You are currently viewing Hommage aux “anomalies statistiques”

Hommage aux “anomalies statistiques”

Lors d’une récente interview télévisée, Rama Yade a déclaré être une « anomalie statistique » : « en tant que femme issue de l’immigration  et jeune, je ne corresponds pas aux canons de la vie politique traditionnelle. » A l’occasion de la Journée de la Femme, ce post est une forme d’hommage aux « anomalies statistiques », soit les femmes issues de minorités techniques ayant pu accéder à des fonctions politiques ou managériales grâce à l’éducation.

Pour faire court tout en vous amusant, vous pouvez lire l’excellente BD « Aya de Yopougon », autre anomalie statistique, qui raconte le parcours de combattante d’une jeune fille d’un faubourg d’Abidjan pour accéder aux études supérieures. Cela vous dispensera des statistiques et des milliers de rapports sur la question. Cliquer ici pour commander l’ouvrage. C’est graphiquement et « ethnologiquement » très bien fait.

Si vous êtes friand de statistiques et de rapports d’experts, continuez la lecture.

Lors du Forum de Dakar sur l’éducation pour Tous, l’objectif de parité des genres a été fixé pour l’année 2005. Le graphique suivant nous montre que l’objectif n’a pas été atteint malgré des avancées significatives. On peut choisir le pourcentage de filles parmi les nouveaux inscrits, qui est un indicateur simple mesurant l’accès à l’école des filles contre celui des garçons :

La performance de l’Asie du Sud et de l’Ouest est en fait celle de l’Inde, pays dont les pratiques de ségrégation et de discrimination des filles sont séculaires. Voir ici un exemple d’initiative indienne. Quand on veut, on peut.

Ces statistiques agrégées qui sont des estimations cachent des réussites spectaculaires dans certains pays comme au Bénin (+ 4%). La suppression des frais d’écolage intervenue récemment dans ce pays devrait encore améliorer la situation. Cependant, bien que la gratuité de la scolarisation soit souvent inscrite dans la constitution, l’abolition des frais de scolarité n’est pas encore universelle, ce qui est un peu contradictoire avec les grandes déclarations de Dakar…mais elle pose un certain nombre de problèmes de gestion du système éducatif. Comme l’humanité a bien progressé sur le plan de l’abolition de la peine de la mort, elle parviendra sans doute à abolir la peine de pauvreté, dans quelques générations…

Ces résultats sont le fruit de politiques visant à la fois à stimuler la demande sociale mais surtout dus à une  meilleure offre scolaire. Dans une revue de l’impact des politiques de scolarisation des filles (qui date un peu, 2003), un rapport de l’IIPE (Institut de l’Unesco) nous dit  qu’on mesure plus facilement les « effets liés à l’offre scolaire, que les mesures incitatives de la demande » ou encore qu’il faut « améliorer la coordination des agences agissant dans le domaine de la scolarisation des filles ». Une “super” agence dédiée aux droits de femmes est à l’étude à l’ONU. Voir le monde.

Dans la pratique, le champ de la scolarisation des filles a été investi par les organisations internationales telles que l’UNESCO et l’UNICEF, mais surtout par les ONGs. Des milliers de projets ont été montés et des institutions spécifiques ont été créées comme la FAWE. Pour certains, ces résultats sont à mettre au seul compte de l’amélioration de l’offre scolaire, ce qui reviendrait à jeter aux orties les projets de sensibilisation, construction de latrines, alphabétisation des mères, bourses d’études… Je me garderais bien de ces opinions tranchées.

Ces projets  « genre » ont souvent le soutien ou sont directement pilotés par des femmes, bien souvent issues des pays du Nord de l’Europe. Beaucoup de ces projets sont financés par un fonds norvégien (NETF), comme par exemple la recherche sur le genre menée par la FAWE (Forum for African Woman Educationnalists). Dans les pays du Nord, les femmes ont réussi largement à devenir égaux aux hommes sur le plan du droit, du pouvoir, des salaires etc.. Dans certains de ces pays, si je me confère au discours de l’ambassadeur du Danemark au Bénin en 2005, la plus grande inclusion des femmes dans la vie politique et publique a été le moteur du développement.

Ainsi, certains projets visent à transposer une certaine forme de lutte sociale inspirée des divers courants du féminisme. On recommandera d’ailleurs sur ce sujet la lecture de l’ouvrage de Makthar Diouf (un homme !) : Eclairage sur le(s) féminisme(s), 2009, Presses Universitaires de Dakar. Pour un exemple récent de féminisme radical, voir ici.

Le courant féministe socialo-marxiste, né selon l’auteur dans les milieux universitaires américains et anglais dans les années 1990, semble en particulier une source d’inspiration pour bon nombre d’initiatives de développements (communautés de femmes, etc…) Pour Simonne de Beauvoir (« Le deuxième sexe » ) la solidarité est avant tout une affaire de classes, plutôt que de sexe, mais ces considérations sont un peu dépassées. Qu’est-ce qui pousse donc une femme du Nord diplômée et riche à aider une femme noire et pauvre ?

Quoi qu’il en soit, te thème du genre a fait florès à tel point qu’il est recommandé à tout expert en développement de « genrer » son rapport ou son étude…sous peine d’être taxé d’affreux macho, s’il est un homme ou de traitre si c’est une femme. J’exagère un peu… mais la question est de savoir si on ne se serait pas trompé de cible. Le véritable défi n’est-il pas celui de la pauvreté ou des minorités ethniques. Pour en revenir à Rama Yade, ses difficultés sont-elles davantage liées au fait qu’elle soit une femme, jeune ou au fait qu’elle soit noire ?

Le dernier rapport de suivi de l’Education pour Tous de l’UNESCO sorti il y a quelques semaines marque un repositionnement du débat sur l’aide sur les questions de minorités ethniques et non plus sur la simple thématique du « genre ». Voir ici mon post.

Un article d’Alain Mingat publié en 2003 et intitulé L’ampleur des disparités sociales dans l’enseignement primaire en Afrique nous éclaire. Ci-dessous la chance (probabilité) de terminer le cycle primaire ou d’accéder à la dernière classe du primaire selon le genre, le milieu de résidence ou la pauvreté :

Le graphique est très clair, aux environs de l’année 2000 dans 21 pays d’Afrique, un pauvre a trois fois moins de chance de terminer le cycle primaire qu’un riche, alors que les écarts entre filles et garçons sont moindres (11 points). Ceci étant les handicaps se cumulent et une fille pauvre vivant en milieu rural a peu de chances de terminer l’école primaire.

Pour en revenir à notre championne Rama Yade, on notera que son père a été le Secrétaire particulier de Leopold Sedar Senghor, elle appartient donc de naissance à l’élite politique francophone. Serait-elle arrivée là ou elle est, si elle avait été fille de paysan ? Certainement pas. Cependant, elle a réussi grâce à l’éducation, donc de ses parents et au sein du système scolaire français. C’est actuellement une des personnalités politiques préférée des français, à en croire les sondages.

Il faut noter qu’en France, les politiques visant l’Education pour Tous menées au XIXème siècle ne se sont clairement pas attaquées aux problèmes de genre en premier, les filles « devinrent ce qu’elles purent » selon Napoléon. Voir ici. Mais 150 ans après la première bachelière en 1861 la parité scolaire semble être atteinte, sauf dans les grandes écoles. Voir l’article du monde. En matière de salaires et d’accès aux postes de responsabilités ou fonctions politiques, on est loin du compte et l’héritage napoléonien est toujours vivace. Voir le monde.

Je vous conseille de regarder l’excellent téléfilm de France 5, la Française doit voter sur la république phallocrate. “N’allons pas, par un vote imprudent, proclamer l’impuissance et la faillite de l’homme de France !Edmond Lefebvre du Prey

De nos jours dans certains régions du Bénin ou du Sénégal, il n’y presque pas ou aucune fille bachelière alors que certains lycées de jeunes filles à Dakar ont de très bons résultats. Ce n’est pas qu’un problème d’offre. Les filles en milieu scolaire sont victimes de violence ou de chantage sexuel aux notes, ce qui refroidit les parents ou on explique les problèmes de scolarisation des filles par des facteurs culturels (ce qui est large) et on botte en touche. Sur les violences en milieu scolaire, voir cette étude réalisée pour le compte du Ministère Français des Affaires Etrangères ou consulter ce rapport sur le Sénégal commandé par l’USAID ou plongez vous dans la lecture des derniers tomes de Aya de Yopougon !

Assez bizarrement, l’idée de séparer les filles des garçons dans les écoles n’est jamais mise en avant dans les pays en développement, du moins dans le secteur public.

Pour Makthar Diouf, qui s’inspire des travaux de Cheick Anta Diop, la société africaine précoloniale était davantage matriarcale que patriarcale (la reine de Saba, maintes fois référencée dans le Coran), du coup le problème de scolarisation des filles est un fait du colon, qui n’a pas privilégié les femmes dans un premier temps. Ces travaux peuvent avoir influencé les élites africaines et ainsi peut expliquer une certaine délégation des projets aux ONGs et le peu de véritable politiques publiques sur le genre à l’école ou ailleurs. Mais avant d’être un fait strictement lié au sexe, la question du genre n’est-elle pas avant tout un fait ethnique ? La scolarisation des filles ne pose pas problème partout.

Selon le FMI (2007) : UNESCO recently estimated that 43 million school-age girls are not enrolled in school… This gap is due overwhelmingly to the lag in schooling of socially excluded groups, often minority groups that are on the margins of society (see box and table) and in which girls are at a distinct disadvantage relative to boys. Indeed, we estimate that approximately 70 percent of these out-of-school girls come from such groups.”

En gros, cet état de fait est le résultat de siècles de stigmatisation de groupes ethniques. Le graphique ci-dessous issu d’un article de Maureen A. Lewis et Marlaine E. Lockheed (2007), pour le compte du FMI est très clair :

Ces analyses affinent le travail du Professeur Mingat. Au Guatemala, la discrimination s’applique seulement aux femmes indigènes (la courbe rouge). Il serait intéressant d’étudier l’évolution de ce genre de courbes en Bolivie, ou un « indigène », Evo Morales a accédé au pouvoir. Voir en quoi le retournement de situation politique et historique est capable d’influencer le cours des événements scolaires. On notera d’ailleurs que dans certains contes andins, il fut un temps ou le pouvoir était détenu par les femmes, un genre d’amazones. Les femmes au pouvoir n’ont pas toujours été des « anomalies statistiques », à en croire les légendes.

Sur le plan des acquisitions scolaires, les différences entre filles et garçons ne sont pas très marquées selon les évaluations internationales, malgré des prejugés tenaces :

“But all available evidence suggests that, once in school, excluded girls perform as well as, or even better than, excluded boys at the primary level (although the achievement levels of excluded children as a whole lag behind those of majority children).”

Les travaux en cours du FAWE à partir des données du PASEC et du SACMEQ devraient nous éclairer. Les « anomalies statistiques » ou « amazones scolaires » réussissent très bien, ce qui fait peur aux hommes c’est évident.

Bonne fête aux « anomalies statistiques »!

Cet article a 8 commentaires

  1. Norberto

    L’anomalie statistique en question n’a aucun mérite.

    1. Vous avez bien compris le sens caché du billet !
      Elle doit son poste à Nicolas Sarkozy, c’est clair, mais j’allais quand même pas faire un post sur Rachida Dati !
      Mais bon Rama Yade est assez courageuse, elle a un accent de racaille, j’aime bien, mais je préfère Aya de Yopougon à qui on devrait des noms de rue, mais qui n’existe pas…

  2. Alexis

    Ca me rappelle ce père de famille au Bénin qui ne voulait pas envoyer sa fille au collège de peur qu’elle “attrape la grossesse”. C’est vrai que des écoles non-mixtes pourraient être une solution dans ce genre de cas avec une équipe pédagogique uniquement féminine.
    J’ai aussi l’impression que les différences filles-garçons cachent aussi de grosses disparités régionales. Je me faisais cette réflexion en regardant le ratio fille-garçon par IDEN au Sénégal. Ca varie entre 70 et 137 filles pour 100 garçons en primaire. Avec le sud en faveur des garçons et le nord-est plus Mbacké en faveur des filles.
    Dans la base ménage sur le Sénégal que j’analyse je peux voir cette différence entre Dagana (légèrement favorable aux garçons) et Podor très favorable aux filles. La probabilité d’être scolarisée à Podor pour une fille entre 6 et 16 ans est à peine supérieure à celle de Dagana mais celle des garçons chute de 10 points. C’est plutôt étonnant je trouve comme statistique. On en revient sûrement aux facteurs culturels… Poids de la religion, droit coutumier de l’héritage etc. Pour faire un lien avec un post précédent, bien que les garçons aillent moins à l’école publique à Podor ils ne vont pas plus à l’école coranique que les autres.
    Dans cette même base la richesse explique beaucoup mieux que le genre les différences de scolarisation entre enfants. Enfin au moins pour les garçons, car pour les filles la corrélation est moins forte.
    Je commanderai bien la BD, ça a l’air sympa. J’espère qu’ils livrent en Nouvelle-Zélande!
    Bonne continuation à ce blog.

    1. Merci des compléments. A Kolda, il n’y a aucune fille qui a un BAC ! A vérifier quand même, j’ai pas les stats sous la main. Souvent tu peux avoir un forte concentration ethnique ou de “cultures” dans une région, ce qui fait que les différences entre régions peuvent être des différences dues aux comportements culturels en effet. mais déjà que les découpages des pays sont hérités de la Conférence de Berlin, les découpages administratifs eux non plus n’ont guère de sens. ta base ménage n’est pas non plus représentative des diversités culturelles dans une région a priori. Mais des analyses spatiales sur plusieurs pays (par exemple Niger-Bénin-Burkina Faso sur les zones frontalières) pourraient faire ressortir des trucs intéressants, ce qui pourrait faire l’objet d’un post. Voir les travaux de JF Kobiané sur le lien ethnie et scolarisation des filles.
      fais attention aussi aux questions de migration interne, certaines régions peuvent faire émigrer les garçons, d’autres les filles (par exemple beaucoup de bonnes viennent de Casamance à Dakar). Donc il y a moins de filles à l’école dans le sud, parce qu’elles font Bonne Fatou Faire à Dakar. Peute être qu’a Mbacké les garçons sont envoyés à l’école coranique a Dakar… à vérifier. Oui la BD à lire absolument.

  3. education_south

    From mimi_15 :

    “le monde n’est pas près de changer ds ce domaine ds quelque pays que ce soit:
    à part les pays du nord de l’europe: et ce doit ètre extra difficile pour des indiennes de devenir des rama yade,ou en amérique du sud ou en afrique ou mème en asie :*surtout avec la “crise” qui touche tout le monde, ds les pays en voie de développement les femmes en ont encore pour des siècles à servir l’homme et n’avoir pas plus de valeur que du bétail:

    plein de peuples “vendent leurs filles” et elles n’iront surtout pas à l’école : aucun intéret pour eux qu’une femme sortent du lot et ouvre les yeux aux autres : je sais qu’en afrique il y a des “mamas” qui ont accès au micro-crédit, qui organisent la vente du poisson rapportés par “les guerriers”, qui essaient de se débrouiller: mais on a vite fait de les taxer de sorcières si cela ne va pas : un sorcier ou un chamane est un homme plein de pouvoir, une sorcière représente tout ce que les peuples primitifs craignent : le temps que cette mentalité change il va falloir des siècles

    et ils en sont fiers et les femmes paient un très lourd tribu ds tous les domaines : non accès à l’école, mariages très jeunes, grossesses à répétition, elles n’ont pas le temps de s’instruire elles ne sont pas crées pour ça hélas: comment changer les choses, qui le veut au fond, pourquoi une femme blanche, aisée et instruite irait aider une pauvre femme noire sans avenir
    mais il y a plein de gens de bonne volonté, et plein d’autres qui n’ont qu’une idée en tète “la guerre” : alors l’avenir des femmes du tiers monde me parait bien sombre pour encore des décennies : de tous temps la femme a été d’abord une monnaie d’échange, puis celle qui tient le foyer et fait à bouffer, se paie toutes les corvées : c’est si vite réglé avec un coup une femme qui se rebiffe : elle est fètée, ok, mais retourne vite à sa place : et des rama yade il y en a si peu :

    pourquoi elle réussit et déplait à la fois: parce qu’elle est noire je pense, qu’elle n’a pas la langue ds sa poche et que malheureusement pour elle est ravissante:
    donc encore le physique compte encore et encore pour une femme”

Leave a Reply