans compter la dîme des organisations internationales ?

La principale critique adressée à Fast Track est le mode de gouvernance des fonds qui sont quasiment tous gérés par la Banque Mondiale dans les pays, avec des procédures « bureaucratiques ». Le rapport d’évaluation de l’initiative parle même de “potentiels conflits d’intérêts.” On reproche également les écarts entre promesses de don et dons réels, un grand classique, et enfin la mise à l’écart des pays en sortie de crise ou post conflit. Comment s’assurer que des fonds destinés à l’éducation ne sont pas détournés pour armer des milices d’enfants soldats ?

Sur le site de l’Initiative Fast Track, les engagements pour se réformer sont clairement inscrits sur la page d’accueil et le rapport d’évaluation publié. Voir ici la version complète du rapport d’évaluation, sorte de mea culpa. A lire entre les lignes, les rivalités géopolitiques ont quelque peu « dilué » les bonnes intentions de départ : « Especially because of the quest for consensus decisions, this has often resulted in long negotiations marring the FTI’s operational effectiveness and diluting some of the FTI’s original intentions. »

Le rôle des USA

Le plus surprenant est qu’un rapport de l’Unesco tient le même discours et insiste sur le rôle prépondérant que pourrait jouer les Etats Unis dans le financement et le leadership d’un éventuel fonds mondial Education. (Voir notamment la page 266 du rapport de l’UNESCO).

Il faut noter qu’il a fallu plusieurs années pour que les réunions de haut niveau Fast Track et Unesco soient accolées l’un à l’autre…ce qui peut être mis sur le compte de l’éternelle rivalité UNESCO/Banque Mondiale.

Selon Oxfam et pour mettre tout le monde d’accord, « Although a Global Fund for Education should not be the project of any one donor, the US is well placed to provide strong political leadership for a Global Fund for Education ».

Le Président Obama a promis lors de sa campagne de financer l’éducation dans les pays en développement en créant un fonds de 2 milliards de dollars. Engagements réitérés depuis par Hilary Clinton, elle-même a l’origine d’une loi finançant l’éducation pour tous. Dans les faits : « The action since then? Disappointing. The high-level U.S. political commitment has eroded, partly because of a lack of clear vision in the education community on how best to use potential support. », selon Desmond Bermingham, qui a dirigé l’initiative Fast Track.

Peut-on croire que les USA vont mettre la main au panier lorsque dans la liste de fournitures scolaires américaines, les parents ont eu la surprise de voir inscrit « Papiers toilettes » à la rentrée 2010 ? Voir ici les commentaires de l’ONG One (de Bono) sur la promesse d’Obama.

Les fondations privées à la rescousse

La récente déclaration de plusieurs milliardaires américains voulant confier la moitié de leurs fortunes pour résorber les grands problèmes mondiaux est de bon augure. Les promesses (Pledge) s’élèvent déjà à 115 milliards de dollars, mais n’ont qu’une valeur morale « The Pledge is a moral commitment to give, not a legal contract. »

Les fondations prennent le relais des Etats. Plutôt que de payer des impôts, les milliardaires financent eux même des projets, par des dons (qui ne sont pas imposables). C’est sans doute un moyen plus efficace, moins bureaucratique de financement de l’éducation, mais avec peu de contrôle des Etats. Bill Gates investit davantage que l’OMS dans la santé. Plusieurs fondations américaines se sont déjà engagées dans l’éducation dans les pays en développement.

L’exemple du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Si un fonds mondial éducation voit le jour, il devrait faire plus de place aux financements privés et s’inspirer du fonds mondial Santé. Celui-ci repose largement sur des appels à projet et moins sur les circuits de dépense des gouvernements. Voir ici les procédures de demandes de fonds en ligne. Le mode de financement n’est donc pas sans rappeler celui qui prévalait dans l’éducation avant l’Initiative Fast Track, mais avec davantage de souplesse semble-t’il.

Quelles sont les évolutions proposées dans l’architecture du fonds mondial SIDA?

« The new grant architecture will put the Global Fund in a better position to support a national program approach, which will allow improved alignment with national cycles and systems. » « lead to reduced transaction costs for implementers and better enable Country Coordinating Mechanisms to provide effective oversight. »

En résumé, les approches nationales seront soutenues avec un alignement avec les systèmes publics afin de réduire les coûts de transaction et assurer une meilleure coordination par le pays.

C’est exactement ce qui visait l’Initiative Fast Track… dont le rapport d’évaluation nous dit : « The move towards use of more aligned instruments relying on country systems has not been strong. »

Il suffirait d’appeler le nouvel instrument : Fonds Mondial Fast Track pour l’Education pour contenter toutes les parties.

Bref, la réflexion continue dans les domaines de l’éducation et de la santé pour que les financements arrivent à bon port, tout en notant des engagements politiques à réduire la pauvreté très variables entre pays. On notera notamment ce mémo de la Brookings Institution.

Des ONGs peu scrupuleuses utilisent « Fonds Mondial Education » comme nom ou pour leur site web. Tout en appelant à la vigilance, on note les prémices d’une lutte de positionnement.

Les principaux défis des systèmes éducatifs du Sud que sont de construire les écoles dans la brousse, de faire en sorte que les enseignants soient payés, que les enseignants et les élèves soient suffisamment présent à l’école et que les manuels scolaires soient distribués sont encore loin d’être résolus, fonds mondial ou pas. Néanmoins, les promesses de dons privés, la mutualisation des ressources et une plus grande efficacité de l’aide grâce à l’Initiative Fast Track ont mis plusieurs pays sur la bonne voie.

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Pierre Varly

This Post Has 3 Comments

  1. Norberto bottani

    Merci pour le compte rendu. En effet tout ceci c’est inutile et ne fera qu’alimenter une bureaucratie scolaire ultérieure. Le système scolaire qu’on envisage de développer ne sert pas à grand chose , c’est une stratégie avec un impact limité.